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Carmen réinventée

Rencontre entre le hip-hop et l’opéra.

Alexandre Gontier | Le Délit

L’ opéra est l’un de ces domaines artistiques que l’on croit exclusifs à certaines strates de la société ; il s’agit d’un art méconnu et, plus souvent qu’autrement, peu accessible financièrement. C’est dans un esprit de rencontre qu’a donc été conçu le spectacle Hip-Hopéra, Carmen, présenté gratuitement à la Place de la Paix – rencontre entre artistes, entre domaines, entre partenaires de production. La Tête de pioche s’est notamment alliée au Quartier des Spectacles et au Festival Mode+Design pour produire l’événement, mis en scène par Louis Tremblay. Comme le suggère son titre, le spectacle se fait le lieu d’un métissage du hip-hop et de l’opéra Carmen, métissage qui se déploie jusque dans le décor, les costumes et la chorégraphie. C’est l’art de la rue et l’occupation de l’espace public que Tremblay dit avoir voulu exploiter, creuser. 

Audace scénographique

La culture urbaine s’est immiscée dans chaque facette du spectacle, qui ne se déroule plus à Séville, mais dans une sorte de monde moderne fictif, où éclatent les conventions, sans véritable ancrage dans la réalité. Néanmoins, le décor et les costumes exploitent nombre d’éléments fidèles à Carmen, tout en penchant vers le contemporain : notamment, le taureau espagnol et le rouge côtoient les graffitis aux couleurs fluorescentes. La scène est petite et tout proche du public. Contrairement à un opéra classique, où le quatrième mur est épais,  Hip-Hopéra, Carmen se veut presque participatif ; il n’est pas rare que le rappeur S. P. Sans Pression sollicite le public. Les costumes, quant à eux, conçus par des artistes du Festival Mode+Design comme Pony, baignent dans l’art de rue, outre les grandes jupes portées par les deux chanteuses classiques, que l’on pourrait également retrouver dans une adaptation plus conventionnelle du célèbre opéra de Bizet.

« C’est dans un esprit de rencontre qu’a donc été conçu le spectacle Hip-Hopéra, Carmen »

Histoire écourtée

Carmen, dans sa version originale, dure environ deux heures et demie. Le spectacle est dense, l’histoire est complexe et le personnage principal, icône de liberté et de séduction, a besoin de ces deux heures et demie pour exister dans toute sa profondeur. Hip-Hopéra, Carmen, en revanche, dure un peu plus d’une demi-heure. On assiste à des numéros de danse d’une grande qualité, on rencontre Carmen, on rencontre Don José, on entend les morceaux les plus populaires de l’opéra – ces airs que beaucoup, sans être féru·e·s d’opéra, ont déjà entendus –, puis, contre toute attente, le spectacle prend fin. Si cette formule permet de démocratiser l’opéra et de présenter Carmen et la culture urbaine à qui ne connaît pas l’un ou l’autre, elle laisse le·a spectateur·rice sur sa faim. Elle donne également l’impression d’être une vitrine, comme si le but du spectacle était de présenter des talents – le public a pu constater l’expertise des danseur·euse·s, des chanteur·euse·s, des créateur·rice·s, l’habileté du métissage entre hip-hop et opéra, mais sans plus. Malgré un certain manque de profondeur, la représentation est pleine d’énergie ; la culture urbaine vient dynamiser Carmen, la réinventer, en plus de rejoindre et d’investir le public. Il y a quelque chose de subversif, d’étonnant, dans le fait de faire habiter l’espace public par un opéra, objet culturel ancré dans une certaine idée de la bourgeoisie et du mondain.


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