Le samedi 22 novembre dernier était organisée une rencontre à la librairie montréalaise Olivieri avec Atiq Rahimi, l’auteur afghan qui a reçu le prix Goncourt 2008 pour Syngué sabour. Né à Kaboul au début des années soixante, le romancier et réalisateur en est à son troisième roman.
À travers cette œuvre, à la fois très dure et très profonde, Rahimi raconte l’histoire de la syngué sabour, une pierre magique qui accueille la détresse de ceux qui se confient à elle. Dans le roman, la syngué sabour prend la forme d’un homme, forcé à l’immobilité après avoir reçu une balle dans la nuque, qui l’a gravement blessé sans toutefois lui enlever la vie. Son épouse veille à son chevet malgré toute la rage qu’elle peut ressentir à son égard. Le lecteur assiste alors à la confession de cette femme, puisque tout au long du roman elle se délivrera de ses démons, comme elle le ferait devant la miraculeuse pierre. Elle se libère par cette prise de parole à la fois de l’oppression conjugale, sociale et religieuse dont elle a été victime. Le tout se déroule dans un décor qui n’est pas sans rappeller l’Afghanistan. C’est avec beaucoup d’audace que Atiq Rahimi décrit la réalité oppressante du quotidien féminin et qu’il met des mots sur une certaine conception de l’islam.
Lors de la rencontre de samedi dernier, Atiq Rahimi révélait que Syngué Sabour est né du choc qu’a reçu l’auteur lorsqu’il a appris la mort d’une poétesse qu’il admirait, assassinée par son mari. Il a alors voulu comprendre ce qui a pu se passer dans la peau d’un tel homme et, en écrivant, il a finalement ressenti le besoin d’écrire du point de vue de la femme. C’est « comme si elle m’avait volé la voix », confie-t-il.
Lors de la table ronde, Atiq Rahimi est revenu sur son passé à plusieurs reprises, sur ce qui l’a amené là où il est aujourd’hui. Issu d’une famille afghane aisée et lettrée, il est, très jeune, baigné dans les mots. Il lit entre autres Marguerite Duras et Samuel Beckett, dont il s’inspirera. Il étudie au lycée franco-afghan de Kaboul, où il apprend à maîtriser la langue française. Très vite, il écrit de petites nouvelles en persan, des articles pour la jeunesse ou encore des critiques de cinéma. Il développera ensuite au cours de son travail d’écriture un intérêt particulier pour la « situation ». Comme Beckett, il ne souhaite pas développer les personnages dans le temps mais dans le moment qui les révélera.
Atiq Rahimi confirme par ailleurs que ses écrits sont reliés à sa vie, à son passé, par lequel il a été marqué. Après avoir vécu une adolescence difficile, marquée par l’emprisonnement de son père suite au coup d’État de 1973, Atiq Rahimi quitte l’Afghanistan pour le Pakistan, où il séjournera peu de temps avant de demander l’asile politique en France. Il raconte que son arrivée en France n’a pas été des plus simples puisqu’il devait se faire « à une autre civilisation ». Rahimi étudie la littérature, d’abord à l’université de Rouen, puis à la Sorbonne à Paris. Il apprend par la nouvelle de l’assassinat de son frère, dont il ne se remettra pas. Il décide alors de faire l’impasse sur l’Afghanistan pendant quelques années et y retournera pour la première fois seulement en 2002. Pendant cet intermède, Atiq Rahimi réalisera plusieurs projets, parmi lesquels figurent des documentaires sur l’Afghanistan pour la chaîne française Arte.
Aujourd’hui, Atiq Rahimi séjourne un mois sur deux en Afghanistan. Là-bas, il a aidé à la reconstruction du lycée franco-afghan de Kaboul, détruit durant la période de terreur des coups d’état successifs, et aide les jeunes « parce que, souligne-t-il, je préfère qu’ils aient un instrument de musique dans les mains plutôt qu’une arme. »
Une rencontre à la fois enrichissante et touchante donc, qui a permis au public montréalais d’en apprendre davantage sur un romancier qui est actuellement à la une de tous les médias.