Au détour de clips vidéo musicaux sur YouTube, une miniature colorée apparaît dans les suggestions. On clique, l’image s’agrandit : un fond de couleur uni, un·e artiste qui chante, et c’est tout. Le son est vibrant, l’image est saisissante, mais pas distrayante. L’attention est concentrée totalement sur la performance.
Innovation monochrome
Cette vidéo, c’est l’une de celles mises en ligne par la chaîne de la plateforme musicale COLORS. Créée en février 2016 par Philipp Starcke et Felix Glasmeyer à Berlin, cette plateforme met en lumière (et en couleur) différent·e·s artistes. Si le concept paraît simple, les vidéos atteignent entre 500 000 et 30 millions de vues. C’est d’ailleurs l’un des objectifs de COLORS : mettre en avant des talents émergents. D’après son site, la plateforme se veut proposer une scène minimaliste, afin de mettre en avant des artistes dont les sonorités sont originales, pour leur permettre de faire entendre leur musique sans aucune distraction. Pour un article du magazine Time, Philipp Starcke déclarait qu’ils voulaient faire quelque chose de simple à regarder, afin de permettre aux gens de se retrouver dans un niveau créatif et émotionnel. La devise de COLORS, c’est « all colors no genres » (toutes les couleurs, pas de genre musical). Les vidéos gardent une constance dans leurs choix esthétiques, mais pas dans le style de musique qu’elles présentent, ce qui participe à leur popularité.
L’un des exemples clés de cette propulsion permise par COLORS est celui de la chanteuse californienne Billie Eilish. En août 2017, elle présentait, sur fond jaune vif, son morceau watch issu de son premier EP Don’t Smile At Me. Elle avait alors seulement quinze ans et comptait environ 35 000 abonnés sur YouTube. Si la vidéo n’est pas l’unique raison de son succès, elle lui procurera tout de même un élan de visibilité. Du côté francophone, la chanteuse belge Angèle a récemment chanté son morceau Perdus en avant-première sur la plateforme, après y avoir joué Ta Reine un an plus tôt. L’artiste montréalais Pierre Kwenders — cofondateur du collectif Moonshine — y délivre également une performance de Amours d’Été, en juin 2019.
Les artistes sont seul·e·s, avec un micro et parfois leur instrument. La couleur s’accorde parfaitement avec les vêtements de l’artiste, l’esthétique est feutrée et paraît presque sans effort. Ces ingrédients plaisent aux chanteur·euse·s et musicien·ne·s. Nombre d’entre eux·elles jouent d’ailleurs des chansons qu’ils·elles n’ont pas encore sorties officiellement, ou qui viennent tout juste de sortir. L’atmosphère presque « privée » offre une impression d’avant-première, d’exclusivité, à quoi s’ajoute l’authenticité d’une performance « en direct ». Impression que les artistes peuvent intégrer dans leur stratégie de communication. La visibilité gagnée par la performance COLORS devient ainsi un indicateur de popularité. Si la chanson, sortie en avant-première sur la plateforme, reçoit un nombre de vues élevé, cela donne une bonne indication du succès potentiel de celle-ci. Le coût et les efforts sont d’ailleurs moins élevés que pour la production d’un clip musical.
Si le concept paraît simple, les vidéos atteignent entre 500 000 et 30 millions de vues, selon la popularité des artistes
Diffusion repensée
Ces vidéos ne remplacent pas complètement les campagnes de communication traditionnelles, mais elles s’inscrivent dans ces nouvelles techniques publicitaires digitales. Ces dernières reposent sur plusieurs médiums artistiques et plateformes. Si les réseaux sociaux émergent comme des interfaces de communication majeures, depuis maintenant plusieurs années, le succès ne dépend pas seulement de leur usage, mais plutôt d’un tout. La musique ne doit pas seulement être entendue, mais également vue. Le succès sur les médias sociaux repose donc sur un ensemble : il faut réussir à se construire une identité visuelle digitale en plus d’une identité musicale.
Selon l’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ), les artistes issu·e·s de l’industrie musicale font partie de ceux qui sont le plus suivis sur les réseaux sociaux. Cela n’est pas anodin. La présence sur les réseaux sociaux va de pair avec une présence sur les plateformes de streaming. Ces dernières se sont imposées ces dernières années : en 2016, le nombre d’utilisateur·rice·s de Spotify était d’environ 30 millions, chiffre qui a plus que triplé pour atteindre 100 millions en 2019. Il en est de même pour Apple Music, créé en 2015 et qui atteint aujourd’hui 60 millions d’utilisateur·rice·s. Le lien entre plateformes d’écoute et réseaux sociaux est lui aussi encore plus étroit. Si l’on prend l’exemple de Spotify, chaque artiste détient un profil s’apparentant à celui que l’on pourrait trouver sur Facebook ou Instagram. Les ponts entre les applications se multiplient, avec par exemple une fonctionnalité permettant de partager directement une chanson depuis sur Spotify dans une story Instagram.
Les artistes issu·e·s de l’industrie musicale font partie de ceux qui sont le plus suivis sur les réseaux sociaux
COLORS se trouve ainsi à cette intersection. Elle se décline sur toutes les plateformes majeures : YouTube, Facebook, Instagram, et met aussi ses performances en ligne sur la plateforme de streaming musical Spotify. Elle repose aussi sur une technologie moderne, tant dans son aspect musical et sonore qu’au niveau du design digital. Dans ses choix esthétiques, comme d’artistes, COLORS fait preuve d’une maîtrise de plusieurs éléments de modernité tant dans la vidéo que la musique.