Le Lycéen est le quatorzième long-métrage du prolifique écrivain et réalisateur français Christophe Honoré. À l’affiche depuis le 30 novembre dernier, Le Lycéen aborde le sujet du deuil à l’adolescence. Inspiré de la jeunesse de son réalisateur, Lucas, un homme de dix-sept ans, nous raconte les premiers mois du deuil de son père, mort brutalement dans un accident de voiture. Le rôle de Lucas est interprété par l’acteur novice Paul Kircher, fils des comédiens Irène Jacob et Jérôme Kircher. La mère, Juliette Binoche, et le frère de Lucas, Vincent Lacoste (qui a travaillé avec Honoré dans Plaire, aimer et courir vite (2018) et Chambre 212 (2019)), figurent les deux grands personnages secondaires qui offrent des repères sur le passage du temps. Leurs personnages offrent des comportements de deuil plus classiques et constrastent avec l’égarement de Lucas.
Immédiatement après l’annonce du décès, Lucas quitte son lycée-pensionnat pour passer une semaine auprès de son frère à Paris. Ce sont ces journées d’égarement qui occupent le plus de temps à l’écran. Dans la capitale, Lucas se libère de la douleur en fuyant dans le rire, la séduction, le sexe, les promenades, qui nous distraient de la mort du père. Tous les éléments scénographiques sont mis au service de la représentation de cette période de déni. Lucas traverse Paris, un bouquet de fleurs à la main, armé d’un sourire enfantin, pour aller retrouver une aventure sans lendemain. La consommation des corps est suivie d’un court dialogue, où les corps des deux jeunes hommes se font face, allongés tels des odalisques. La chambre est couverte d’un rose pastel très niais, et en conséquence, quand Lucas admet à son partenaire sexuel « Mon père est mort la semaine dernière », tout paraît encore surréaliste. Nous restons dans le déni avec son protagoniste. Pendant une heure, la palette de couleur, la musique, les dialogues : tout prend l’apparence d’une comédie romantique adolescente.
« Christophe Honoré reste fidèle à son objectif : faire un film d’émotion brut, représenter les tourments qui l’ont traversé en tant que jeune adolescent devenu orphelin »
Nous sommes violemment tirés de ce décor lorsque Lucas est renvoyé chez lui en Haute-Savoie. La voix narrative de Lucas annonce qu’il ne tiendra pas une semaine de plus. « Tu me manques, Papa ». Il retrouve alors sa mère envahie par le deuil, en incompréhension devant l’insouciance apparente de son fils. Le déni, construit pendant le première partie du film, se défait, petit à petit, avec une brutalité psychologique indicible. Lucas se sent coupable : il est pris par la honte d’avoir confondu « le pire et le meilleur », celle d’avoir cédé à la liberté éphémère au lieu de s’enfermer dans le deuil. Cette scène de transition se fait symboliquement dans la voiture, lieu du décès du père. La caméra se déplace progressivement du siège du conducteur occupé par Lucas vers celui du passager, où l’on découvre une mère sculptée par l’inquiétude et le deuil.
« Personne ne dit la vérité. Il faut se taire ». Les dernières trente minutes se feront dans le silence. La voix narratrice nous quitte : Lucas ne veut plus parler tant qu’il ne connaîtra pas la vérité. Toujours dans la voiture, la caméra tremblante derrière l’épaule de Lucas, nous l’espionnons pendant sa tentative de suicide. Ce plan voyeuriste permet à Christophe Honoré de rester fidèle à son objectif : faire un film d’émotion brut pour représenter véridiquement les tourments qui l’ont traversé en tant que jeune adolescent soudainement devenu orphelin.
Le réalisateur confesse s’être replongé dans ses journaux intimes pour construire le monologue narratif d’adolescent avec authenticité. Similairement, les violons et le piano de la bande-son, composée par le musicien japonais Yoshihiro Kanno, nous accompagnent dans la découverte de cette émotion difficile à accepter et contrastent grandement avec la musique transformée par ordinateur qui se joue lors de la période du déni.
En réalité, le film de Christophe Honoré rend davantage hommage aux difficultés de l’adolescence qu’à celles du deuil. Durant la scène de l’internement psychiatrique, Paul Kircher interprète à merveille le rôle mélodramatique d’adolescent déboussolé et en devient presque antipathique. Sa performance a d’ailleurs été remarquée et récompensée au Festival international du film de Saint-Sébastien (2022) et au Festival de films francophones Cinémania (2022).
Dans Le Lycéen, son jeu d’acteur se divise en deux phases : d’une part, une mollesse insouciante marquée par la négligence de la prononciation, et d’autre part, des excès de colère et de passion surjoués. Cette alternance des deux rend opaque la compréhension du personnage et parfois difficile le développement de compassion envers sa situation. Effectivement, les actions et pensées de Lucas étant imprévisibles, son rôle de narrateur perd en crédibilité au fur et à mesure du déroulement du film. Et lorsque Lucas fait vœu de silence, Christophe Honoré remplace adroitement sa voix de narrateur avec celle de sa mère pour nous guider vers une fin compréhensible et fiable.
Le Lycéen enrichit la filmographie de Christophe Honoré en continuant l’exploration des thèmes de la sexualité, de la nostalgie et du passé. Comme dans Plaire, aimer et courir vite (2018), Honoré met en scène des histoires d’amour passionnelles homosexuelles qui se développent en contournant le deuil imminent. Ses films sortent l’homoérotisme des intrigues stéréotypées de la honte ou de la fierté. Ce nouveau long-métrage demande à Honoré d’effectuer un travail introspectif et auto-biographique pour constituer un protagoniste adolescent, une première dans sa filmographie.
Le film s’articule en deux temps majeurs : le premier durant lequel nous sommes noyés dans la distraction et le deuxième où nous suivons Lucas dans ses tourments adolescents accentués par le deuil. La tentative de suicide, qui occurre dans le même lieu que le décès du père, opère le tournant dans le scénario, permettant une suite plus optimiste pour le film et la suite de la vie du protagoniste. Comment survivre alors que des êtres qui nous étaient chers nous quittent ? Comment surmonter cette culpabilité ? À ces questions, Christophe Honoré ne propose aucune réponse claire, seulement un message d’espoir, en terminant sur un gros plan du sourire de Lucas.