Un panel, animé par Jennifer Welsh, titulaire d’une chaire de recherche en gouvernance et sécurité internationale à l’Université McGill, s’est réuni le 17 octobre pour discuter de politique et d’intervention étrangères au sein des élections canadiennes. L’événement était organisé par l’École de politiques publiques Max Bell dans une salle de conférence de l’hôtel Omni.
Politique étrangère
Rohinton Medhora, économiste et président au Centre for International Governance Innovation et Marie-Joëlle Zahar, politologue et professeure à l’Université de Montréal, ont tous deux relevé la faible présence de la politique étrangère dans la campagne électorale canadienne. Medhora a expliqué qu’à part quelques points émis par les chefs de partis visant la Chine et portant sur la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), aucune discussion de fond n’avait été abordée sur les enjeux planétaires actuels. Zahar a tout de même relevé les différents engagements des partis sur la scène internationale.
Notamment, le Parti conservateur a annoncé qu’il couperait l’aide internationale, tout en réinvestissant dans l’armée pour atteindre la cible fixée par l’OTAN. Le NPD et les Verts se sont quant à eux engagés à accroître l’aide pour qu’elle atteigne la cible promue par l’ONU de 0,7% du PIB (produit intérieur brut) canadien. Ces deux derniers partis ont aussi promis plus de leadership sur la question du désarmement nucléaire et dans le combat de problèmes de santé publique mondiaux comme la malaria. Les libéraux ont, quant à eux, joué une carte féministe en mettant l’accent sur la défense des droits des femmes à travers le monde. Zahar a souligné que les libéraux n’offrent pas pour autant de programme clair et cohérent quant à la manière dont ils souhaitent aborder les autres pays du monde dans les quatre prochaines années. Par exemple, rien n’est proposé en termes de leadership international sur le climat, symbole pour la professeure du retard canadien dans le domaine.
Elle a critiqué le manque de vision des chefs de parti canadiens. Plusieurs de leurs engagements sont organisés sous forme de cibles et, souvent, le Canada est dans la réaction plutôt que dans la proposition. Ainsi, plusieurs enjeux de fond sont passés sous silence, comme la très récente incursion de la Turquie en territoire syrien, qui entraînera inévitablement un flot important de réfugiés ainsi qu’une possible recrudescence de Daesh.
Intervention étrangère
Taylor Owen, titulaire d’une chaire de recherche en communications à l’École de politiques publiques Max Bell, a rappelé l’ampleur du problème d’intervention étrangère dans le processus électoral des démocraties occidentales. Depuis l’élection de Donald Trump, l’on a observé de nombreux exemples d’acteurs étrangers tentant d’influencer par le biais des réseaux sociaux les résultats d’élections et, plus largement, tentant de miner les institutions démocratiques à l’international.
Pourtant, au Canada, la situation semble moins critique qu’ailleurs. Owen a rapporté que, grâce au travail des législateurs canadiens avec la loi 76, de nombreux vides juridiques ont été comblés. Malgré le fait que l’environnement politique soit très polarisé, peu de citoyens canadiens adhèrent à un discours populiste et la majorité d’entre eux ont confiance en la véracité des informations présentées par les médias traditionnels. Enfin, il ne semble pas y avoir eu, au cours de la campagne électorale, d’intrusion systématique dans l’espace numérique canadien de la part d’acteurs étrangers.
Pourquoi ? Owen offre quelques explications plausibles : peut-être que les gouvernements de l’Arabie Saoudite, la Russie et la Chine, principaux instigateurs des campagnes de désinformation, ont peu d’intérêt pour le résultat des élections canadiennes ; peut-être qu’ils conservent leurs ressources pour les élections américaines à venir ; peut-être que la législation canadienne a eu son effet escompté ; ou peut-être encore que des acteurs étrangers ont été actifs, mais qu’ils n’ont tout simplement pas été observés par les journalistes et experts canadiens.
« Il ne semble pas y avoir eu, au cours de la campagne électorale, d’intrusion systématique dans l’espace numérique canadien de la part d’acteurs étrangers »
Kaleigh Rogers, journaliste chez CBC, a quant à elle présenté son travail de reporter effectué au sujet de la désinformation. Elle dit avoir observé une quantité substantielle de fausses informations circulant sur les réseaux sociaux, mais qu’elles provenaient souvent de l’intérieur du pays. De rumeurs que Bill Morneau, ministre des Finances, soit cousin d’un cadre de la GRC (Gendarmerie Royale du Canada) à la suggestion que des milliers de non-citoyens pourraient voter aux élections, la désinformation se nourrit des peurs existantes des Canadiens et érode leur confiance en les institutions démocratiques nationales.
Elle conclut que, dans bien des cas, ces fausses informations n’affectent pas le comportement des électeurs rendus aux urnes, mais qu’elles ont certainement un effet négatif sur la qualité de la démocratie canadienne dans son ensemble.
Démocratie à l’ère numérique
La conférence s’est conclue avec un avertissement. Les quatre panélistes ont tous perçu que la campagne électorale était restée en surface sur presque tous les enjeux importants, ce qu’ils ont attribué à notre environnement médiatique actuel. À l’ère numérique, il leur apparaît essentiel que nos principaux moyens d’échanges et de débats, de plus en plus détenus par de larges multinationales, soient encadrés de manière à ce qu’ils soient propices à l’épanouissement de la démocratie.