Le gars de Québec, satire politique reprenant Revizor de Nicholas Gogol (1835) et signée par Michel Tremblay, est cette fois mise en scène par Michel Nadeau dans une version « distanciation sociale et représentation virtuelle » au Théâtre La Bordée. La pièce de 105 minutes se déroule dans le Québec « bleu » du parti conservateur de Maurice Duplessis en 1952 et explore les « dangers du métier de crook » dans la ville libérale fictive de Sainte-Rose-de-Lima, à Charlevoix.
Format virtuel
Après avoir acheté un droit d’accès sur le site Internet du Théâtre La Bordée, une clé d’accès à usage unique est envoyée par courriel aux gens qui en ont fait la demande. Le public est ensuite invité à accéder à la pièce de théâtre préenregistrée sur l’appareil électronique de son choix. La clé d’accès ne s’active qu’au moment indiqué sur le billet et demeure valide pour une période de vingt-quatre heures.
La captation vidéo de la pièce est assurée par Production 4 éléments. L’utilisation judicieuse de trois caméras, dont deux plans plus centrés sur les visages des comédien·ne·s, permet de diriger l’attention des spectateur·rice·s sur les expressions faciales de ceux et celles-ci. L’alternance des trois points de vue devient particulièrement intéressante lors des quiproquos et des revirements de situation soudains. Lors de ces derniers, les caméras permettent de souligner, tour à tour, les réactions faciales clés des personnages impliqués, ce qui n’est pas toujours possible lors d’une expérience théâtrale traditionnelle.
Cependant, la mise en relief des expressions faciales directement liées à l’action se fait au détriment du jeu mineur : ce dernier est souvent effacé des plans de la caméra. Le potentiel comique de certains personnages secondaires, tels que la paire d’excentriques notables farfelus campés par Maxime Robin et Israël Gamache, est donc malheureusement diminué.
Mise en scène distancée et décor en « T »
En raison des normes sanitaires actuelles, la mise en scène a été repensée afin d’incorporer la distanciation sociale dans le Québec de Duplessis. En privilégiant les déplacements tournant autour d’un axe central plutôt que de miser sur les déplacements linéaires, Michel Nadeau réussit à préserver le dynamisme d’une mise en scène traditionnelle tout en assurant le respect de la distanciation sociale. En effet, les déplacements circulaires ont l’avantage d’être plus compacts que les déplacements linéaires et permettent ainsi de préserver, de façon restreinte, les interactions actives qui impliquent plusieurs personnages. Lors des scènes plus statiques, l’utilisation efficace de la profondeur de la scène et des angles séparant chaque comédien·ne rendent la distanciation sociale beaucoup plus naturelle.
Le gars de Québec réussit sa mission, soit d’offrir une échappatoire à la situation actuelle
Le choix de ne pas incorporer toute la largeur de la scène dans le décor conçu par Vanessa Cadrin contribue aussi à créer un sentiment d’intimité entre les personnages distancés. En effet, seule la partie centrale de la scène est ornée de motifs rappelant le papier d’emballage des Fêtes. Les deux extrémités de la scène sont laissées dans un noir presque absolu. Le lointain de la scène, quant à lui, fait office de trompe‑l’œil spatial puisque le décor du mur du fond dépasse la largeur de l’espace scénique. Le contraste entre la largeur de ces derniers crée donc un décor en « T » qui offre l’illusion que les comédien·ne·s se situent près l’un·e de l’autre. En libérant ainsi les extrémités de la planche, la mise en scène leur permet d’assister à la pièce entre leurs scènes respectives. Les comédien·ne·s absent·e·s de l’action s’installent donc de chaque côté de la planche, ce qui permet à leurs collègues de ne pas jouer devant une salle complètement vide.
Intrigue prévisible, mais personnages dynamiques
Le gars de Québec réussit sa mission, soit d’offrir une échappatoire à la situation actuelle. Le ton très léger de l’intrigue, caractérisé par l’ampleur caricaturale de la corruption à Sainte-Rose-de-Lima, souligne brillamment le ridicule du quotidien, facilement oublié ces temps-ci à cause de la lourdeur actuelle dans laquelle nous plonge la pandémie. La pièce se permet tout de même quelques références judicieusement dispersées à la pandémie, ce qui apporte du comique à la pièce sans l’alourdir et permet au public de se laisser aller à une certaine catharsis en se moquant d’une situation grave. Cependant, la grande légèreté de l’histoire entraîne aussi une progression dramatique très prévisible. Puisque la pièce tourne autour d’un immense quiproquo, dès les premières minutes de celle-ci, le dénouement est facilement déduit. Les revirements de situation n’apportent donc pas de véritables éléments de surprise et l’intrigue qui en découle semble un peu longue par moments.
Malheureusement, la captation du son efface à quelques reprises les apartés et les parenthèses du personnage
Néanmoins, la présence scénique des onze comédien·ne·s ajoute énormément au rythme de la pièce. Le maire de Sainte-Rose-de-Lima, interprété par Pierre-Yves Charbonneau, représente une excellente critique du dangereux amalgame entre l’ambition et la corruption et Charbonneau réussit à lui apporter une intensité constante. Malheureusement, la captation du son efface à quelques reprises les apartés et les parenthèses du personnage. Olivier Normand, de son côté, dans la peau du fonctionnaire fauché Hubert Lalonde, parvient à incarner la confusion du personnage tout en variant fréquemment ses émotions et intonations. Joëlle Bourdon, qui incarne Marie-Antoine Petit, la fille du maire, mérite également une mention spéciale ; tout au long de la pièce, sa gestuelle et son ton de voix véhiculent superbement la confiance en soi grandissante et le désir d’émancipation qui caractérisent son personnage.
Le gars de Québec est disponible en version virtuelle au Théâtre La Bordée jusqu’au 28 novembre 2020.