Le Théâtre du Nouveau Monde présente depuis le 12 novembre un monument littéraire et théâtral avec la première de Fleuve, pièce triomphante de contemporanéité, qui a été adaptée des romans autobiographiques de son noyau central, la comédienne Sylvie Drapeau. C’est l’histoire de sa vie qu’elle retrace en quatre tableaux — Le fleuve, Le ciel, L’enfer et La terre —, en quatre messages d’amour à quatre disparu·e·s de sa famille.
Narration partagée
L’histoire de Fleuve s’appuie sur deux piliers : le texte de Drapeau et la présence scénique des corps des comédien·ne·s. Elle repose sur le travail de sept comédien·ne·s muet·te·s pour la majorité du spectacle (excepté pour quelques bribes de texte choral et une voix désincarnée) qui font office d’interlocuteur·rice·s, de représentations du message véhiculé par les trois comédiennes principales, chacune incarnant la narratrice du roman à 5, 20 et 50 ans. La Petite, dont le rôle est joué en alternance par Alice Bouchard et Marion Vigneault, était incarnée ce 14 novembre par la première des deux, qui impressionne par son souffle juste, son articulation impeccable et sa capacité de projection. Malgré une interprétation peu nuancée manquant légèrement de sensibilité, la jeune actrice est prometteuse et l’on ne peut que faire confiance au temps pour qu’elle acquière davantage d’expérience. Karelle Tremblay, pour qui il s’agit d’une première expérience au théâtre, prête sa voix à la Jeune Femme, dans un jeu qui manque lui aussi de nuance, mais qui laisse entrevoir une belle profondeur et une émotivité laissant le·la spectateur·rice sur sa faim. Sylvie Drapeau, quant à elle, est fidèle à son habitude et en met plein la vue de par la précision de son jeu et de l’émotion qu’elle transmet aux spectateur·rice·s. Il est vrai qu’il ne s’agit pas de sa première expérience en tant que monologuiste ; c’est elle qui a porté sur scène la trilogie La Délivrance de Jennifer Tremblay, en 2016, au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui.
Adaptation réussie
Le texte, ici, est véritablement la force de la pièce ; il en constitue la colonne vertébrale. Dans une déroutante authenticité mêlant le fleuve et l’importance qu’il occupe dans son parcours, Drapeau manie habilement la langue en usant d’images toutes plus frappantes et touchantes les unes que les autres. La syntaxe et le vocabulaire complexes résonnent cependant étrangement dans la bouche d’une petite fille.
L’adaptation du roman au théâtre est une réussite, mais les personnages sont stéréotypés : la mère cuisinière, réconfortante, le père stoïque et violent à ses heures et l’adolescente renfrognée et rebelle, qui cherche à tout prix à se détacher de sa mère, mais qui lui revient inévitablement. Peut-on cependant réellement contester la construction des personnages si c’est ainsi que l’autrice a choisi de coucher sur papier des membres de sa famille ?
De par le texte, le visuel épuré et le jeu touchant des comédien·ne·s, l’on ne peut que dire de la pièce Fleuve qu’elle est une réussite. Toutefois, elle s’enrichirait d’une exploitation plus poussée du jeu choral, qui permettrait d’alléger le monologue reposant sur les épaules des trois comédiennes principales.