Le Délit s’est entretenu avec le spécialiste Daniel Béland, professeur titulaire de la chaire James McGill au Département de sciences politiques et directeur à l’Institut d’études canadiennes de McGill (IÉCM), sur les conséquences de l’épidémie mondiale de COVID-19 au Canada. Cet article est le deuxième d’une série de quatre, portant sur les conséquences du virus sur le panorama politique canadien.
Le Délit (LD) : Est-ce que les partis d’opposition sont défavorisés par la crise en ce moment ?
Daniel Béland (DB) : Oui, absolument. On le voit dans les sondages : les libéraux sont en tête au niveau fédéral, et en plus par une longueur d’avance importante. On voit qu’ils ont augmenté leur avance dans toutes les provinces, à part la Saskatchewan et l’Alberta, mais même là, ils ont amélioré leur score. Si on regarde l’Ontario, ils sont à plus de 50% des intentions de vote. Même au Québec, ils ont augmenté. Donc, s’il y avait une élection demain matin, les libéraux l’emporteraient avec un gouvernement majoritaire. D’après les prédictions, j’ai lu 191 sièges ou même plus. En général, une crise comme ça, ça avantage toujours le parti au pouvoir. Et au Québec, c’est la même chose. François Legault dispose du soutien de plus de 87% des Québécois.
LD : Mais il est retombé à 77% aujourd’hui [le 12 mai].
DB : Oui c’est ça, c’était 87%, mais ce matin, ça retombe. Je pense que la stratégie de retour graduel, le décloisonnement graduel, crée du mécontentement, surtout à Montréal, et cela affecte la popularité de François Legault. Mais en général, une crise comme celle-ci, en tout cas au début, aide généralement les politiciens. Pour ce qui est de Trudeau, des libéraux, c’est vrai qu’il y a eu des problèmes au sujet de la fermeture des frontières au début de la crise. Mais c’est après que la situation s’est améliorée, alors que Legault a eu beaucoup de soutien populaire plutôt au début. Le Québec a pris des mesures souvent avant les autres provinces, avant l’Ontario par exemple, ce qui a augmenté la popularité de François Legault. Mais l’on voit maintenant que le Québec a des statistiques vraiment négatives, pour ce qui est du nombre de morts surtout. Et puis on voit aussi que la question du décloisonnement affecte négativement le soutien pour François Legault. Le sondage que j’ai vu ce matin, par exemple, montrait qu’il y a plus de soutien en Ontario envers Doug Ford qu’envers François Legault au Québec.
Les statistiques restent quand même impressionnantes. Ça laisse un taux de popularité qui est élevé pour Legault, même si c’est un peu moins qu’au début de la crise. Cela arrive quand on prend des décisions qui sont plus controversées. Ça a un effet sur la popularité.
LD : Actuellement, on a un gouvernement minoritaire au niveau fédéral. En vue de cela, est-ce que les partis d’opposition, notamment le Nouveau Parti Démocratique (NPD) et le Bloc Québécois, collaborent avec le gouvernement et ont un rôle à jouer dans cette crise ?
DB : Oui, tout à fait. Ils ont joué un rôle en l’aidant à faire passer des mesures d’urgence, comme le soutien à l’emploi, l’aide aux chômeurs. Et ils vont continuer à jouer un rôle important. Bon, pour le Bloc, récemment, il y a eu un peu de bisbille où M. Blanchet a fait une sortie publique contre les experts fédéraux, et puis même contre Justin Trudeau. Je ne sais pas si ça va vraiment aider le Bloc. Mais en tout cas au niveau fédéral, je pense que le Bloc et le NPD n’ont pas trop le choix que d’aider les libéraux dans une situation comme celle-là, surtout que les mesures qui s’annoncent sont des mesures d’urgence très générales. On dépense beaucoup d’argent rapidement pour aider les chômeurs, pour essayer d’aider l’économie. Cela s’aligne bien, sur le plan idéologique, avec ce que ces partis feraient normalement, et c’est ce qu’ils avaient aussi prôné en 2008–2009 lors de la crise financière.
LD : Qu’en est-il des conservateurs ?
DB : Les conservateurs sont dans une situation très difficile. Andrew Scheer ne se débrouille pas si bien que ça durant la crise. Et puis, Peter MacKay a aussi fait des déclarations controversées. MacKay, rappelons-le, est l’opposant de Scheer dans la course à la chefferie des conservateurs, qui est toujours en cours après que le parti ait pris la décision de reporter la date du vote à cause du coronavirus.
Je pense que les conservateurs sont ceux qui en arrachent le plus en ce moment. On le voit dans les sondages. Il y a même des gens qui disent que les libéraux devraient déclencher une élection à l’automne, mais je pense que, compte tenu de la situation sanitaire en main, les chances que cela se produise ne sont pas si élevées que ça.
Donc, non seulement les libéraux ont-ils un gouvernement minoritaire fort — ils n’ont besoin que du soutien d’un parti d’opposition, que ce soit le Bloc ou NPD ou les conservateurs, pour faire avancer leur agenda législatif —, mais en plus, maintenant, ils ont un premier ministre qui est plus populaire qu’avant la crise et même qu’avant les dernières élections fédérales, et certainement plus populaire qu’il l’était après l’affaire SNC-Lavalin. Les libéraux sont dans une situation de force. Et je ne vois pas comment, à court terme ou même à moyen terme, les partis d’opposition essaieraient de faire tomber le gouvernement.
LD : Que pensez vous de la durabilité de cette popularité ? Pensez-vous que c’est seulement un trait de la crise ? Ou est-ce que la popularité des libéraux va perdurer même bien après ce confinement ? De même pour la CAQ au Québec ?
DB : Je pense que ça va dépendre beaucoup de ce qui se passe. Vous savez, la popularité peut s’effriter rapidement si les problèmes économiques perdurent, donc, si le retour à la normale est partiel et qu’on a des taux de chômage qui restent très élevés. Quand l’économie va mal, en général, ça affecte le soutien aux élus politiques. En ce moment, il y a une crise sanitaire, donc ça change un peu la donne. Mais si la crise économique s’éternise, ça devrait à terme réduire la popularité de surcroît.
Et c’est la même chose au Québec. Donc, la CAQ — il ne faut pas l’oublier — s’est fait élire quand il y avait une situation économique exceptionnelle : surplus budgétaire, économie avec un taux de chômage vraiment très bas. Mais là, on se retrouve, au Québec, comme ailleurs. Le Québec a même le taux de chômage le plus élevé du pays. Et ça, avec le déconfinement partiel qui arrive, ça devrait payer un peu la popularité de M. Legault. Je ne prédis pas l’avenir, mais c’est sûr que, de toute façon, vu la popularité tellement élevée de M. Legault, ça ne peut que descendre, maintenant.
Les propos de M. Béland ont été édités par souci de concision. Propos recueillis le mardi 12 mai.