Le rapport annuel sur la consommation de l’information dans le monde du Reuters Institute for the Study of Journalism (RISJ) révèle non seulement la perte d’intérêt pour les sources journalistiques, mais aussi une hausse de l’attitude d’évitement de l’actualité au sein du public. Pour remédier à cette « crise » qui traverse le monde journalistique, nous pourrions peut-être envisager une transformation du mode de production traditionnel de l’actualité. Et si l’algorithme journalistique nous permettait de percevoir et d’intellectualiser autrement les nouvelles ?
Selon Konstantin Dörr, chercheur en communication et en nouvelles technologies médiatiques à l’Université de Zurich, un algorithme journalistique peut être défini par « le processus semi-automatisé de génération de textes par la sélection de données issues de bases publiques ou privées » et « la structuration des ensembles de données pertinents en structures sémantiques (tdlr) ». La délégation d’une partie du processus rédactionnel à la technologie ne signifie pas pour autant la fin du métier de journaliste, bien au contraire. L’algorithme journalistique, largement développé pendant la pandémie, sert pour l’instant majoritairement la production de comptes rendus d’événements sportifs, financiers ou criminels. Sa capacité à analyser et à classer rapidement une grande quantité de données pourrait aider à diversifier les sources d’informations journalistiques dans les années à venir. L’algorithme économiserait un temps précieux aux journalistes, qui pourraient se consacrer davantage sur des dossiers de fond qui les interpellent vraiment.
Le problème, c’est que l’algorithme fonctionne un peu comme une boîte noire. Son processus de génération de texte demeure opaque, car il peut mettre en relation les données qui lui sont soumises avec d’autres sources d’informations externes. Il reviendrait alors au journaliste de prendre en charge un travail d’édition en faisant preuve de scepticisme vis-à-vis des informations traitées par l’algorithme. Le·a journaliste serait alors constamment engagé·e dans un travail de corroboration du processus rédactionnel de l’algorithme par des sources qu’il·elle est en mesure de vérifier.
La délégation du processus d’écriture à l’intelligence artificielle permet d’envisager une sorte de « subjectivité algorithmique », étant donné que sa manière singulière d’agencer les idées est conditionnelle à sa préprogrammation. Non dénué de partis pris, l’algorithme, s’il ne réfère pas suffisamment à des sources de provenances diversifiées, pourrait avoir tendance à rendre compte d’une vision homogénéisante de la réalité. Le principal défi que représente l’intégration des algorithmes sur le « marché » journalistique réside sans doute dans l’ouverture d’un dialogue sur la nature de la diversification des sources algorithmiques. En effet, la diversité est un concept « aux nombreuses facettes et peut s’appliquer à des catégories aussi différentes que des sujets, des sources, des genres, des attitudes politiques, des opinions, des aspects culturels », note Natali Helberger, professeure de droit et de technologie numérique à l’Université d’Amsterdam.
Les algorithmes pourraient-ils permettre une diversification des voix, ou au contraire s’enfermer dans les biais de leur programmeur·euse qu’ils reproduisent à travers leur processus interne ? Suivant un ensemble de règles opératoires déterminées lors de leur programmation, les algorithmes révèlent en ce sens un potentiel d’instrumentalisation variable selon les contextes sociopolitiques. Leur utilisation pourrait donc être détournée à des fins de récolte d’informations non journalistiques, notamment pour servir des intérêts nationaux de surveillance et de censure des comportements citoyens, comme c’est déjà le cas en Chine.
Il semble donc vain d’attribuer à l’algorithme la capacité d’atteindre en tout point l’objectivité journalistique. L’algorithme journalistique se fonde plutôt sur la reproduction de biais socioculturels à partir desquels il a été programmé, et génère des textes en prenant appui sur des données elles-mêmes teintées par un ancrage dans un contexte social particulier. Mais n’est-ce pas le propre de tout discours journalistique que d’être marqué à divers degré par la subjectivité de la personne qui l’écrit ? La démocratisation des algorithmes en journalisme devra donc être suivie de près et faire l’objet d’un débat public sur la réglementation de leur utilisation.