Aller au contenu

Mythologie : Laurent D.-Tardif

Le Québec célèbre son cheval de Troie américain. 

Parker Le Bras-Brown | Le Délit

Les journaux s’affolent : « La folie Laurent Duvernay-Tardif s’empare du Québec. » « Les défis de Laurent Duvernay-Tardif et des Chiefs au Super Bowl. » « Laurent Duvernay-Tardif au Super Bowl : fierté chez ses parents et amis. »

Le Québec s’est trouvé une nouvelle fierté existentielle : un Québécois est allé au Super Bowl. Laurent Duvernay-Tardif est bloqueur des Chiefs de Kansas City. Les admirateurs de LDT ont donc pris pour les Chiefs, même si la plupart d’entre eux n’étaient probablement pas capables de nommer dans quel État américain se trouve Kansas City. Qu’importe, l’exploit en lui-même vaut les louanges qu’il reçoit. Comme le dit lui-même LDT : « Le Super Bowl transcende le sport ». De quel exploit, de quelle transcendance parlons-nous ?

L’exploit sous-jacent est surtout celui d’une conquête. Car oui, un Québécois dans la ligue majeure de football, c’est une conquête en soi. Notre Neil Armstrong à nous qui est allé planter le fleurdelisé en plein cœur de la bannière étoilée. David Saint-Jacques peut aller remettre sa combinaison spatiale. C’est comme si « le Québec » connaissait Laurent Duvernay-Tardif.  Avec son double nom de famille rappelant la curieuse mode typiquement québécoise francophone des années 1990, Laurent pourrait être le fils de n’importe qui, le cousin d’un tel, l’ancien camarade de classe de celui-ci. Le Québec n’a jamais rien créé de si beau. 

Toutefois, Laurent n’est pas simplement un joueur de football ; il est également médecin, possède une fondation, une galerie d’art, etc. La combinaison peu commune de ces attributs est saisie par le Québec médiatique pour en faire un nouveau héros, le parangon de ce qu’il est possible de qualifier de réussite. LDT devient alors la personnification d’un rêve américain nappé de sauce poutine. Si on veut, c’est-à-dire si le confort bourgeois, la fréquentation d’établissements scolaires privés et d’universités prestigieuses nous sont familiers, on peut ! Né pour un petit pain ? Certainement pas – regardez Laurent ! 

Saint Laurent

« Un Québécois remporte le #SuperBowl ! Quel bonheur de voir le Québec rayonner à travers le monde ! (…) Laurent, tu fais la fierté de tout un peuple ce soir. » Oui, comme le premier ministre l’a déclaré, le peuple égaré a retrouvé sa lanterne, sa nouvelle Céline Dion qui lui permettra de s’affirmer devant la face du monde, notre Achille qui nous a permis de pénétrer la cité interdite. Peut-être même que Patrick Mahomes, quart-arrière des Chiefs, est maintenant capable de pointer le Québec sur une carte du monde ! Vive le Québec ! 

Twitter a également pris des allures de chapelle alors que les fidèles ont pu y déposer leur prière à Saint Laurent. « Dans des salons, bars, restaurants et cinémas partout dans la province, bon nombre de Québécois ont pu voir les Chiefs et leur compatriote Laurent Duvernay-Tardif gagner le Super Bowl. » C’est la victoire de LDT. Ce ne sont pas les Chiefs qui l’ont emporté. C’est la victoire du p’tit gars de Mont-Saint-Hilaire ; c’est la victoire de Laurent Duvernay-Tardif. Il marque l’Histoire pour le Québec. Quel fier patriote avons-nous !

Toutefois, tout cet emballement est un masque, une distorsion de la véritable conquête ayant déjà eu lieu. C’est bien triste. Il n’y a rien de québécois au Super Bowl. Ces mêmes Québécois si fiers de leur patrie ne trouveront rien à dire à dépenser de leur temps libre pour écouter des publicités américaines avec grand plaisir, chaque publicité devenant une « œuvre d’art » à apprécier. Au contraire, LDT est plutôt le symptôme du cheval de Troie nous ayant déjà conquis depuis des décennies. Devrait-on se demander pourquoi nous excitons-nous pour l’événement le plus american qui soit ? Quel est l’apport du Québec dans le développement de cette 

manifestation culturelle ?

En vassal jouant au seigneur, la province se donne le droit de célébrer la victoire d’une bataille historique. C’est toutefois oublier que le Québec a perdu la guerre de l’existence culturelle bien avant la naissance de notre Saint Laurent. Hystériques, nous avons accueilli le cheval. Dans cette histoire, nous portons le rôle de Troie. 


Articles en lien