En cette période de pandémie, nous sommes bien heureux de profiter des bienfaits des réseaux sociaux qui nous permettent d’entretenir des liens avec nos ami·e·s malgré la distance. Toutefois, ces avantages se retrouvent vite exclus du portrait par la déferlante de mauvaise foi inhérente aux discussions sur ces sites. Les opinions prémâchées des chroniqueurs de type « Bock-Martineau » profitent à coup sûr de cette dictature de l’instantanéité. Leur dernière victime : le racisme systémique qui, au final, n’est une fois de plus qu’un prétexte pour perpétuer un dialogue de sourds.
Il faut se réjouir que nos débats publics ne soient pas une transposition de ceux du monde virtuel de Twitter ou Facebook, car ils auraient autrement la même saveur démagogique que ceux de nos voisins du sud. À en croire Twitter, les Québécois seraient obsédés par la « race », et le racisme systémique serait une théorie aussi infondée que le créationnisme. Les nuances sont véritablement les vraies perdantes dans ces guerres de 280 caractères. L’émotivité de ces débats font gagner des individus comme Jean-François Lisée, qui en profitent pour perpétuer l’incompréhension envers le racisme systémique au Québec en énonçant toutes les idées préconçues et fausses qui existent sur le sujet. Lorsque Maitée Labrecque-Saganash déconstruit les idées reçues sur cette théorie dans le documentaire Briser Le Code, ce nouveau « Bock-Martineau » qu’est Lisée ne tarde pas à réagir de mauvaise foi en prétendant qu’il ne s’agit que de propagande pour endoctriner les jeunes.
Mythes et réalités sur la société québécoise
Il est tout à fait compréhensible, à mon sens, que le racisme systémique soit un concept qui puisse provoquer une certaine peur, un certain recul de la part de plusieurs personnes au Québec. Le racisme systémique peut sembler comme une idée culpabilisante au premier abord, alors qu’en fait, c’est simplement une analyse approfondie des relations entre différents corps d’individus dans notre société. Certains comportements assimilables au Québec Bashing qui se produisent lorsqu’il y a une discussion sur ces enjeux sensibles peuvent expliquer pourquoi l’on tend à afficher certaines réticences.
Systémique ne veut pas dire systématique. Reconnaître qu’il y a du racisme systémique, c’est tout simplement reconnaître qu’il existe dans nos sociétés des préjugés et attitudes inhérents et persistants qui défavorisent certaines personnes : ni plus, ni moins. Plusieurs Québécois·es craignent que la reconnaissance de ce concept ne soit qu’un prétexte pour les traiter sans aucun fondement de racistes, ce qui peut expliquer la méfiance envers ce terme.
En revanche, ce qui est pour le moins incompréhensible, c’est l’obstination de certain·e·s chroniqueur·se·s populaires qui persistent à nier le concept malgré des chiffres, des statistiques et des rapports qui en font état, comme le rapport Viens qui semble d’ailleurs en passe d’être tabletté. Ces chroniqueur·se·s surreprésenté·e·s dans nos médias semblent prendre un malin plaisir à instrumentaliser la méfiance envers le concept pour aller à contre-courant. Bien expliqué et sans ambiguïté, le racisme systémique peut être compris par chacun·e. Ces « journalistes » instrumentalisent la méfiance envers cette nouvelle réalité et rivalisent de mauvaise foi en mélangeant la discussion sur le sujet avec d’autres enjeux d’actualité comme la censure dans les universités.
Je ne prétends pas être victime de discrimination au Québec. Or, j’ai conscience que les préjugés n’ont peut-être pas encore assez la vie dure
Dans l’esprit des « Bock-Martineau » de ce monde, il ne peut y avoir de racisme systémique au Québec puisque c’est un concept américain. Dans ce cas, peut-être devraient-ils reconsidérer de nombreux concepts de sociopolitique moderne puisqu’ils ont été, eux aussi, théorisés par des spécialistes américains. Plus sérieusement, s’il y a une erreur que font plusieurs, c’est celle d’exclure le Québec du cadre nord-américain. Évidemment, le Québec n’est pas les États-Unis, nous ne partageons pas la même histoire ni les mêmes réalités sociopolitiques. Toutefois, nous vivons tous sur le continent nord-américain et nous ne pouvons pas nous extraire d’un cadre dans lequel existent des enjeux partagés entre nos différents pays, notamment la discrimination envers les peuples autochtones et les préjugés hérités du colonialisme.
Reconnaître la discrimination
Je ne prétends pas être victime de discrimination au Québec. Or, j’ai conscience que les préjugés n’ont peut-être pas encore assez la vie dure. Sur une base personnelle, je suis conscient de l’importance de ne pas perpétuer ces préjugés, parce que j’en ai moi même reçu une grosse tasse à travers les années.
À cause de notre système colonial canadien, une simple carte marquée du mot « indien » émise par le gouvernement d’Ottawa est la seule chose tangible qui me rattache à une identité innue du Piekuakami. Lorsque j’en parle à des gens, peu importe leur tranche d’âge et leur sexe, les commentaires qui surgissent sont invariablement à propos de « ne pas payer de taxes » et, dans mon cas précis, du fait que « je n’ai pas l’air d’en être un ». Ainsi, je n’ai jamais eu à vivre avec le regard méfiant des autres. Jamais on ne m’a crié l’insulte raciste qu’est « Kawish » ou bien de « maudit Indien » lors d’une partie de hockey. On ne m’a jamais refusé un logement en ville sous des faux prétextes. On n’a jamais insinué quoi que ce soit sur ma consommation d’alcool lors de ma dernière rencontre avec un médecin ou un psychologue. On ne m’a jamais infligé de mauvais traitements lorsque je me suis rendu à l’hôpital. Je ne suis pas mort en allant à l’hôpital. Etcetera, Etcetera.
Bien que le niveau de violence et de répression subies ne soit en rien comparable avec celui des Premières Nations, les francophones de plusieurs provinces candiennes comme l’Ontario et le Manitoba savent ce qu’est la discrimination, la négation de sa culture et la minorisation. En tant que Québécois·es, nous pouvons bien comprendre la souffrance de gens qui sont victimes algré eux de discrimination, surtout les gens issus de la diversité et les Premières Nations qui vivent cette discrimination de façon tangible dans leur quotidien. Si nous souhaitons bâtir une société nouvelle et purgée des inégalités, reconnaître les préjugés et les comportements au cœur de la notion de racisme systémique devrait apparaître comme une nécessité.
Pendant ce temps, aucun plan d’action concret n’existe et l’incompréhension envers le racisme systémique continue à se manifester au Québec, sans qu’aucune forme de leadership gouvernemental tente de renverser cet état des choses
Malgré tout, nous semblons avoir un rapport difficile à ce que certains auteurs et autrices qualifient de double identité de colon et colonisé. Certain·e·s souhaiteraient n’être que l’un ou l’autre. Cette double attache, héritée de notre histoire, caractérise la société québécoise. Elle ne doit pas être un tremplin pour se cacher de tout examen critique de notre société. Comme partout ailleurs, nous devons procéder à une introspection, écouter les néo-Québécois·es victimes de discrimination et aller dans le bon sens afin que notre société continue d’évoluer. Tous·tes les Québécois·es devraient pouvoir se sentir chez eux et chez elles ici.
Ce n’est pas lorsque les « Bock-Martineau-Lisée » instrumentalisent cet enjeu pour faire du capital politique que nous avançons. Ce n’est pas en détournant le regard de la fameuse loi fédérale sur les Indiens que la mort de Joyce Echaquan sera excusée. Lorsque François Legault refuse de reconnaître qu’il y a un enjeu sur lequel travailler au-delà de comportements individuels problématiques, il nous montre toute l’arrogance de son gouvernement, fort de ses 74 députés et de sa popularité auprès de l’électorat. Pendant ce temps, aucun plan d’action concret n’existe et l’incompréhension envers le racisme systémique continue à se manifester au Québec, sans qu’aucune forme de leadership gouvernemental tente de renverser cet état des choses.
Nous pouvons tous et toutes comprendre ce qu’est le racisme systémique et ce qu’il n’est pas. Peu importe notre société et l’enjeu dont il est question, il faut adopter un regard critique, sans quoi nous ne ferons que stagner.