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Derrière la claque

Masculinité et féminisme, à l’opposé ?

Marie Prince

27 mars 2022 : « Love will make you do crazy things »

- Will Smith, en essuyant ses larmes, tenant dans sa main l’Oscar du meilleur acteur qu’il venait de gagner, avant de se faire emporter dans une tempête médiatique le lendemain de la 94e cérémonie des Oscars. 

Mais revenons en arrière. Quelques instants auparavant, l’animateur Chris Rock avait fait une blague sur Jada Pinkett Smith et son alopécie, une maladie dégénérative accélérant la perte des poils et cheveux. Chris Rock rigole, fier de son coup, Jada réagit en levant les yeux au ciel tandis que son mari Will Smith se lève de son siège, monte d’un pas déterminé sur la scène, donne une claque sur le visage de Chris Rock devant une audience complètement sous le choc et va se rasseoir en lui criant « Garde le nom de ma femme hors de ta putain de bouche ». Chris Rock rit nerveusement, un peu sonné, mais garde son sang froid en répondant : « Je le ferai, d’accord ? » Sous l’ambiance glam de la soirée, la cérémonie continue et plus tard, Will Smith gagne l’Oscar du meilleur acteur pour le film King Richard sous le tonnerre d’applaudissements de la foule. Il en profite pour revenir sur l’altercation avec Chris Rock, avec la phrase « L’amour nous fait faire des choses folles ».  

Bien que cet événement ait amené des gens à le féliciter pour avoir pris la défense de sa femme à la suite d’un commentaire gratuit et dégradant, celui-ci a aussi amené certaines personnes à pointer cet événement comme une démonstration parfaite de la masculinité toxique. Était-ce un geste patriarcal ou protecteur ? Un peu plus de 100 ans après la tenue de la première journée nationale du droit des femmes aux États-Unis à l’initiative du Parti socialiste américain et plus de 40 ans après l’officialisation de cette journée par l’ONU, il semblerait que la question de la masculinité toxique soit encore un enjeu loin d’être résolu. 

« Plus de 4 femmes sur 10 ont subi une forme ou une autre de violence entre partenaires intimes au cours de leur vie »

Pour se pencher sur ce sujet, prenons comme triste exemple, un phénomène mondial prenant de l’ampleur depuis la pandémie : les féminicides.

26 avril 2021 : Diffusion sur Statistiques Canada d’une étude faite en 2018 sur la violence entre partenaires intimes au Canada. En caractères gras, on peut y lire la phrase suivante : « Plus de 4 femmes sur 10 ont subi une forme ou une autre de violence entre partenaires intimes au cours de leur vie. »

22 décembre 2021 : Publication d’un article dans le journal l’Actualité intitulé « Le Québec endeuillé par la vague de féminicides en 2021 ». On y précise qu’en 2020, « l’Observatoire canadien du féminicide pour la justice et la responsabilisation rapportait 21 femmes et filles tuées par une personne de sexe masculin au Québec ».

23 février 2022 : Publication d’un article dans Le Journal de Québec « Violence conjugale : les maisons d’hébergement n’ont plus de places ». On y ajoute qu’il « est de plus en plus difficile pour les femmes victimes de violence conjugale de se trouver une place dans les ressources, la plupart des maisons étant déjà à pleine capacité au moment où les demandes d’hébergement augmentent ».

31 mars 2022, Lebel-sur-Quévillon : Madeleine Désormeaux, 68 ans, est tuée par son conjoint avant que celui-ci ne se donne la mort.

1er avril 2022, Sainte-Agathe-des-Monts : Louise Avon, 64 ans, tuée par son conjoint. Il s’agit du quatrième féminicide officiel au Québec en 2022.

Grossièrement, notre solution actuelle en tant que société pour contrer le problème de la croissance du nombre de victimes de violence conjugale est de sortir des femmes vulnérables et innocentes de leur milieu de vie pour les amener dans un environnement complètement impersonnel où celles-ci se retrouvent détachées de certains éléments de leur vie pouvant être sources de réconfort.

Si on peut souligner les initiatives mises en place pour aider les victimes en situation de violence conjugale, dont la majorité sont des femmes, il n’en demeure pas moins que l’on peut questionner le manque de ressources disponibles pour les hommes.  À la base, pourquoi ne se questionne-t-on jamais sur l’origine de la violence des hommes et pourquoi ne faisons-nous que constater les dégâts ? Il est évident que la société patriarcale dans laquelle nous vivons a une influence sur la manière avec laquelle on aborde ce sujet – manière qui se base certainement sur la prémisse courante suivante : pour contrôler le comportement des hommes, on doit changer celui des femmes. 

En quoi cette solution actuelle va-t-elle aider à contrer le problème à sa source, si le problème n’est pas les victimes ? Ça ne fonctionne pas. Bien que les hommes milléniaux (1980-fin des années 90) et ceux de la génération Z (fin des années 1990–2010) semblent avoir des idéaux beaucoup plus progressistes relativement à la masculinité que leurs aînés, il semblerait que les hommes des plus jeunes générations se retrouvent pris, malgré eux, dans la spirale toxique des attentes et de la pression liées à la conception de la masculinité imposée par la société, et ce, malgré leurs idéaux progressistes. Qu’est-ce qui explique cela ? 

La racine du problème se trouve entre autres dans le modèle exemplaire de l’homme présenté dans la société. Encore aujourd’hui, le modèle prédominant est celui de l’homme pourvoyeur, l’homme qui doit gagner de l’argent pour subvenir aux besoins économiques de sa famille. Idéalement, cet homme est « viril » et n’hésitera pas à être violent pour régler ses conflits. Le problème est qu’on ne nous présente aucun autre modèle comme étant exemplaire. Dans une situation où une femme qui n’a pas besoin d’un partenaire et qui subvient de façon prédominante aux besoins économiques de la famille préfèrerait un homme émotionnellement engagé, beaucoup d’hommes se retrouveraient au dépourvu, sans repères, ne sachant pas où trouver leur place dans leur rôle de partenaire ou de père. « Si ma partenaire ne veut pas que j’exerce ces fonctions, quel est mon rôle ? » Ainsi, on doit enseigner aux hommes, dès leur plus jeune âge, comment parler sainement de leurs émotions ou comment vivre avec des émotions difficiles. Actuellement, les hommes manquent de repères s’ils ne correspondent pas au modèle jugé comme exemplaire par la société, d’où l’importance de les aider à développer une intelligence émotionnelle pour qu’ils puissent trouver leur place. Par ailleurs, les hommes ayant des difficultés à développer des liens sociaux et affectifs solides sont vulnérables à l’isolement, développent des difficultés à exprimer leurs émotions et sont plus susceptibles de devenir violents. En fait, pourquoi dans nos institutions d’enseignement n’existe-il pas de cours sur les relations, le consentement, les moyens de communication, ou même la gestion des émotions ? On peut clairement entrevoir les effets positifs que de tels cours auraient sur les jeunes hommes, leur donnant, de manière décomplexée, des outils et des repères qui pourront les aider à gérer de multiples situations de la vie courante. À cet effet, il existe des exemples actuels forts intéressants.

« Pourquoi ne se questionne-t-on jamais sur l’origine de la violence des hommes et pourquoi ne faisons-nous que constater les dégâts ? »

7 mars 2015, la veille de l’annuelle Journée internationale des droits des femmes : La Presse publie un article intitutlé « Le paradis de l’égalité homme-femme ».

Où se trouve donc ce paradis ? Selon le Forum économique mondial, il se situerait en Islande. Avec un impressionnant pourcentage de ses femmes sur le marché du travail, soit 82%, l’Islande se positionne dans le haut du classement des pays les plus féministes au monde. Avec ses organismes paritaires, ses congés de paternité de trois mois – soit presque trois fois plus long que le congé de paternité de base au Québec – et ses initiatives pour améliorer le programme éducatif en implantant des cours sur l’égalité hommes-femmes dès l’école primaire, l’Islande est définitivement un modèle en termes de parité homme-femme. Les femmes y sont plus heureuses et épanouies, mais les hommes sont-ils misérables dans cet environnement féministe ? Pas du tout, au contraire, il y a moins de divorces, les hommes y sont plus heureux et ont une plus longue espérance de vie. Là-bas, le modèle d’enseignement mise sur l’égalité entre les hommes et les femmes en implantant des systèmes éducatifs particuliers. En gros, on met de l’avant le fait que les hommes font partie de la solution dans la réflexion sur l’égalité des sexes. Alors que le Canada se positionne au 19e rang au classement de l’indice de la parité homme-femme, les modèles européens nordiques montrent que des initiatives mises en place pour la parité donnent des résultats convaincants sur le bonheur et l’épanouissement de ses habitant·e·s. 

Si l’incident « Will Smith » a été polarisant, il aura néanmoins été une opportunité de soulever un débat de société fort intéressant et servira peut-être de base permettant aux hommes de s’émanciper de l’idée reçue  selon laquelle on ne peut régler ses comptes que par la violence.  Il valorise également le fait pour eux d’être attentifs aux besoins des autres, mais aussi des leurs. Si on veut poursuivre sur une lignée positive dans la lutte pour l’égalité homme-femme, il faut avoir la même curiosité pour comprendre le comportement des hommes que celui des femmes, et ce, dans une optique basée sur l’échange et la discussion. Il serait temps de changer les paradigmes en ouvrant un dialogue se basant sur une prémisse de masculinité positive et non toxique, avant de recevoir une autre claque en plein visage.


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