La Loi sur l’interdiction d’achat d’immeubles résidentiels par des non-Canadiens, sanctionnée par le gouvernement fédéral en juin 2022, est entrée en vigueur le 1er janvier dernier. Les non-Canadiens (autres que citoyens ou résidents permanents canadiens), se voient désormais interdits l’achat de propriétés résidentielles pour une période de deux ans, alors que le Canada connaît une crise du logement. Le Délit s’est entretenu avec le professeur David Wachsmuth, titulaire de la chaire de recherche du Canada en gouvernance urbaine à l’Université McGill afin de mieux comprendre les enjeux de cette loi.
La crise du logement
La crise immobilière que connaît le Canada n’est pas nouvelle : une étude de la Banque Scotia publiée en 2021 pointait du doigt « un déséquilibre sans précédent entre l’offre et la demande de logements » avant la pandémie de la Covid-19. Ce déséquilibre structurel a été accentué lors de la pandémie par des taux d’intérêts et hypothécaires proches de zéro pourcent, accroissant la demande pour les logements. La reprise économique post-pandémie et plus spécifiquement l’accélération de l’immigration risque de mettre de nouvelles pressions sur la demande de logements alors que l’écart entre offre et demande se creuse depuis 2016.
Selon le Pr Wachsmuth, ce décalage entre l’offre et la demande de logements est dû en grande partie à des taux d’intérêt très bas jusqu’à la récente intervention de la banque centrale : « Au cours des dernières années, les taux d’intérêt étaient très proches de zéro. Il était donc avantageux d’emprunter de l’argent. Les prix des logements ont vraiment explosé, car les gens ne se soucient pas du prix réel d’une propriété : ce qui les intéresse, c’est ce qu’ils payent chaque mois. Et lorsque le taux d’intérêt était proche de zéro, vous pouviez vous permettre d’emprunter plus d’argent tout en payant à peu près le même montant chaque mois. (tdlr) » Cet excès dans la demande de logements a entraîné une hausse des prix : au premier trimestre 2022, le prix de l’immobilier au Canada a connu un bond de 25 pourcents par rapport à la même période en 2021.
« La crise immobilière que connaît le Canada n’est pas nouvelle : une étude de la Banque Scotia publiée en 2021 pointait du doigt ‘‘un déséquilibre sans précédent entre l’offre et la demande de logements’’ avant la pandémie de la Covid-19 »
Interrogé sur l’urgence de la situation immobilière au Canada, Pr Wachsmuth nous a confié : « Ce n’est pas nouveau pour les personnes qui se trouvent en bas de l’échelle des revenus et qui sont confrontées à des problèmes d’accessibilité du logement depuis des décennies. La nouveauté, c’est que le coût élevé du logement affecte maintenant la classe moyenne. Il y a donc une pression politique croissante pour s’attaquer à ce problème. »
Dans un rapport publié en juin dernier, la Société Canadienne de l’hypothèque et du logement (SCHL) qualifiait la situation de la pénurie de logements de « crise », particulièrement pour l’Ontario, le Québec et la Colombie-Britannique. Après avoir refusé pendant plusieurs mois d’employer ce terme, le gouvernement québécois s’est ainsi vu contraint par les projections de la SCHL de reconnaître « une situation de crise du logement », selon les mots de la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest.
La réponse du fédéral
Pressé de répondre à la crise immobilière, le gouvernement fédéral s’est attaqué au problème de l’offre au cours de ces dernières années. Dans son budget 2021, le gouvernement fédéral a annoncé un investissement de 2,5 milliards de dollars et la réaffectation de 1,3 milliard de dollars de fonds existants pour « accélérer la construction, la réparation ou le soutien de 35 000 unités d’habitations abordables ». La réponse du fédéral s’inscrit dans l’initiative plus large de la Stratégie nationale sur le logement promulguée en 2020, proposant un plan de 72 milliards de dollars sur 10 ans pour construire 160 000 nouveaux logements.
La Loi sur l’interdiction d’achat d’immeubles résidentiels par des non-Canadiens s’attaque, elle, au problème de la demande. À compter du 1er janvier dernier, les non-Canadiens se sont vus dans l’interdiction d’acheter une propriété au Canada pour deux ans, sanctionné d’une amende de 10 000 dollars pour les contrevenants. Les travailleurs étrangers et les étudiants internationaux qui suivent une démarche d’obtention de résidence permanente ne sont pas concernés par cette interdiction. Selon le Pr Wachsmuth, cette mesure vise principalement les investissements chinois : « La motivation était l’investissement chinois dans le logement canadien. C’est une question politique importante, particulièrement en Colombie-Britannique depuis une dizaine d’années. » En 2015, un tiers des logements vendus à Vancouver ont été achetés par des investisseurs chinois.
Selon le Pr Wachsmuth, l’immobilier canadien représente pour eux « un endroit stable où placer leur argent, hors de contrôle du gouvernement chinois ». Seulement ces investissements massifs ne sont pas sans conséquence pour l’offre et l’accessibilité aux logements, ce qui avait poussé la Colombie-Britannique à prendre une série de mesures en 2018 visant à limiter les investissements étrangers et la spéculation immobilière. L’interdiction aux non-Canadiens d’acheter un logement pour deux ans s’inscrit dans la continuité des mesures mises en place par la Colombie-Britannique.
Le Pr Wachsmuth a cependant émis des réserves quant à l’impact réel de cette loi : « Les chiffres ne sont pas très précis et il n’y a pas de collecte systématique de ces informations au Canada, mais nous parlons probablement de moins de 1% des ventes de maisons neuves. Je pense qu’il est raisonnable d’être assez sceptique quant à l’impact de ces règles, simplement parce que les principaux facteurs qui influencent les prix des logements sont le nombre de logements disponibles et le nombre de logements construits, ainsi que les conditions économiques générales, en particulier les taux d’intérêt. »
« Nous parlons probablement de moins de 1 % des ventes de maisons neuves. Je pense qu’il est raisonnable d’être assez sceptique quant à l’impact de ces règles »
Pr Wachsmuth
Une mesure symbolique ?
Il s’agit pour le Pr Wachsmuth d’une mesure plus symbolique que concrète pour lutter contre la crise du logement, dont il sera compliqué de dégager l’effet. « Il sera très difficile de détecter l’impact d’une telle mesure. Dans la situation économique globale, les taux d’intérêt ont été rehaussés, réduisant la demande pour les logements. Cette baisse va se produire, que cette loi soit entrée en vigueur ou non ».
Pr Wachsmuth nous a indiqué que la réponse du gouvernement fédéral à la crise du logement sera déterminée par la réussite ou l’échec de la Stratégie nationale sur le logement : « Les mesures moins symboliques sont celles qui ont été annoncées au cours des deux dernières années et qui visent davantage à soutenir la construction de nouveaux logements, ce dont nous avons besoin. Le problème qui persiste, c’est que l’offre ne suit pas le rythme de la demande de logements, et il est difficile d’y répondre du côté de la demande. »