Étoile montante de la scène musicale française, Yseult était en concert à Montréal le jeudi 27 février au Centre Phi. Celle qui mélange les sonorités pop et trap nous a accordé quelques minutes de son temps pour se prêter au jeu de nos questions, dans une atmosphère chaleureuse et ponctuée de ses fous-rires contagieux.
Le Délit (LD) : Comment te décrirais-tu en trois mots à celles et ceux qui ne te connaissent pas ?
Yseult (Y) : À ceux et celles qui ne me connaissant pas je dirais que je suis très brut de pomme, excessive et honnête, même si ça peut faire mal. Je préfère être franche. Et ce n’est pas honnête en mode mean, c’est de la bienveillance.
LD : Comment as-tu trouvé l’accueil du public montréalais au Centre Phi ce jeudi 27 février ?
Y : C’était incroyable. J’avoue que je ne m’attendais pas à ça. Parce que déjà, c’est la première fois que je voyage via mon métier : la musique. Quand j’ai pris l’avion je ne savais pas encore que j’avais fait un sold-out. Mais quand je suis arrivé à la salle au Centre Phi et qu’on m’a dit « Ouais meuf t’es sold-out et tout » j’étais là genre « Quoi ! ». À Paris, quand on avait fait mon premier concert c’était que 200 personnes et là je vais à l’autre bout du monde et on fait une salle de 400 places ! Et c’est incroyable parce que les gens ont acheté leurs billets alors qu’il neige de ouf ! Et en fait il y avait v’la du monde ! Les gens étaient hyper attentifs, hyper respectueux, ils étaient tellement contents. En fait, je sentais que les gens étaient investis. Ça ne faisait pas l’artiste et ses fans, je trouve qu’il y avait vraiment une sorte de communion.
LD : Et est-ce que c’est quelque chose qui est important pour toi de créer ce lien avec le public et de ne pas prendre de la distance ?
Y : De ouf ! Je pense que là, on a dépassé un stade avec les réseaux sociaux où on est en contact permanent avec les gens, et je pense qu’on est à égalité. Donc, du coup, même si je suis dans mon personnage physiquement, je sais que mentalement, dans ma tête, je resterai toujours Yseult, jeune fille de 25 ans qui se tape des barres H24 en mode chill. Je trouve que c’est important d’être soi-même et ça n’empêche pas d’être en mode slay queen, slay bitch, mais respecte au moins les gens qui sont là parce qu’on est au même niveau, tu vois ?
LD : Justement, dans cet aspect de création de communauté, qu’est ce qui, selon-toi, attire tes fans vers ta musique en particulier ? Qu’est ce qui caractérise les fans d’Yseult ?
Y : Je pense que c’est des gens qui sont en quête de sincérité et qui n’en ont rien à foutre du regard des autres. Je pense que c’est surtout des personnes qui ont juste envie d’être elles-mêmes et je pense que les gens qui écoutent ma musique ont besoin d’avoir cette proximité, de se sentir investis et en même temps, d’avoir face à eux un personnage. Ce sont des personnes qui ont confiance en elles, ou pas, mais qui sont en cours d’avoir confiance en elles et qui, dans leurs vies, en ont marre de devoir se brider pour ne pas être elles-mêmes. Je pense que ça doit être ça ma communauté et je suis assez fier d’elle.
LD : Comment est-ce que tu définirais ta musique en termes de genre, de style ?
Y : Je pense qu’il y a deux côtés : la pop et la trap. Et aujourd’hui, je n’arrive pas encore à choisir entre ce que je veux vraiment être : the queen of pop ou alors the queen of the trap shit ? Mais du coup, j’ai un peu ces deux côtés qui sont là et du coup je n’arrive pas trop à choisir. Je pense que c’est surtout une musique qui est sans compromis. Quelque chose qui est très intime, introspectif, qui est hyper frontal, hyper brut et qui en même temps est hypersensible. Je pense que c’est un mélange de tout ça.
LD : Et on voit que ton style a vraiment évolué en quelques années. Quand on écoute Rouge et Noir, qui sont tes derniers projets aux influences plus trap, cela change beaucoup de ton premier album sorti en 2015. Comment as-tu vécu ce voyage musical ? Qu’est-ce qui a changé ?
Y : Je pense que [ce voyage] était hyper difficile dans le sens où, là, aujourd’hui, j’ai créé mon propre label. Je me manage toute seule, je produis tout toute seule. Et j’avoue que je peux enfin dire que je n’appartiens à personne, que j’ai 100% de ma musique, 100% de mon corps et qu’en gros, je n’ai pas de boss. I am the boss. Ça c’est trop bien parce qu’avant je ne produisais pas mes musiques, je n’avais pas de droit de regard sur ce que je faisais. Maintenant je peux bosser avec qui je veux, je peux dire ce que je veux. Je n’ai pas un attaché de presse qui me dit ce que je dois dire ou ce que je ne dois pas dire ; et c’est trop bien parce que du coup, j’ai ma propre structure, je suis indépendante. Aujourd’hui, la différence, c’est juste que je suis la propre chef de mon projet, de ma vie et ça, ça n’a pas de prix.
LD : C’est donc maintenant toi qui crées ta propre équipe. Est-ce important ? Comment t’entoures-tu ?
Y : Je pense qu’il y a beaucoup de sentiments là-dedans, dans le sens où je sais que ce sont des gens sur qui je peux compter. Ce sont des gens en qui j’ai une confiance absolue et je sais que, quoiqu’il arrive, ils seront toujours là. Je pense que, quand tu entreprends dans la vie, l’entourage c’est hyper important parce que ce sont ces gens qui font les fondations de ta maison, tu vois. Et si tu veux que ton projet soit solide, faut avoir une équipe qui est juste incroyable. Et c’est hyper difficile de trouver ça. Je pense qu’autour de moi, aujourd’hui, il y a beaucoup de bienveillance et j’avoue que je suis hyper reconnaissante parce que c’est hyper compliqué d’avoir des gens qui veulent vraiment ton bien en permanence, même dans la vie en général. Et franchement, à partir du moment où il y a cette synergie, je pense que c’est là où tu peux te dire « ok là maintenant j’ai mon équipe » et que tu peux, ou pas, faire rentrer des gens dans ton équipe. Après, je pense que le plus dur, c’est de manager ton équipe et vu que je n’ai pas de manager, j’avoue que je dois le faire au quotidien. Donc c’est des gens qui ont 30 ans ou 40 ans et moi j’ai que 25 ans, donc c’est gérer les équipes et les égos de chacun.
LD : Pourrais-tu nous en dire plus sur ton processus créatif ? Certaines personnes se laissent d’abord bercer par leurs influences du moment, d’autres par une mélodie ou d’abord par des paroles. Comment cela se passe pour toi ?
Y : D’abord, je fais tout au piano. Du coup t’as un pianiste qui s’appelle Ziggy, qui est bruxellois et en gros, il va jouer plein d’accords, et on va s’arrêter sur ceux qui moi me touchent. Ça peut prendre une demi-journée comme ça peut prendre cinq minutes. Et ensuite, une fois qu’on a trouvé ces accords, là je commence à créer la mélodie sans forcément avoir de paroles. Et ensuite, dès que j’ai ça, dès qu’on a le piano et la mélodie, je l’enregistre. Et dès que j’ai fini d’enregistrer, là, je commence à me mettre au texte et lui commence à produire le son avec Romain. Et en gros, ça donne la chanson. C’est tout le temps comme ça, mais je n’arrive jamais à faire l’inverse, je n’arrive pas à écrire ou composer sur des **prods** déjà toutes faites.
LD : Dans ton évolution musicale, on sent aussi un engagement plus significatif de ta part et une affirmation des différentes facettes de ton identité, qu’il s’agisse d’expériences reliées à ta racisation en tant que personne noire ou à ton image corporelle. Est-ce quelque chose qui était, pour toi, important d’intégrer à ta musique au cours de ton évolution ?
Y : Je pense qu’il est important que les gens arrivent à s’identifier à un artiste. Et si ce n’est pas physiquement, je pense que c’est par la musique. Après, c’est vrai que c’est hyper dur de devoir être la porte-parole de plusieurs communautés. Parce que moi, j’ai l’impression d’être vraiment la porte-parole de plusieurs communautés. Que ce soit la communauté LGBTQI+, noire, grosse, les filles avec des perruques, les filles avec des afros… Et du coup, c’est vrai que c’est hyper impressionnant et en même temps, c’est hyper flatteur. Parce que je me dis que moi, à la base, avant de faire de la musique je n’avais jamais eu de référent, et je n’en ai toujours pas en France. Sauf peut-être ma meilleure pote Lous and The Yakuza qui vient d’arriver, mais avant qu’elle arrive, I was fucking alone !
Je pense que, ouais, c’est important que les gens arrivent à s’identifier. Après, c’est hyper dur de satisfaire tout le monde, parce que je sais que, par exemple, plus de 79% de ma communauté c’est que des femmes, les hommes…où sont-ils ? Mais, malgré ça, je suis trop contente parce que ma communauté est quand même hyper éclectique et il y a vraiment trop de confidence. Ils sont tous trop contents en fait, tout le monde est content, c’est trop cool !
LD : Justement, lors d’une entrevue pour l’émission Clique, Lous and The Yakuza faisait part de toutes les barrières qui s’opposent à la réussite des femmes noires dans l’industrie musicale française. Dans ce contexte, qu’est-ce qui t’as permis de garder la foi et d’avoir toujours confiance en ta réussite à venir ?
Y : Ce qui m’a permis de garder confiance en moi, je pense que ce sont mes fans, dans le sens où plus ta communauté grandit, plus tu te dis que c’est hyper compliqué de faire une sorte de blackout, en mode « ça n’a pas marché, bye ». Là, j’ai l’impression que je suis un peu dans un entre-deux parce que ce métier est hyper compliqué, et ça me saoule, et parfois j’ai envie de tout arrêter. En même temps, si je le fais, je trouve ça hyper égoïste par rapport aux gens qui me suivent, qui achètent et qui streament ma musique, parce qu’ils sont un peu plus nombreux aujourd’hui. Je suis un peu dans une sorte de dualité entre « La musique c’est trop bien, regarde comme tu as évolué et regarde tout ce qu’il t’arrive aujourd’hui » et un délire de « Je ne vois pas le bout du tunnel, j’ai envie de tout arrêter. Ça me casse les couilles, c’est bon, ça me saoule. » Mais en même temps, la troisième étape c’est : « En fait je ne peux malheureusement plus trop repartir en arrière avec ce qui est en train de se passer aujourd’hui. »
LD : Et face à ce train qui s’emballe, quelle est phrase que tu te répètes pour garder un bon état d’esprit et aller de l’avant en 2020 ?
Y : Je pense que c’est : « Tu dois réussir, tu dois réussir. T’as pas le choix et t’as pas de plan B. Tu dois réussir, t’as pas le choix. »
LD : Avec qui réaliserais-tu la collaboration musicale de tes rêves ?
Y : Ce serait avec FKA Twigs ou Sevdaliza.
LD : Et si ta vie devait être un film, qui choisirais-tu pour te jouer ?
Y : Je dirais Aïssa Maiga.
LD : Est-ce que tu penses revenir à Montréal ?
Y : Bien sûr ! Là, on est déjà en train de checker une salle encore plus grande. On regarde aussi pour Québec et Toronto.
LD : Quelles sont tes prochaines dates ?
Y : Alors mes prochaines dates vont être à Londres, Bordeaux, Marseille, Bruxelles… Il y en a plein, et notamment le Trianon à Paris le 18 novembre !