Naomi Fontaine publiait Kuessipan en 2011, une œuvre que l’on a d’abord placée sous la bannière (maintenant galvaudée) du roman, mais qui évoque davantage une série de tableaux, de portraits, d’images et d’émotions. Le terme « recueil de récits » serait plus juste pour désigner cet objet littéraire touchant. Le livre compte à peine une centaine de pages, mais parvient à dire beaucoup avec peu, à raconter le quotidien innu avec une force poétique qui se construit autour de cette économie de mots.
La réalisatrice Myriam Verreault a rencontré Naomi Fontaine peu après la parution de son premier ouvrage au Salon du livre des Premières Nations à Wendake. Rapidement, elles ont décidé de collaborer afin de porter le livre au grand écran. Paraît donc en 2019, à la suite d’un long travail d’adaptation et de réécriture, l’adaptation cinématographique de Kuessipan. D’emblée, l’on ne peut que constater que le projet est une réussite.
Le livre […] parvient à dire beaucoup avec peu, à raconter le quotidien innu avec une force poétique
Deux sœurs
Le film fait le récit de deux jeunes femmes qui grandissent dans une communauté innue, Mikuan (Sharon Fontaine-Ishpatao) et Shaniss (Yamie Grégoire). La première vit dans une famille aimante alors que la deuxième doit composer avec un jeune enfant et un conjoint qui ne tient pas en place. Elles sont néanmoins inséparables.
À l’aube de leur passage à l’âge adulte, leur amitié sera mise à rude épreuve alors que Mikuan a l’ambition d’aller étudier en ville. Shaniss l’accuse de renier sa communauté, mais ce faisant, empêche son amie de réaliser ses rêves. Le scénario du film diffère nettement du texte original — le livre ne contenait pas de dimension proprement narrative — même s’il en conserve l’essence. Dans une généreuse entrevue qu’elle m’a accordée, la réalisatrice explique d’abord que le travail de réécriture s’est déroulé en plusieurs étapes.
Tout d’abord, elle considérait primordial d’accomplir cette étape du projet avec l’écrivaine pour que le film, à l’instar du roman, permette d’entrer en relation avec « l’autre ». Naomi a joué le rôle de la « gardienne de la culture et de l’esprit du projet ». La perspective innue était essentielle, porteuse d’une légitimité. L’on a qu’à penser au fiasco qu’a causé Kanata (été 2018) pour mesurer l’importance de mener ce genre d’entreprise dans le respect et l’inclusion. Selon Myriam Verreault, Robert Lepage (metteur en scène de la pièce) s’est avant tout privé d’une rencontre. Quand l’on voit le résultat de cette collaboration entre la réalisatrice et l’autrice, l’on ne peut que constater la mesure dans laquelle l’écoute et le partage créent une atmosphère propice à la création.
De belles amitiés
Elle explique qu’elle a passé deux mois à Uashat pour tisser des liens avec la communauté. Un été sur les plages, près des feux, à se raconter des histoires. Des liens qui se sont transformés en amitiés, à mesure que les Innu·e·s ont consenti à partager leur quotidien avec elle. Il lui fallait cette proximité, ce « regard intérieur » pour illustrer la vie de ces gens et leurs réalités sans lunettes roses ni préjugés, « pour arriver à faire ressortir le beau dans les petits détails ».
C’est d’ailleurs ce regard sincère sur les personnages et les relations qui les unissent qui fait la force du film. Opposer deux amies qui choisissent des destins distincts met en lumière la puissance de leurs liens avec la communauté. Mikuan s’amourache d’un blanc et projette d’aller étudier à Québec. Shaniss voit ces deux projets d’un mauvais œil. Entre les pleurs et les sourires — le nombre de sourires que le film donne à voir impressionne —, les deux jeunes filles en arrivent à la conclusion qu’elles sont toutes deux attachées à leur communauté (et aussi l’une à l’autre) : elles le manifestent tout simplement de manière différente.
C’est une œuvre lumineuse qui fait du bien et qui nous convainc de l’importance de la tolérance et de la curiosité
Une première émotive
Myriam Verreault explique que la première à Sept-Îles demeure une expérience spéciale : une salle bondée, beaucoup d’Innu·e·s, beaucoup de Blanc·he·s, mais surtout beaucoup de rires. L’humour nous unit malgré nos différences, me dit-elle. Tous·tes riaient aux mêmes blagues. Elle était heureuse de voir les Innu·e·s s’approprier le film, eux·elles qui se voyaient à l’écran pour la première fois dans une expérience de cinéma « classique ».
« Ils se voient exister à l’extérieur de la réserve et c’est un sentiment qui leur fait du bien », poursuit la réalisatrice. La période de questions s’est éternisée tellement les spectateurs et les spectatrices avaient envie de partager leurs ressentis. Cette validation a fait tomber la pression. Elle avait hâte de présenter le film à la communauté qui s’est occupée d’elle depuis le début du projet. Le résultat final est très émouvant et donne à voir la vie de gens dont beaucoup d’entre nous ne savent à peu près rien. Il émane du film une rare authenticité et c’est peut-être dû au fait que tous·tes les acteur·rice·s viennent de la région, à l’exception de Francis (Étienne Galloy), le copain de Mikuan. Myriam Verreault m’explique que les acteurs et les actrices ont chéri leur expérience avec l’équipe de tournage et que le sentiment est réciproque.
L’adaptation cinématographique réussit à poursuivre le travail de diffusion entamé par Naomi Fontaine avec son recueil de récits. Elle a depuis publié deux autres livres (Manikanetish en 2017 et Shuni en 2019, tous deux chez Mémoire d’encrier) et je vous en recommande fortement la lecture. Le film traite de la quête identitaire et plonge dans le quotidien parfois difficile des Innu·e·s avec une sincérité désarmante. Simplement pour l’expérience et le plaisir de cette rencontre, le film mérite d’être vu. C’est une œuvre lumineuse qui fait du bien et qui nous convainc de l’importance de la tolérance et de la curiosité.