Le projet de loi 2, déposé le jeudi 21 octobre, s’inscrit dans la première réforme du droit de la famille depuis les années 1980, entamée par le ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette. Ce projet de loi encadre le recours aux mères-porteuses et la reconnaissance de l’identité de genre par l’État. Ce dernier aspect a davantage retenu l’attention : plusieurs ont dénoncé que le projet de loi dans sa forme actuelle serait discriminatoire envers les personnes trans.
Le projet de loi prévoit qu’une personne transgenre – dont le sexe assigné à la naissance et le genre ne correspondent pas – puisse faire la demande à l’État civil d’ajouter une mention de son identité de genre. Celle-ci serait distincte de la mention du sexe déjà existante sur son certificat de naissance et sur ses cartes d’identité. Autrement dit, la mention d’identité de genre sur des documents officiels d’une personne serait un signe sûr qu’elle est trans. Pour pouvoir réellement changer le marqueur d’identité de sexe, il faudrait désormais subir des « traitements médicaux et des interventions chirurgicales impliquant une modification structurale de ses organes sexuels », exigence qui avait été retirée en 2013 du Code civil du Québec et qui n’existe plus dans aucune autre province canadienne.
L’objet de nombreuses critiques
Plusieurs politicien·ne·s – notamment ceux·lles du Parti québécois et de Québec Solidaire – ainsi que divers·es activistes ont dénoncé le projet de loi, le qualifiant comme étant « le plus transphobe dans l’histoire du Québec ». Une pétition ayant reçu près de 8 000 signatures demande à Québec de retirer un total de neuf articles jugés discriminatoires du projet de loi.
On reproche notamment à cette loi que le marqueur d’identité de genre n’existant que pour les personnes trans, celui-ci les exposerait comme telles. Puisque ces documents peuvent être demandés dans de nombreuses circonstances – notament pour la location d’un logement, pour l’embauche et même pour l’accès à un lieu public – la révélation de cette information privée comporterait un risque que les individus trans subissent davantage de préjudice et discrimination.
« Les signataires de la pétition considèrent que l’exigence est discriminatoire et qu’elle constitue une atteinte à la dignité des personnes trans »
Bien que certaines personnes désirent faire correspondre leur sexe à leur genre en recevant une chirurgie de réassignation sexuelle, que l’on qualifie également de chirurgie d’affirmation de genre, la procédure est extrêmement invasive et entraîne la stérilité. C’est pourquoi les signataires de la pétition considèrent que l’exigence est discriminatoire et qu’elle constitue une atteinte à la dignité des personnes trans.
À la suite de la réponse qu’a soulevée le projet de loi 2, le ministre Jolin-Barrette a dit avoir « entendu » les critiques et se montre ouvert à apporter des changements qui satisferont les demandes des diveres parties impliquées.
L’information juste, à temps
En réponse à cette controverse, un atelier de vulgarisation juridique intitulé Just Info : Transgender Civil Rights était organisé mardi le 26 octobre dernier afin de faire connaître les droits et recours légaux que possèdent les personnes trans au Québec. Les sujets couverts incluaient les protections prévues par la Charte des droits et libertés de la personne (Charte québécoise), notamment en ce qui a trait aux droits des locataires, des employé·e·s et des patient·e·s en santé, mais aussi quant à la couverture de la RAMQ pour les soins spécifiques aux personnes trans. L’activité était organisée conjointement par la Clinique d’information juridique de McGill (CIJM), le Campus Life & Engagement (Cl&E) et Queer McGill (QM). L’animation était assurée par deux étudiantes en droit et bénévoles de la Clinique.
Les animatrices ont commencé par présenter brièvement le cadre juridique applicable aux droits civils trans. Elles ont notamment affirmé que l’exigence de réassignation sexuelle dont il est question aurait eu un effet prohibitif sur les demandes de changement de genre inscrit à l’État civil en raison d’une augmentation de la demande à la suite de la levée de l’exigence. Les deux étudiantes ont expliqué qu’au Québec et au Canada, l’identité de genre fait partie des catégories protégées contre la discrimination et appartient à la sphère de la vie privée, laquelle est protégée de l’intervention abusive de l’État. Les protections les plus fondamentales émanent de deux sources : la Charte des droits et libertés du Canada et la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.
À cet égard, les présentatrices ont expliqué que la principale différence entre ces deux sources de droits est que la Charte québécoise est plus large dans son application. Celle-ci engage non seulement l’État, mais également tout individu ou toute compagnie privée, au respect des droits qui sont enchâssés dans la Charte. À l’inverse, la Charte canadienne ne s’applique qu’à l’État. En d’autres termes, la Charte québécoise offre une protection plus large aux personnes trans. Les deux présentatrices ont ajouté que, dans le cas où des lois provinciales brimeraient des droits et libertés enchâssés dans la Charte canadienne – incluant ceux des personnes trans –, cette première aurait préséance.
« L’identité de genre fait partie des catégories protégées contre la discrimination et appartient à la sphère de la vie privée, laquelle est protégée de l’intervention abusive de l’État »
La présentation s’est poursuivie avec une explication des différentes façons par lesquelles il est possible de se prévaloir de ses droits dans différents contextes. Dans le cas du harcèlement au travail ou d’autres violations de la Loi sur les normes du travail, il est possible de porter plainte à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), qui peut, au besoin, les référer au Tribunal administratif du travail ou à la Commission des droits de la personne et de la protection de la jeunesse (CDPDJ).
Dans le domaine de la santé, les professionel·le·s ne peuvent pas refuser à une personne des soins parce qu’elle est trans et sont tenu·e·s de suivre leur code de déontologie respectif en fonction de leur ordre professionnel. Selon l’objet d’une plainte, celle-ci peut être adressée à l’ombudsman de l’hôpital concerné, à la CDPDJ, à l’ordre professionnel concerné ou même directement à la cour en cas de blessure, comme l’ont indiqué les présentatrices.
L’activité s’est conclue avec l’explication des deux étudiantes rappelant que le controversé projet de loi 2 n’est toujours pas en vigueur. Avant son éventuelle adoption, il reste encore plusieurs étapes impliquant des modifications.