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Face à face avec l’Histoire : Elles, ces Révolutionnaires (2e partie)

En l’honneur du Mois de l’Histoire des Noir·e·s, Amélia, Bianca et Laura vous présentent des femmes révolutionnaires marquantes de l’histoire d’Haïti.

Alexandre Gontier | Le Délit

Lorsque Christophe Colomb accoste sur ce qu’il appelle l’île d’Hispaniola en 1492, le pays est déjà peuplé d’une dizaine de milliers d’habitants, appartenant aux peuples Taïnos et Arawaks. Ces deux peuples sont presque aussitôt réduits en esclavage. En une vingtaine d’années, les difficiles conditions de travail ainsi que les nombreuses maladies apportées par les colonisateurs déciment la très grande totalité de la population. Pour remplacer cette main-d’œuvre, les colonisateurs amènent de force des Noir·e·s d’Afrique vers les Antilles ; c’est le début de la traite esclavagiste.

Puis, en 1777, le traité d’Aranjuez trace officiellement la frontière entre le territoire espagnol et le territoire français de l’île ; la France obtient la souveraineté d’Haïti, alors appelée Saint-Domingue. À cette époque, il y a environ 500 000 esclaves contre 70 000 personnes libres, dont 30 000 affranchi·e·s anciennement esclaves. La tension monte dans la colonie haïtienne alors que la révolution américaine se déroule sur le même continent ainsi que la révolution française dans la métropole. Dans la nuit du 14 août 1771, des esclaves se réunissent lors d’une cérémonie qui animera leur désir de révolte. Cet événement déclencheur de la révolution est communément appelé la cérémonie de Bois-Caïman. Dans la nuit du 22 au 23 août 1791, ces esclaves passent à l’action ; le début du soulèvement des esclaves se traduit par la prise de possession des campagnes. En 1793, l’affranchissement général des esclaves est proclamé. Napoléon Bonaparte tentera de réinstaurer l’esclavage, mais son armée est vaincue le 18 novembre 1803 lors de la bataille de Vertières. L’indépendance est proclamée et célébrée le 1er janvier 1804 ; Haïti devient la première république noire libre.

Parmi les révolutionnaires haïtien·ne·s, les noms de Toussaint Louverture et de Jean-Jacques Dessalines sont ceux qui reviennent le plus souvent. Cependant, la naissance de la nation haïtienne n’aurait pas eu lieu sans l’apport de nombreuses femmes, souvent occultées dans le récit de la révolution. Nous allons vous dresser les portraits de quelques-unes d’entre elles. 

Victoria Montou, dit Tante Toya (17**-1805)

Qui aurait été le père fondateur d’Haïti sans la femme qui a joué le rôle de sa mère ? Après la capture de Toussaint Louverture, Jean-Jacques Dessalines devient le leader de la révolution haïtienne. À la suite de la mort de sa sœur à un très jeune âge, l’éducation de Dessalines a été prise en charge par sa tante, Victoria Montou dite Gran Toya. Elle contribue grandement à la construction du personnage qu’est devenu Dessalines, comme ce dernier le reconnaîtra publiquement. Elle se charge de son éducation en lui enseignant entre autres la culture africaine et les idées révolutionnaires. 

Au cours de sa vie, Gran Toya était esclave sur l’habitation de Henri Duclos avec son neveu, qu’elle considérait comme son meilleur ami. Considérant cette relation trop dangereuse, Duclos la transfère à l’habitation Déluger où elle mène une révolte d’une cinquantaine d’esclaves. Vaincue, elle sera faite prisonnière. En 1805, lorsque Dessalines est nommé premier empereur de la République, elle est par le fait même nommée Duchesse impériale. Peu après l’établissement de l’empire, la santé de Toya se détériore, et elle ne pourra pas être sauvée par le médecin de famille de Dessalines.

Suzanne « Sanite » Belair (1781–1802)

Suzanne Belair, dite Sanité, est une esclave affranchie qui a activement participé à la révolution haïtienne. Elle est considérée comme étant l’une des quatre héroïnes les plus importantes et symboliques de l’indépendance d’Haïti. Elle apparaît d’ailleurs sur les billets de 10 gourdes.

Banque de la République d’Haïti Billet commémoratif à l’effigie de Suzanne Belair

Née à Verrette à l’Artibonite en 1782, Sanité est sergente puis lieutenante dans l’armée de Toussaint Louverture. Elle combat aux côtés de l’homme qu’elle aime et épouse en 1796 Charles Bélair, neveu de Louverture et sergent dans son armée. Avec lui, elle dirige une révolte avec la population de sa ville natale. Elle dirige ses troupes contre l’armée du général français Leclerc, qui est chargé de rétablir l’ordre dans la colonie de Saint-Domingue. C’est à l’issue d’un combat avec les forces coloniales françaises qu’elle est capturée. Son époux se rend en espérant pouvoir assurer la liberté de sa femme, mais en vain. Ils sont jugés et sont tous deux condamné·e·s à mort pour avoir encouragé l’insurrection. Au départ, Charles Bélair est condamné à être fusillé et Sanité à être décapitée, peine moins sévère en raison de son sexe. Or, elle exige de recevoir le même sort que son mari, voulant mourir en tant que soldat. Les colonisateurs n’eurent d’autre choix que de se plier devant sa bravoure ; elle meurt fusillée en 1802.

Henriette Saint-Marc (17**-1802)

Née d’une mère esclave et d’un père fonctionnaire blanc, Henriette Saint-Marc est une espionne et une fidèle alliée de l’armée des révolutionnaires haïtien·ne·s. Son origine métissée lui confère un début de vie relativement modeste tout en lui permettant la liberté. À cette époque, les enfants métis·ses pouvaient jouir de plus de liberté étant donné que leurs pères étaient souvent fortunés. Il·elle·s pouvaient, notamment, posséder une propriété et avoir accès à l’éducation.  

Vers la fin des années 1700, Henriette vit à Port-au-Prince, là où la guerre se poursuivait entre les Français et les insurgés. Femme d’une grande beauté, elle entretient plusieurs liaisons avec des soldats français ainsi que des hauts fonctionnaires français. Son charme lui permet de gagner une certaine réputation en tant que prostituée et d’accéder à l’élite française ainsi qu’à des informations privilégiées. Entre 1800 et 1802, Henriette révèle à Toussaint Louverture toutes les informations qu’elle reçoit des Français. En plus de voler des documents, des armes et de la poudre à canon pour les insurgé·e·s de l’Arcahaie, elle séduit des Français pour les attirer dans des pièges.

En 1802, essuyant défaites après défaites, les Français finirent par suspecter Henriette d’aider l’armée des insurgé·e·s et d’être à l’origine de plusieurs disparitions. Elle est alors arrêtée et pendue. La contribution d’Henriette lors de la révolution haïtienne ainsi que son courage font d’elle une révolutionnaire qu’il fallait craindre.

Marie-Claire Heureuse Bonheur (1758–1858)

Marie-Claire Heureuse Bonheur est une révolutionnaire haïtienne et la femme de Jean-Jacques Dessalines. Lors du siège de Jacmel, elle convainc Dessalines de venir en aide aux blessé·e·s et à ceux·celles qui étaient ravagé·e·s par la famine en raison de la guerre. Elle rassemble également nombre de femmes et de filles afin de venir en aide aux insurgé·e·s en délivrant des provisions alimentaires, des médicaments et des pansements. 

Catherine Flon (17**-18**)

Filleule de Jean-Jacques Dessalines, Catherine Flon est une révolutionnaire haïtienne à l’origine de la confection du premier drapeau le 18 mai 1803 lors du Congrès de l’Arcahaie. Lors de cette journée, Dessalines arrache la partie blanche du drapeau tricolore français qu’il considérait comme le symbole de la race blanche. 

Il existe deux versions de la création du drapeau. La première veut que chaque couleur du tricolore français représente l’une des trois classes qui existaient en Haïti : les Noir·e·s, les Métis·ses et les Blanc·he·s. N’utilisant que ses cheveux comme fils, Catherine Flon aurait réuni le bleu et le rouge afin de symboliser l’union des Noir·e·s et des Métis·ses. 

Wikimédia Drapeau haïtien adopté en 1820

La seconde version rapporte que Dessalines avait vu sa fille en sang après avoir été maltraitée par un colon. Il aurait déchiré sa jupe bleue et pris son foulard rouge avant de prononcer : « Jamais, plus jamais, un Français ne frappera nos filles. Liberté ou la mort ». Catherine réunit alors ces deux morceaux de vêtements, ce qui donne lieu au premier drapeau.

« Se youn nan fanm vanyan ki te patisipe nan revolisyon pou endepandans Ayiti. Youn nan pi gwo zèv li te reyalize, se drapo a li te koud. Drapo sa se senbòl fyète nou »

Fritz-Gérald Louis

Traduction : « Elle est l’une des femmes courageuses qui ont participé à la révolution pour l’indépendance d’Haïti. L’une des plus grandes actions qu’elle a accomplies a été le drapeau qu’elle a cousu. Ce drapeau est un symbole de notre fierté. »

L’apport des minorités d’origines haïtiennes, qu’elles soient femmes ou non-binaires, ne se limite pas à la Révolution, mais découle dans toutes les sphères de la société. La Révolution haïtienne est une plaque tournante pour l’Histoire et nous espérons qu’avec cet article, les noms des révolutionnaires à retenir ne se limiteront pas à ceux de Toussaint Louverture ou de Jean-Jacques Dessalines. La nation haïtienne ne serait pas ce qu’elle est sans la contribution de tous et toutes.


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