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Apprendre pour guérir

Comment l’éducation collective peut-elle permettre la guérison collective ?

Marie Prince | Le Délit

Chaque élection est un moment déterminant pour rétablir des liens de confiance entre les électeur·rice·s et la fonction publique. Au lendemain de l’élection du 3 octobre dernier, beaucoup de jeunes se demandent si les gouvernements présents et futurs accorderont de l’importance aux enjeux prioritaires pour la nouvelle génération. J’en nomme quelques-uns assez évidents : la lutte contre les changements climatiques, la santé mentale, la crise du logement, les violences sexuelles, les questions identitaires. De ces enjeux qui définissent l’avenir du Québec, s’en démarque un qui inquiète particulièrement la jeunesse québécoise : la santé mentale. La pandémie s’avère avoir ankylosé notre système de santé, mais elle a particulièrement exacerbé les problèmes d’anxiété et de dépression chez les jeunes.

La publication d’une enquête menée par l’Université de Sherbrooke en février 2022 a démontré que l’anxiété et la dépression frappaient une majorité des jeunes de 16 ans et plus. De plus, Statistiques Canada a évalué que le nombre de Canadien·ne·s dont la santé mentale s’était détériorée s’élevait à 37,5%. Enfin, Statistiques Québec a dévoilé que 30% de celles et ceux ayant un haut niveau de détresse psychologique « attribu[aient] complètement ces sentiments à la pandémie ». C’est pourquoi la fonction publique se devait de mentionner, non seulement dans une optique de guérison, mais aussi de manière préventive, les dommages possibles sur la santé mentale des jeunes. En rétrospective, il est décevant que cet enjeu ait été abordé linéairement tout au long de la campagne électorale. De plus, lorsque le sujet a été abordé par la fonction publique, on n’avait de mots que pour la psychothérapie. L’idée d’avoir un système de services gratuits accessibles et universels en santé mentale, est concevable ; grâce à une montée du lobbyisme en santé mentale, elle serait réalisée sous peu. Je rappelle que c’est ainsi que le Canada s’est doté d’une assurance maladie. Ce qui est inquiétant, c’est de mettre toutes nos ressources dans la thérapie individuelle au lieu de penser à comment guérir ensemble. 

« Ce qui est inquiétant, c’est de mettre toutes nos ressources dans la thérapie individuelle au lieu de penser à comment guérir ensemble »

Qu’ils soient technologiques, climatiques, identitaires ou économiques, les changements de notre société touchent tous les milieux et perturbent le comportement et le développement des jeunes. Nous pouvons nous réjouir du progrès tout en étant alarmés par sa vitesse. Ces changements rapides introduisent, sans préparation et en déstabilisant les repères, un monde anxiogène pour les jeunes. Notre génération, souvent réduite à l’épithète « numérique », est pourtant l’une des plus curieuses, déterminées et innovatrices. Elle est toutefois imparfaite, abîmée et peut-être l’une des générations les plus fragiles. Comment se libérer des attentes inatteignables ? Comment donner un sens à notre vie dans l’incertitude et la peur ? Que devons-nous faire pour assurer le développement des jeunes sans qu’ils se perdent dans cette insécurité ? En changeant notre façon d’aborder la santé mentale à l’école et dans nos communautés. Si nous voulons voir une génération qui profite de ses talents, nous devons donner à cette génération les outils qui lui permettront de fleurir. Les écoles doivent être porteuses de cette ambition, une ambition qui a le bien-être collectif à coeur. Comment faire ? En intégrant la santé mentale dans le cursus scolaire, en ajoutant des conférences et des ateliers obligatoires pour tous les niveaux, en collaborant avec le milieu communautaire, en invitant des organismes qui travaillent sur le terrain (Relief, le Mouvement jeunes et santé mentale, le Collectif Nous, Tel jeunes, etc.) à venir parler aux élèves. Bref, en ayant des ressources adaptées dans les milieux scolaires. Vulgariser des enjeux qui suivront les jeunes tout le long de leur vie tout en leur offrant un lieu d’apprentissage tolérant. N’est-ce pas ça l’objectif central de l’école ? Il est absurde d’envisager un monde qui perdure dans une banalisation des troubles mentaux, un monde où des jeunes ne savent pas comment repérer les symptômes de leur détresse ni comment différencier le stress de l’anxiété. Je n’ai pas eu cette chance ; j’aimerais que les futures générations l’aient. Les jeunes d’aujourd’hui font abruptement face à des sources inexactes, abondantes et, surtout, qui nourrissent la comparaison toxique entre chacun d’entre eux. De là, naît une jeunesse abîmée par une éducation individuelle assujettie aux réseaux sociaux au lieu d’être assujettie à ses besoins personnels. Une jeunesse conscientisée stimulerait la compréhension et l’acceptation sociale des enjeux et des troubles de santé mentale qui, en soi, sont un fardeau pour ceux et celles qui doivent rester dans l’ombre. Ainsi, l’éducation collective permet le début d’une guérison collective.

« De là, naît une jeunesse abîmée par une éducation individuelle assujettie aux réseaux sociaux au lieu d’être assujettie à ses besoins personnels »

Les répercussions de la pandémie sur la santé mentale des jeunes auront des effets à long terme. Et des effets graves. Pourtant, on aborde très peu la prévention de ces répercussions à long terme. Le rapport de Force Jeunesse publié cet automne indique que pour chaque 1$ investi en psychothérapie, le gouvernement en économiserait 2$. Ne pensez-vous pas qu’un investissement en prévention dont chaque 1$ investi en économiserait 2 en vaudrait la peine ? Aborder la santé mentale dès l’école primaire et secondaire éviterait une valorisation prolongée de l’individualisme, qui a été entre autres nourri par la pandémie.

« Il est absurde d’envisager un monde qui perdure dans une banalisation des troubles mentaux »

Encore aujourd’hui, il y a une grande négligence par rapport à l’apprentissage collectif des enjeux de santé mentale. L’objectif n’est pas d’isoler les jeunes davantage dans leurs troubles. C’est d’offrir aux jeunes un espace sécuritaire dès l’enfance où de tels sujets ne seraient plus tabous. C’est de leur permettre de guérir personnellement tout en créant une société apte à guérir les autres. Et pour guérir, il faut comprendre de quoi on souffre. Et pour comprendre, il faut apprendre. Il est possible d’éviter la « thérapisation » d’une population entière, mais il faut commencer dès aujourd’hui. Par la sensibilisation collective et donc par l’éducation.


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