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Entrevue avec Steven Guilbeault

Le Délit a rencontré Steven Guilbeault, candidat pour le Parti libéral dans la circonscription de Laurier-Sainte-Marie et co-fondateur de l’organisme environnemental Équiterre. 

Rafael Miró | Le Délit

Le Délit (LD) : Qu’est-ce qui vous a poussé à vous joindre au Parti libéral, plutôt qu’au Parti vert, qui place l’environnement au centre de sa plateforme ?

Steven Guilbeault (SG) : J’ai beaucoup de respect pour les gens qui sont au Parti vert ; je connais très bien Elizabeth May. Il y a quelques raisons qui m’ont amené à me présenter au Parti libéral plutôt qu’au Parti vert. D’une part, le travail que je fais depuis 25 ans, c’est un travail qui ressemble un peu au travail qu’on peut faire dans l’opposition, donc je critiquais les projets de loi, les actions de certains gouvernements. Il m’est arrivé aussi de travailler sur des comités gouvernementaux, j’ai coprésidé pendant plusieurs années le Comité sur les changements climatiques du gouvernement du Québec, sous trois gouvernements successifs. J’ai également coprésidé un groupe de travail sur les changements climatiques pour le [gouvernement] fédéral. Je voulais, si j’allais en politique, tenter d’être avec un parti où je pourrais vraiment influencer les décisions qui sont prises.

D’autre part, bien que le bilan du Parti libéral durant les quatre dernières années en environnement ne soit pas un bilan parfait, c’est un excellent bilan. Puisque vous allez évidemment m’en parler, mettons de côté le pipeline quelques secondes -— quand on regarde la liste des investissements qui ont été faits en transport collectif, dans les infrastructures vertes, la mise sur pied d’un prix carbone. Certains peuvent dire qu’il n’est pas assez élevé, et c’est vrai, mais il va quand même quintupler au cours des prochaines années, passant de dix à cinquante dollars. Je pourrais parler des aires protégées et d’un paquet d’autres affaires que le gouvernement a fait, alors moi je trouve que c’est un excellent bilan. 

C’est sûr que je suis d’accord avec ceux et celles qui disent qu’on doit en faire plus. Par contre, je ne suis pas un expert en questions d’élections et de politiques, mais je doute que le Parti vert ou le NPD puissent prendre le pouvoir, alors le parti qui a le plus de chances de remporter les prochaines élections et de mettre en place des mesures pour lutter contre les changements climatiques, c’est le Parti libéral, parce que si les conservateurs entrent au pouvoir on retourne vingt ans en arrière.

LD : Est-ce que, pour nos lecteurs français, c’est un pari qui ressemble un peu à celui qu’avait pris Nicolas Hulot en France ?

SG : Oui, à la différence que Nicolas est quelqu’un qui a fait la majorité de sa carrière dans les médias. Moi, oui, j’ai fait des médias, mais ce que je fais principalement depuis 25 ans, c’est travailler avec des gouvernements à tous les niveaux. J’ai travaillé avec le gouvernement Charest, j’étais au comité climat de Mme Marois, dont le ministre de l’Environnement à l’époque, d’ailleurs, était Yves-François Blanchet, j’étais sur le comité climat du gouvernement Couillard, j’ai siégé sur des comités sur les changements climatiques avec Jack Layton dans les années 1990 quand le gouvernement de Chrétien était au pouvoir. Donc, j’ai une assez bonne idée des enjeux, des obstacles qu’il y a pour faire avancer ce dossier. Je crois que ce qui a été difficile pour Nicolas, ça a été de voir que la machine gouvernementale, c’est rarement une machine qui bouge vite, alors que moi j’ai compris ça il y a 25 ans et j’ai un peu fait ma paix avec ça.

Si les conservateurs entrent au pouvoir, on retourne vingt ans en arrière

LD : Les libéraux ont fait de la question des droits des Premières Nations l’un des aspects les plus importants de leurs politiques au cours des quatre dernières années. Quels sont les projets de votre parti par rapport à cet enjeu ?

SG : S’il y a une chose que l’on peut reconnaître, c’est que [le gouvernement Trudeau] est de loin le gouvernement qui en a fait le plus pour la question autochtone. Est-ce qu’en quatre ans on peut réparer des centaines d’années d’injustice envers les Premières Nations ? Non. Ça va prendre beaucoup de temps, mais le gouvernement Trudeau a amorcé quelque chose de significatif, un début de réparations. On peut parler du milliard de dollars qui a été investi, du fait que, dans près de 200 communautés, on a levé les avis d’ébullition d’eau, on peut parler de l’objectif d’éliminer la tuberculose d’ici 2030 dans les communautés autochtones, du fait que, dans l’évaluation environnementale fédérale, on va maintenant tenir compte des connaissances traditionnelles autochtones — d’ailleurs, les conservateurs se sont battu bec et ongle contre ce projet de loi. 

LD : Ce printemps, la CAQ a adopté le fameux projet de loi 21 sur l’immigration. Quoique ce projet de loi soit plutôt populaire parmi l’électorat québécois, il est décrié par plusieurs dans le reste du Canada. Quelle est l’opinion de votre parti sur ce projet de loi et que serait-il prêt à faire pour s’y opposer ?

SG : Au Parti libéral, nous n’avons jamais été de grands fans des restrictions des libertés personnelles, et j’adhère entièrement à ça. Le premier ministre l’a répété à plusieurs reprises : ce n’est pas un projet de loi qu’il apprécie particulièrement. Il y a déjà des contestations judiciaires qui sont en cours, alors le ministre de la Justice, M. Lametti, est en train d’évaluer différentes options. Est-ce que le gouvernement fédéral se joindra à ces contestations ? La décision n’a pas encore été prise. 

LD : Est-ce que votre parti a des projets concrets pouvant améliorer la situation économique des étudiants universitaires ?

SG : Je crois que, là aussi, on voit où le gouvernement Trudeau en a fait beaucoup en ce qui a trait aux sciences et au financement des études postsecondaires. La plateforme n’a pas encore été présentée sur ces questions, mais par rapport à une époque sous Harper où les scientifiques ne pouvaient pas parler, où il y avait des coupures dans le financement de la science, je pense qu’on peut voir à quel point nous avons eu, depuis quatre ans, un gouvernement très ouvert sur ces questions  et qui va continuer à y être ouvert. 

LD : Depuis le début du mandat du Parti libéral, l’économie du pays se porte plutôt bien. Pourtant, à la différence de ses prédécesseurs, Justin Trudeau a renoncé à chercher à atteindre le déficit zéro à tout prix, accumulant un déficit total d’environ 52 milliards de dollars. Est-ce que cette politique économique est justifiée selon vous ?

SG : Tout à fait. Je pense que les conservateurs vont vous demander si vous [en tant qu’individu], vous voudriez faire un déficit, mais je pense qu’on ne peut pas comparer la situation d’une personne ou d’un ménage avec celle d’un pays qui a des moyens financiers très importants et dont le rôle n’est pas de tenir compte d’une ou de quelques personnes, mais du bien-être de l’ensemble de la population. Qu’est-ce que ça nous donnerait d’avoir les coffres pleins à Ottawa si le niveau de chômage était très élevé et s’il y avait plein de personnes dans le besoin ? Quand on regarde la situation économique du Canada, elle est l’une des plus enviables des pays du G7. On voit que l’action du gouvernement a fonctionné : on a le taux de chômage le plus bas des 30 ou 40 dernières années. Ici, dans la circonscription [de Laurier-Sainte-Marie], il y a 10 000 enfants de moins qui sont en situation de pauvreté. Je suis fier de ça et je pense que le gouvernement a pris la bonne décision en décidant d’investir, pas juste dans l’économie, mais dans le bien-être de la population.

S’il y a une chose que l’on peut reconnaître, c’est que le gouvernement Trudeau est de loin le gouvernement qui en a fait le plus pour la question autochtone.

LD : À son arrivée au pouvoir, Justin Trudeau avait promis de modifier le mode de scrutin pour remplacer le système parlementaire par un système proportionnel, une promesse qu’il n’a finalement pas tenue. Selon vous, ce revirement sert-il l’intérêt de la population canadienne ?

SG : Je ne crois sincèrement pas que ce projet de loi n’a pas abouti parce que ce n’était pas dans l’intérêt du Parti libéral. C’est un enjeu qui est excessivement complexe, il y a eu trois référendums au Canada où les gens y on dit non. Pour une partie de la population, c’est un enjeu qui est très important, mais c’est une petite partie.

Il y a des gens qui disent que si on avait un meilleur mode de scrutin, nos politiques environnementales seraient plus progressistes. Moi, je ne suis pas convaincu. On n’a qu’à regarder ce qui se passe en Australie. Je pense qu’ils sont rendus à sept ou huit premiers ministres dans les dix dernières années et ils viennent d’élire un parti qui est procharbon, dans un système où on a un mode de scrutin proportionnel. Ici, certains partis proposaient des modes de scrutin où il y a des parties du pays, moins populeuses, qui auraient perdu énormément en termes de représentation. Je pense que, si ce projet de loi n’a pas abouti, c’est parce qu’on n’a pas réussi à s’entendre entre les partis sur un mode qui aurait fait un certain consensus.

LD : Si le gouvernement libéral a toujours affirmé qu’il se préoccupait de l’environnement, il n’en demeure pas moins que le bilan du gouvernement a été sévèrement critiqué par beaucoup d’environnementalistes, que l’on parle de l’achat du pipeline Trans Mountain, des énormes subventions à l’industrie pétrolière, ou encore des efforts qui n’ont finalement pas été faits pour atteindre les objectifs des accords de Paris. Êtes-vous à l’aise avec le bilan des dernières années ?

SG : Je ne suis pas d’accord avec deux des trois choses que vous avez dites – les subventions aux compagnies fossiles, elles ont diminué ; on n’a pas atteint notre objectif de Paris, mais on n’est pas en 2030, et l’objectif de Paris, c’est pour 2030. [Le gouvernement Trudeau] a gardé les mêmes cibles [que le gouvernement Harper] mais le gouvernement Harper avait une cible mais pas de plan, pas de mesures. Est-ce que je pense que la cible est suffisante ? Non. Mais en quatre ans [les libéraux] ont développé un plan d’action qui nous amène à 75% plus près de notre objectif de Paris. Donc il nous reste onze ans pour faire le 25% qui manque et, je dirais, aller plus loin. Oui, le pipeline a été critiqué par plusieurs, j’en suis, mais pour un dollar que met le gouvernement dans le pipeline, il en a mis quinze dans la lutte contre les changements climatiques. 


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