Lancée en 2021, l’application Haven a pour objectif de lutter contre les agressions sexuelles sur les campus universitaires en offrant à ses utilisateurs plusieurs manières d’alerter leurs proches en cas de danger. L’application possède aussi un volet de prévention contre les violences sexuelles. Haven a été fondée par deux étudiants de l’Université de Toronto, Nelson Lee et Ethan Hugh. Des discussions sont actuellement en cours entre l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM) et Haven pour évaluer la possibilité de fournir la version premium complète de l’application à la population étudiante mcgilloise. Le Délit s’est entretenu avec Nelson Lee, président directeur général et cofondateur de Haven.
Le Délit (LD) : Comment fonctionne Haven et d’où vous est venue l’idée pour cette application ?
Nelson Lee (NL) : Haven est une application de sécurité sur les campus universitaires utilisée par des milliers d’étudiants à travers le Canada. Avec Haven, si vous ne vous sentez pas en sécurité, vous accédez à l’application, vous activez le bouton de sécurité et, en deux secondes, vos amis et votre famille connaissent immédiatement votre emplacement et votre statut. Si vous sentez que l’urgence s’intensifie, vous pouvez appeler vos amis et votre famille, la police du campus ou encore le 911 dans l’application. Lorsque vous appelez le 911, nous vous donnons un script à lire pour vous permettre d’obtenir de l’aide beaucoup plus rapidement.
L’idée pour Haven m’est venue lorsqu’une de mes amies m’a partagé son histoire d’agression sexuelle en 2020. J’ai été choqué d’entendre que de tels incidents se produisent encore sur les campus au Canada et dans le monde entier, et j’ai voulu trouver des moyens d’améliorer concrètement cette situation. Ma première idée a été de créer une clinique juridique afin de proposer des conseils légaux gratuits aux survivants qui ont recours au système juridique. Après avoir parlé avec un procureur légal, un professeur de droit et des survivantes, j’ai réalisé que seulement 5% des agressions sont rapportées à la police, et que le processus légal est traumatisant pour beaucoup de survivantes. Je me suis alors dit : pourquoi ne pas plutôt chercher une manière proactive d’améliorer la sécurité sur le campus ? C’est ce que nous avons voulu faire avec Haven. Nous avons travaillé en collaboration avec l’Université de Toronto et avec plusieurs associations qui luttent contre les agressions sexuelles en Ontario pour nous assurer que notre application puisse réellement aider les étudiants.
LD : Quels genres de retours avez-vous obtenus de la part des étudiants qui utilisent Haven ?
NL : Nous avons entendu beaucoup de bonnes choses à propos de notre fonctionnalité du « minuteur de destination ». Il arrive souvent que lorsque qu’une personne rentre tard le soir à pied, ses amis lui demandent de leur envoyer un message quand elle arrive à sa destination, mais elle oublie et ses amis s’inquiètent. Avec Haven, on peut lancer un minuteur de destination. Disons que vous pensez rentrer chez vous dans 20 minutes. Vous l’activez dans ces 20 minutes, vos amis et votre famille obtiennent votre position et votre situation. Quand vous êtes à la maison, vous l’éteignez, et ils savent automatiquement que vous êtes chez vous et en sécurité. Nous sommes constamment en contact avec les utilisateurs, et nous avons reçu de très bons retours sur les différentes fonctionnalités de l’application.
LD : Votre site indique actuellement que Haven est utilisée à Harvard, à Stanford et à l’Université de Toronto. Combien de partenariats avez-vous à l’heure actuelle ?
NL : Nous avons actuellement environ 6000 utilisateurs, y compris dans toutes ces universités. Nous sommes en partenariat officiel avec plusieurs universités comme l’Université d’Ottawa, mais des étudiants de toute l’Amérique du Nord utilisent Haven. Nous aimerions beaucoup que plus d’universités décident de fournir Haven à tous leurs étudiants, et nous commençons à le voir de plus en plus. C’est d’ailleurs quelque chose que nous essayons d’implanter à McGill en ce moment.
« Haven est une application de sécurité sur les campus universitaires utilisée par des milliers d’étudiants à travers le Canada »
Nelson Lee, cofondateur de Haven
LD : Est-ce que certains utilisateurs vous ont exprimé des craintes quant à votre utilisation des données des usagers ?
NL : En ce qui a trait aux données de nos usagers, nous avons vraiment mis en place les meilleures normes de confidentialité. Essentiellement, ce que cela signifie, c’est que nous ne partageons pas, nous n’utilisons pas, nous ne vendons pas les données des utilisateurs. Nous suivons les réglementations les plus strictes, les plus hauts niveaux de cryptage en matière de données lorsqu’elles sont envoyées du téléphone à notre serveur. Et les serveurs sont tous basés en Amérique du Nord, avec les plus hauts niveaux de réglementation et de protection de la vie privée. Nous n’autorisons le partage des données que dans les cas où les forces de l’ordre nous le demandent. Nous évaluons alors ce qui est requis par la loi et nous les fournissons en conséquence. Sinon, nous n’utilisons pas ces données à quelque fin que ce soit. Et c’est quelque chose dont nous sommes vraiment fiers.
LD : Sachant que les législations varient beaucoup d’une province et d’un pays à l’autre, avez-vous rencontré des difficultés pour étendre l’application ?
NL : Oui, ça a certainement été une préoccupation pour notre équipe juridique ! Nous nous sommes demandé ce qu’il faudrait faire de différent, notamment pour ce qui est de la confidentialité. Par exemple, pour servir les utilisateurs québécois sur notre application iOS, nous nous sommes assurés que l’application serait entièrement disponible en français. Nous avons donc dû ajuster l’application afin de nous assurer que les phrases en français, qui sont typiquement plus longues que les phrases en anglais, puissent être intégrées à l’application. Ce sont là autant de considérations différentes que nous avons dû prendre en compte pour répondre spécifiquement aux besoins des utilisateurs francophones.
LD : Quelles sont les prochaines étapes pour Haven ?
NL : Nous essayons d’étendre notre offre de services. Pour l’instant, l’application Haven permet aux étudiants de communiquer avec leurs amis, leur famille et la police du campus. Ce que nous voulons faire, c’est permettre aux universités d’envoyer des notifications de masse via l’application Haven. Supposons qu’il y ait un tireur actif sur le campus, l’université pourrait envoyer une notification à tous les étudiants qui ont l’application et les informer qu’un incident est en train de se produire. Cette fonctionnalité permettra aux universités d’alerter beaucoup plus rapidement et d’informer tous les étudiants au lieu d’utiliser des méthodes de communication plus lentes.
LD : Est-ce qu’on verra Haven à McGill prochainement ?
NL : Nous travaillons actuellement avec les cadres et les sénateurs de McGill pour essayer de la mettre en place. Nous sommes en train de régler les derniers détails, de sonder les étudiants pour connaître leurs préférences en matière de mise en pratique. Notre objectif est de pouvoir la mettre en place efficacement à McGill. L’Université fournirait un code à chaque étudiant, qui n’aurait qu’à l’entrer dans l’application pour avoir accès à l’intégralité de l’application Haven, qu’il pourra ainsi utiliser sans publicité.
L’AÉUM conduit actuellement un sondage auprès de la communauté mcgilloise au sujet des agressions sexuelles sur le campus ainsi qu’en dehors, et sur la possibilité d’intégrer Haven aux services de l’Université dans le cadre de la lutte contre les violences sexuelles.
L’entrevue a été réalisée en anglais.