C’est avec des larmes de joie que les Mères Mohawks (Kanien’kehaka Kahnistensera) ont accueilli la décision rendue par l’Honorable Gregory Moore de suspendre immédiatement tous les travaux d’excavation sur le site de l’ancien hôpital Royal Victoria au terme de deux jours d’audience très chargés, le jeudi 27 octobre dernier. Le groupe d’aînées de Kahnawake avait déposé en mars dernier une demande d’injonction interlocutoire les opposant à l’Université McGill, à la Société québécoise des infrastructures, à la ville de Montréal, et aux Procureurs généraux du Québec et du Canada, afin de mettre fin aux travaux d’excavation organisés par l’Université dans le cadre de son projet Nouveau Vic. Elles citaient la présence possible de tombes non marquées d’enfants autochtones sur le site. Le juge a tranché en faveur des Mères Mohawks, ordonnant à l’Université McGill de suspendre les travaux pour une période de trois à quatre mois.
Une audience lourde en émotions
Les Mères Mohawks, qui avaient obtenu le 30 septembre dernier le droit de se représenter elles-mêmes en cour, ont livré un témoignage empreint d’émotion. Elles ont souligné que leurs demandes répétées à l’Université avaient été systématiquement ignorées. En particulier, leur demande de faire utilisation de technologies non pénétrantes du sol comme des radars GPR, recommandées par l’Association canadienne d’archéologie (ACA) lors de la recherche de tombes non marquées, a été ignorée par l’Université, qui a commencé les travaux d’excavation seulement quelques jours avant l’audience. Elles ont également souligné les difficultés rencontrées lors du processus judiciaire, qu’elles ont qualifié de « traumatisant ». Elles ont notamment critiqué le fait que les défendeurs ont déposé tous leurs documents en français, une langue que les Mères Mohawks ne parlent pas. Malgré tout, « une injonction interlocutoire est la seule manière que nous avons de protéger ce que nous chérissons le plus et ce que nous avons dédié notre vie à protéger », a affirmé Kwettiio, membre des Mères Mohawks. Les plaignantes ont également insisté sur l’importance de cette décision pour mettre fin à la lignée du « traumatisme intergénérationnel ». « Que ce soit un début », a insisté Kwettiio.
De son côté, McGill a fait valoir qu’il n’y aurait aucune preuve de la présence possible de tombes non marquées sur le site de l’ancien hôpital Royal Victoria. Selon l’Université, les documents avancés comme preuves par les Mères Mohawks pour appuyer leurs allégations seraient insuffisants et la possibilité de trouver des restes humains sur le site serait extrêmement faible.
L’un des avocats représentant Kimberly R. Murray, l’interlocutrice spéciale indépendante nommée par le gouvernement fédéral dans le dossier des enfants disparus et des lieux de sépulture anonymes, a ouvertement critiqué la manière actuelle de procéder de l’Université : « La proposition actuelle de McGill revient à dire : enfonçons nos pelles dans le sol ; nous nous arrêterons si nous frappons un os.»
L’Honorable Gregory Moore a conclu que les conditions pour accorder une demande d’injonction interlocutoire étaient remplies : la poursuite des travaux causerait un préjudice irréparable aux plaignantes, et la balance des inconvénients pencherait en leur faveur, puisqu’il n’y aurait aucune indication que l’utilisation de technologies non pénétrantes du sol engendrerait des coûts ou des délais supplémentaires significatifs pour les défendeurs. Il a ajouté que sa décision était prise dans un esprit de « coopération et de réconciliation ».
« La proposition actuelle de McGill revient à dire : enfonçons nos pelles dans le sol ; nous nous arrêterons si nous frappons un os »
Avocat de Kimberly R. Murray
Les étudiant·e·s mcgillois·es se rallient derrière les Mères Mohawks
La mobilisation d’une partie importante de la communauté mcgilloise en faveur de la cause des Mères Mohawks n’est pas passée inaperçue. Le 26 octobre, la salle d’audience peinait à contenir l’entièreté du public, composé en grande partie d’étudiant·e·s mcgillois·es. L’un des avocats représentant l’interlocutrice spéciale Kimberly R. Murray, ainsi que Kwettiio, membre des Mères Mohawks, y ont fait allusion dans leurs plaidoiries respectives, insistant sur l’intérêt manifeste du public envers cette cause. Cela n’a pas non plus échappé à l’Honorable Gregory Moore, qui l’a même noté dans sa décision.
En effet, le public a fait entendre à plusieurs reprises son mécontentement lors de la plaidoirie de l’avocat représentant l’Université McGill. Son appel à faire confiance à l’Université n’a pas semblé convaincre le public. « Quand elle [l’Université McGill] annonce son dévouement à la vérité et la réconciliation, prenez-la au mot », a‑t-il plaidé, déclenchant une vague de chuchotements à travers la salle. À sa déclaration que les Mères Mohawks auraient eu « tort » dans ce processus, un·e membre du public s’est écrié·e : « C’est vous qui avez tort !», avant d’être rappelé·e à l’ordre par le juge.
À l’extérieur de la salle d’audience, des groupes étudiant·e·s mcgillois·es se sont montrés tout aussi vocaux. Le jeudi 26 octobre, Désinvestissement McGill et RadLaw avaient organisé une manifestation en soutien à la cause des Mères Mohawks devant le palais de justice de Montréal. Laura, membre de Désinvestissement McGill, nous a affirmé que ce rassemblement avait pour but d’exprimer leur solidarité avec les Mères Mohawks, « pour montrer que le public, la ville et la communauté étudiante […] sont avec elles ». Laura déplore que le projet Nouveau Vic, qui a pour objectif de créer un centre pour la recherche en environnement et en durabilité, ne respecte pas les demandes des groupes autochtones dont ce sont les territoires historiques. Selon le groupe activiste environnemental, « la justice climatique ne peut pas exister s’il n’y a pas de respect pour la gouvernance et les droits des peuples autochtones », nous a indiqué Laura.
Quel avenir pour le projet Nouveau Vic ?
Dans une entrevue avec CBC News vendredi dernier, Kimberly R. Murray a qualifié cette décision de « marquante pour tout le pays ». Contactée par courriel, Frédérique Mazerolle, agente de relation avec les médias de l’Université McGill, nous a fait savoir que « l’Université McGill prend au sérieux les préoccupations des communautés autochtones concernant le projet du Nouveau Vic et cherche à mieux comprendre comment y répondre ». Concernant l’avenir du projet, elle a informé Le Délit de l’intention de l’Université McGill de lire attentivement le jugement et de contacter l’interlocutrice spéciale pour discuter des prochaines étapes. « Nous entamerons une conversation avec les demanderesses avec humilité et en toute bonne foi », a‑t-elle conclu.
→ Voir aussi : https://www.delitfrancais.com/2022/10/19/ou-sont-les-corps-de-nos-enfants/