Dans le cadre d’un webinaire organisé par l’Institut canadien d’administration de la justice (ICAJ) le 21 octobre dernier, le chef Ghislain Picard et l’avocat Ken Rock ont discuté des réussites et des obstacles à surmonter en matière d’autonomie et d’autogouvernance des peuples autochtones du Québec. Ghislain Picard, Innu de la communauté de Pessamit, est le chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL) depuis 1992. Ken Rock, Innu de la communauté de Uashat mak Mani-utenam, est quant à lui avocat et directeur général de la Société de développement économique de sa communauté depuis 2016. La discussion était modérée par Me Michèle Moreau, directrice de la protection et de la défense des droits à la Commission des droits de la personne du Québec.
Miser sur l’engagement municipal et sociétal
Ghislain Picard a d’abord résumé sa première responsabilité en tant que chef de l’APNQL : trouver les conditions gagnantes pour engager la classe politique, à tous les niveaux gouvernementaux, avec et envers les peuples autochtones. Alors qu’il n’y aurait pas de « progrès appréciable » du gouvernement québécois quant à ses relations avec les Premières nations depuis octobre 2019 et que le gouvernement fédéral n’a pas encore adopté la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, le chef Picard a beaucoup insisté sur la nécessité d’engager le monde politique municipal quant aux enjeux des peuples autochtones.
L’écoute serait selon lui très positive et encourageante de la part des municipalités, et le chef Picard a abordé en l’espèce l’engagement de la Ville de Montréal. Alors qu’en 2017 coïncidaient le 375e anniversaire de Montréal et le 10e anniversaire de la Déclaration onusienne sur les droits des peuples autochtones, la Ville est devenue la deuxième municipalité au Québec à adopter les principes de cette déclaration, après Val‑d’Or. La métropole a cette même année revu ses armoiries afin qu’elles incluent le pin blanc, symbole des peuples autochtones vivant à Montréal et au Québec. Montréal a également créé en 2018 le poste de commissaire aux relations avec les peuples autochtones. Selon le chef Picard, ces démarches se conformeraient à l’esprit de l’un des premiers traités du continent nord-américain, la Grande Paix de Montréal de 1701. Le chef Picard a d’ailleurs relevé l’importance de trouver dans notre histoire des ressources qui permettraient de relever les défis du racisme et de la discrimination envers les peuples autochtones, des enjeux hautement médiatisés au cours des dernières semaines.
N’ayant pas, selon le chef Picard, été suffisamment consultée par le gouvernement québécois dans la mise sur pied de son Groupe d’action contre le racisme, l’APNQL a choisi de créer son propre plan d’action sur le racisme et la discrimination, dévoilé le 30 septembre dernier. Le chef Picard affirme que le plan se veut un appel à la société civile, un appel à toutes et à tous à se mobiliser pour mettre en lumière et lutter contre les fossés qui séparent les autochtones et les allochtones. En ce qui a trait aux 141 recommandations du plan, le chef Picard a affirmé que l’APNQL avait sélectionné les recommandations qu’elle jugeait les plus réalistes et réalisables des rapports qui avaient précédé le sien, nommément ceux de la Commission Viens, de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et de la Commission de vérité et réconciliation.
Nos communautés sont fermement engagées dans [la] direction [de l’autonomie], c’est notre destination
Ghislain Picard
Bien qu’il ait reconnu avoir peu discuté explicitement d’autonomie et de gouvernance autochtones, le chef Picard a souligné qu’interpeller plusieurs secteurs de la société civile – l’économie, la santé, la justice, l’enseignement, le municipal – , comme le fait le plan d’action de l’APNQL, pourrait contribuer à faire tomber certains murs qui divisent autochtones et allochtones, encourageant ainsi les classes politiques provinciale et fédérale à reconnaître les principes de la Déclaration onusienne sur les droits des peuples autochtones et l’autonomie de ces peuples. « Nos communautés sont fermement engagées dans [la] direction [de l’autonomie], c’est notre destination », a affirmé le chef Picard.
De l’importance du financement
Me Ken Rock a pour sa part discuté de l’autonomie et de l’autogouvernance des communautés autochtones sous l’angle du développement économique et du financement. Les communautés autochtones, n’ayant pas de fiscalité, dépendent entièrement des transferts gouvernementaux pour se financer. Or, ces transferts seraient insuffisants pour offrir des services adéquats au sein des communautés, a affirmé Me Rock, qui a mis en évidence les difficiles conditions de vie dans les réserves afin d’illustrer son argument.
Face à l’insuffisance des transferts gouvernementaux et aux résultats insatisfaisants des négociations de territoire et de compensation avec la classe politique, Me Rock a expliqué que sa communauté s’est tournée vers les compagnies minières pour obtenir un revenu autonome, en négociant avec ou en entamant des procédures contre ces compagnies afin qu’elles « paient leur loyer » pour l’exploitation de ressources naturelles sur son territoire. La négociation d’ententes sur les répercussions et les avantages (ERA) a créé des bénéfices économiques importants pour Uashat mak Mani-utenam, permettant d’offrir davantage de services aux membres de la communauté. En outre, les ERA garantissent des emplois tout en créant des opportunités d’affaires pour Uashat mak Mani-utenam.
Me Rock a tenu à conclure en soulignant que, bien que les compagnies minières jouent un rôle important dans la création de revenus autonomes pour sa communauté, la diversification économique serait cruciale afin d’assurer des revenus autonomes continus s’il advenait une crise économique au sein de l’industrie minière.
La finalité de l’autonomie
Les deux conférenciers ont été interrogés sur leur vision de l’autonomie gouvernementale autochtone. Ils se sont entendus pour dire qu’il n’y avait pas de plafond en termes d’autonomie souhaitée, mettant en évidence l’importance de l’autodétermination et de la souveraineté sur le territoire pour les communautés autochtones. Or, à court terme, Me Rock a affirmé que ces attentes n’étaient pas réalistes, tandis que le chef Picard a souligné qu’aucun gouvernement n’avait démontré la volonté d’aller aussi loin. Le chef Picard a conclu, appuyé par Me Rock, qu’il faudrait aller au-delà d’un contexte où le gouvernement fédéral délègue aux peuples autochtones la capacité de gouvernance, soulignant l’importance de développer et de maintenir leurs propres institutions.