Un rapport de GLAAD (Gay & Lesbian Alliance Against Defamation ), organisme américain qui étudie les représentations des personnages LGBTQ+ dans les médias, sorti le 7 novembre dernier, notait une augmentation de personnages issus des communautés queers dans les séries télévisées diffusées aux heures de grande écoute. La question de la représentation des personnes LGBTQ+ semble avoir atteint la sphère de la création audiovisuelle, et certaines séries comme Pose sont des objets hors normes tant elles sont inédites sur nos écrans. À ce sujet, il n’est pas rare d’entendre que l’élan pour représentation constitue une mode, un bon ton auquel la télévision se plierait. Bien qu’il n’y ait pas de doute que les chaînes trouvent un intérêt économique ou bénéficiant parfois d’une image progressiste, le phénomène ne doit pas seulement être réduit à cette recherche de profit.
Se voir, être vu·e
Les séries ont cet avantage que peu d’autres formes d’arts possèdent : l’accessibilité. Presque débarrassées d’enjeux économiques ou géographiques qui barreraient leur accès, elles sont une manière de créer et de parler du monde pouvant facilement toucher un grand nombre, et donc en influencer tout autant. La construction sociale s’opérant aussi dans la manière dont l’on s’identifie aux personnages fictifs, à la représentation à laquelle l’on a accès, le rôle qu’ont les séries est donc prépondérant dans la formation identitaire.
On remarque, ces dernières années, une augmentation notable de la représentation des personnes LGBTQ+ à l’écran. La télévision, auparavant dominée par un certain type de masculinité, puis ouvert à un certain type de féminité, semble élargir ses récits à des personnes vivant leurs identités de genres et leurs sexualités en dehors des carcans hétéronormés. Ces récits qui jusqu’alors étaient marginalisés sur les écrans participent dorénavant à des efforts de visibilité pour ces personnes.
Certaines séries, comme The L World, Queer as Folk, Glee ou plus récemment Pose, ont été à leur tour pionnières dans cette représentation, donnant à chaque fois une voix nouvelle à ces personnes dans le paysage audiovisuel. Ces objets télévisuels deviennent des espaces d’identification permettant aux personnes queers de se voir exister ailleurs, et permettent parfois même de faire communauté à travers des bases de fans solidaires qui deviennent des lieux de rencontres queers. L’un des enjeux de la queerness, en particulier lors de l’enfance et de l’adolescence, concerne l’isolation. En se voyant à l’écran, les personnes queers peuvent ainsi se défaire d’un poids : celui d’accéder à un autre type de réel dont iels font partie. Si la télévision n’est pas forcément un miroir de la société où elle prend place, elle peut donc être une manière d’imaginer des trajectoires qui ressemblent à une autre, d’autres chemins tracés que ceux nourris par l’anxiété de grandir en tant que personne queer.
La représentation, car elle se doit d’être fidèle, s’inscrit dans un geste bien plus que symbolique. C’est un travail qui est laborieux ainsi que complexe et qui se doit d’être fait par les personnes concernées.
La télévision, auparavant dominée par un certain type de masculinité, puis ouvert à un certain type de féminité, semble élargir ses récits à des personnes vivant leurs identités de genres et sexualités en dehors des carcans hétéronormés
Poursuivre les luttes à l’écran
Ainsi, la représentation comprend des dimensions importantes, et même vitales, pour les communautés LGBTQ+, historiquement marginalisées dans l’espace et le discours public. La représentation n’est pas seulement un enjeu moral ou de bienfaisance, certaines de ses implications sont ancrées dans des réalités économiques et d’emplois. Représenter doit aussi signifier l’embauche et la rémunération de personnes LGBTQ+ qui doivent être incluses dans leur représentation. Bien que cela soit pris en compte, il arrive encore fréquemment que des rôles de personnages queers soient joués par des acteur·rice·s hétérosexuel·le·s et cisgenres. C’est un phénomène qui a pu avoir un impact disproportionnel sur les acteur·rice·s transgenres, lorsque des rôles écrits sur des personnages transgenres étaient donnés à des artistes cisgenres. Cette exclusion est problématique car elle soulève des questions de légitimité, c’est-à-dire que ces récits ne sont pas interchangeables et ne devraient pas être habités par des personnes qui ne les comprennent pas pleinement. Ensuite, lorsque ce sont les seuls rôles auxquels les personnes LGBTQ+ pourraient avoir accès, cela ne fait que marginaliser d’autant plus ces personnes sur le marché du travail.
Il est aussi important de noter que cette augmentation de la représentation ne signifie pas un avancement à vitesse égale des luttes pour toutes les personnes LGBTQ+. Les hommes gays, en particulier, restent parmi les plus représentés des communautés queers, représentant 42% des personnages LGBTQ+ sur les services de streaming, et 38% à la télévision, selon GLAAD. Au niveau de la représentation des personnes transgenres, sur 38 personnages transgenres récurrents dans les séries en 2019, toutes plateformes confondues, 82% étaient joués par des acteur·rice·s transgenres. Ensuite, la représentation LGBTQ+ reste majoritairement blanche dans les séries. Les personnages queers blancs représentent dans les séries de streaming 55%, contre 19% pour les personnages noirs, 15% latinos, et 5% asiatiques. Les chiffres du rapport de GLAAD sont disponibles sur le site Internet de l’organisme.
Une nécessité
La représentation dans les séries constitue un effort qui comprend des dimensions multiples, touchant autant les conditions socio-économiques des concerné·e·s que leurs parcours identitaires. C’est une manière d’ouvrir des portes, de tendre une main. On peut douter de la sincérité de cette entreprise, mais ces efforts restent une nécessité, une vitalité. Si l’argument disant que cette représentation est l’effet d’une mode est assez répandu, les chiffres sont suffisants pour répondre à une telle prétention : seulement 10,2% des personnages de séries en 2019 étaient LGBTQ+. L’argument de la mode semble être donné par celles·ceux qui trouvent gênant de bousculer l’ordre établi dans la représentation audiovisuelle, ne s’identifiant pas pour l’une des premières fois aux personnages sur leurs écrans, « l’espace n’est pas que pour moi ? » Cependant, il faut mentionner que cette présence LGBTQ+ ne doit pas être optionnelle ou discutable, les séries étant l’un des seuls espaces à ce jour où un réel travail est accompli allant dans un sens positif pour les communautés queers. L’argument de la sincérité se pose quand la représentation est instrumentalisée, juste pour conformer à une certaine esthétique queer qui sonne faux et ne résonne pas chez les personnes censées être représentées. Une réelle approche intersectionnelle de cette représentation reste à poursuivre, pour que des séries comme Pose ne soient pas noyées dans un océan de représentation cisgenre, hétérosexuelle, de classe moyenne et blanche.
Les séries, par leur capacité à nommer et à illustrer le réel, et par l’échelle à laquelle elles sont diffusées, peuvent ainsi s’inscrire dans un travail artistique complexe dont la portée politique doit être pesée. Souvent pionnières dans l’articulation des récits queers, ces séries sont nécessaires pour la visibilité et l’inclusion des personnes queers dans la société, mais surtout pour la modeler et tendre vers un monde moins hétérosexuel, moins blanc, moins masculin et moins binaire.x