Une existence de kamikaze dans la beauté des choses volcaniques » : c’est ainsi que Maurice Krafft définit l’existence que lui et Katia Krafft ont choisi de mener. Fire of Love de Sara Dosa (2022) se penche sur la vie de ce couple de volcanologues français ayant parcouru le globe pendant deux décennies pour tenter de percer les secrets enfouis du monde géologique. La réalisatrice américaine retrace la triple histoire d’amour brûlante entre ces deux êtres et les volcans jusqu’à leur mort, en 1981, lors de l’éruption volcanique du mont Unzen au Japon.
De prime abord, c’est une passion pour la science qui les réunit : le coup de foudre de Katia est pour l’Etna et celui de Maurice pour le Stromboli. Tous·tes deux sont mu·e·s par une insatiable curiosité pour un domaine de la science où tout reste à expliquer. Dans l’effervescence des débuts de la théorie de la tectonique des plaques et des premières tentatives de classification des volcans, les deux chercheur·se·s participent à de nombreuses expéditions et assistent à des centaines d’éruptions.
La quête des deux personnages relève aussi d’une fascination plus profonde pour le pouvoir créatif des volcans, et leur lien avec notre humanité. Il y a quelque chose qui tient du sublime, tel que défini par Emmanuel Kant, qui traverse ce documentaire : un plaisir mêlé d’effroi devant la violence de la nature qui nous dépasse. On comprend mieux cette fascination en ressentant, par procuration, l’humilité des minuscules silhouettes des deux passionné·e·s devant les plans larges des volcans. Celles·eux-ci vont jusqu’à rechercher le danger, comme lors d’une expédition en canot gonflable sur un lac d’acide…
La force narrative du documentaire tient à la richesse des supports et des tons ; sont mélangés commentaires humoristiques, informations scientifiques et réflexions métaphysiques ou pratiques sur leur travail. Le montage en mosaïque, tantôt pop et tantôt lyrique avec des apartés dessinés, rend justice à cette source d’inspiration multidimensionnelle qu’est le monde géologique.
« La poésie visuelle de Fire of Love prend parfois des airs de science-fiction »
La photographie du film est également sublime, révélant la qualité esthétique des archives vidéo. Celles-ci sont captées par les scientifiques pour documenter leurs découvertes, mais témoignent aussi d’une posture de cinéaste, à laquelle le documentaire rend hommage.
La caméra est ainsi utilisée pour étudier de plus près et mieux comprendre le monde géologique, mais aussi simplement pour célébrer et prolonger l’instant. Si les deux apprenti·e·s artistes partagent une même passion, le film met en lumière la singularité du regard de chacun·e : l’une, chimiste, est attentive aux matières et aux détails, et l’autre, géologue, est plus sensible au mouvement et aux transformations. Cette profonde fascination presque métaphysique transparaît dans la beauté visuelle brute des éléments. Les plans sur les textures révèlent de véritables microcosmes au cœur des volcans : la lave rouge des effusifs se déploie comme la croûte d’un pain qui éructe, tandis que les nuages de fumée des explosifs se dispersent en volutes de fumée. La poésie visuelle de Fire of Love prend parfois des airs de science-fiction presque surréaliste. Le couple est ainsi filmé devant les éruptions comme deux astronautes perdu·e·s dans des paysages martiens, dans des scènes qui semblent irréelles.
Un bouillonnement esthétique largement célébré par la réalisatrice, qui, loin d’être réduit à une simple expérience de contemplation, questionne aussi les implications éthiques de leur profession. Jusqu’où peut-on vanter le potentiel créatif des volcans, alors qu’il reste encore très difficile de prévoir les éruptions fatales ? En plus de son esthétisme et de sa valeur pédagogique, le documentaire amorce aussi subtilement une réflexion politique d’actualité sur la place de la parole des scientifiques dans l’espace public.