Londres, octobre 1888. Il n’a cessé de pleuvoir depuis plusieurs jours. Une femme lit, seule chez elle, l’histoire de la rencontre d’une comtesse, Matha von Geschwitz, et de son tueur. La police n’enquête-t-elle d’ailleurs pas sur une série de meurtres sordides, sur ce Jack l’Éventreur qui pousse les femmes à rester chez elles le soir ? Quand, à quel moment précis devient-elle Martha ? Ou n’y a‑t-il jamais eu qu’une seule femme ? Sont-ce les fabulations d’un esprit en déroute ou les pas d’un homme qui vient de garer sa voiture devant l’immeuble résonnent-ils vraiment dans l’escalier ?
Ce troublant récit est celui d’une femme dont la souffrance est telle qu’elle en vient à désirer ardemment une mort spectaculaire. Une relation érotique se développe entre elle et son assassin, qui est là, tout près. Elle s’adresse à lui, se lance dans une tirade élogieuse, le glorifie. Puis, c’est le triste bilan de sa vie. La mort prend des allures de délivrance pour celle à qui la vie ne semble plus rien réserver de bon et, alors que son interlocuteur daigne finalement lui répondre, les rôles de victime et de prédateur deviennent soudainement interchangeables…
Le fantastique est inhérent à cette pièce qui laisse à l’esprit rationnel la difficile tâche de trouver où commence l’imaginaire. Fantasme ou réalité ? Normand Chaurette y voit un rêve où l’idée de la mort et celle de la jouissance finissent par ne faire qu’une. Mise en scène et décors sont sobres : deux chaises, une table de nuit. Le ruissellement de la pluie projetée sur un écran contribue à la sombre ambiance d’une lecture à la luer d’une lampe à pétrole. Une touche de musique vers la fin, un léger jeu de lumières. Le texte est tout.
Christiane Pasquier offre une performance sportive avec un monologue à la ponctuation et au rythme parfaits qui occupe presque l’intégralité de la pièce. Ce texte, écrit spécifiquement pour elle par Normand Chaurette, lui va à merveille. L’auteur a décidé de faire revivre la comtesse Martha von Geschwitz, personnage de Lulu (1996) de Frank Wedekind, autre création du groupe UBU, dont le fondateur est Denis Marleau (metteur en scène des deux pièces). C’est le moment qui se situe juste avant que Jack l’Éventreur tue la comtesse, celui où la peur et le désir de mourir s’entremêlent, qui serait à l’origine de Ce qui meurt en dernier.
Tout au long de cette pièce, le spectateur se trouve quelque part entre ciel et terre, nageant entre rêve et réalité. La brume londonienne d’un siècle passé y transpire, la scène semble flotter. La conclusion vient enlever ce doute, qu’il aurait peut-être fallu laisser planer. Toutefois, la réflexion, l’introspection que suscite cette pièce aux airs de psychanalyse est inévitable. La mort est-elle une des grandes contrariétés de l’existence ou promesse de résurrection ?