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En fait, j’adore tomber !

Vivre l’échec.

Clément Veysset | Le Délit

Désespéré·e

Je ne suis pas habituée à échouer. La semaine dernière, quand j’ai postulé pour un club à McGill auquel je rêvais d’appartenir, je ne m’attendais pas au refus que j’ai reçu. Cette désillusion a brisé mon ego et a bousculé ma confiance en moi. Cette fois, je n’étais pas assez bonne, et peu importe combien je m’étais battue, cela ne suffisait pas. J’ai 20 ans, et à cet âge, l’échec, on apprend seulement à le connaître, sans savoir qu’il accompagnera notre vie sentimentale, notre carrière et chacun de nos pas. Et je crois qu’il sera maintenant le fantôme qui hante mes nuits, mais aussi, un ami. Cet échec a été difficile à digérer et il m’a amené à questionner mes capacités, ce que je voulais pour ma vie, ce qu’il révélait de mon futur et de la personne que je suis. Il m’a mis dans un état d’hyper-conscience de ma matérialité. Mon échec m’a heurté presque physiquement, me faisant réaliser ma fragilité. Ne suis-je vraiment qu’humaine ? J’ai réalisé ma vulnérabilité face à l’échec, face à mon incompétence et face au jugement d’autrui. Les étudiants·es se mettent constamment à nu, prêt·e·s à recevoir les coups rudes des refus pour des stages, des cours échoués, des mauvaises notes, de la recherche de sens et de projets inaboutis ; il y a aussi les déceptions amicales, les problèmes familiaux et, bien sûr, les désillusions amoureuses. La vie professionnelle et sentimentale est parsemée d’obstacles sur lesquels nous sommes tous·tes condamné·e·s à trébucher. Mais est-ce vraiment une mauvaise chose ? Pourquoi et comment mon échec a‑t-il réveillé en moi une adrénaline jouissive ? Comment vivre l’échec et surtout comment le surmonter ?

« Au moment de l’échec, un sentiment de culpabilité nous envahit, nous regrettons nos nuits, nos repas, nous nous en voulons d’avoir respirer alors qu’il aurait fallu travailler »

L’estomac retourné

Échouer rend malade. L’estomac se tord, l’ego se recroqueville et les espoirs s’évaporent. Un tas de questions nous vient alors à l’esprit : Suis-je assez douée ? Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ? Pourquoi les autres réussissent et pas moi ? Qu’ont-ils·elles de plus que moi ? Ces questions nous paralysent bien souvent, mais celle qui revient le plus est : N’ai-je donc pas assez travaillé ?

Au moment de l’échec, un sentiment de culpabilité nous envahit, nous regrettons nos nuits, nos repas, nous nous en voulons d’avoir respiré alors qu’il aurait fallu travailler. À l’école, on nous fait comprendre depuis toujours qu’échouer est souvent le synonyme d’un manque de travail. On nous fait presque intégrer que notre bien-être devrait passer au second plan. Les bon·ne·s élèves sont recompensé·e·s pour leur assiduité, et les mauvaises notes sonnent l’alarme de la défaillance, d’un manque de volonté et de ténacité. Lorsque le travail se résume à apprendre des poèmes par coeur ou à faire des additions, c’est peut-être vrai, un travail acharné ne devrait pas nous tenir trop longtemps éloigné·e·s de la réussite. Pourtant, on peut se demander si cet état d’esprit tient toujours la route pour le reste de la vie. À l’université, déjà, les choses se corsent : les heures passées sur une dissertation ne garantissent pas un A, et les bonnes notes ne nous assurent pas non plus de trouver le stage de nos rêves. En grandissant, les enjeux se compliquent, la toile des possibles s’élargit et il faut bien souvent de nombreux essais avant d’arriver au résultat souhaité.

« Personne n’apprécie de se prendre une énorme claque, et personne de rationnel ne demanderait de se prendre 700 claques d’affilée. Edison était-il fou ? »

Le problème, c’est que notre vision de l’échec, elle, n’a pas évoluée. Ceux·elles qui se chargent de notre éducation nous crient tout au long de notre vie que parce que tomber est douloureux, il nous faut éviter à tout prix de trébucher, et donc éviter les chemins aventureux. Quand notre entourage a de grandes attentes, il nous répète inlassablement qu’il faut bien travailler à l’école pour avoir un bon métier, comme si le chemin était prédestiné, que le travail garantissait une réussite sans embûche. Pourtant, il a fallu plus de 700 essais infructueux à Thomas Edison pour inventer l’ampoule électrique, qui a littéralement révolutionné le mode de vie de l’Humanité. Je répète, la seule raison pour laquelle les étudiants peuvent rester travailler dans une bibliothèque éclairée jusqu’à 5h du matin, et sauver un semestre de procrastination, est qu’un être humain a accepté de réessayer 700 fois de faire passer un courant électrique par un filament de carbone. Bien des aspects de notre vie auraient été différents si un être humain n’avait pas eu la résilience et le cran nécessaires à l’invention de l’ampoule. Quand j’ai entendu cette histoire, je me suis dit : « Heureusement que l’avenir de l’électricité ne repose pas sur mes épaules, car vu le temps que je mets à me remettre d’un échec, l’électricité verrait le jour dans plus de 1000 ans. » Cette douleur ressentie après la défaite n’est pas originale et elle est bien souvent la cause d’une paralysie difficile à soigner. Comment vouloir postuler une nouvelle fois à l’université de nos rêves quand la douleur du premier refus fut presque fatale ? Où trouver le courage de mettre une réelle ténacité dans l’écriture d’une rédaction pour une matière dans laquelle on n’arrive pas à avoir de bonnes notes ? Personne n’aime échouer. Personne n’apprécie de se prendre une énorme claque, et personne de rationnel ne demanderait de se prendre 700 claques d’affilée. Edison était-il fou ? Faisait-il partie de ces gens qui ne ressentent pas la douleur ? Edison était humain pourtant. Humain comme je suis humaine, et comme j’ai réalisé l’être après mon échec. Néanmoins, Thomas Edison avait trouvé le remède à la peur de l’échec, c’est certain, et s’il existe un remède, cela veut bien dire que cette peur tétanisante n’est le résultat que d’un conditionnement. La société occidentale nous apprend qu’il faut éviter de tomber car tomber fait mal, qu’il faut éviter les voies inconnues, avoir des bonnes notes, aller dans une bonne université pour s’assurer un avenir. Or, n’est-ce pas inévitable ? Peut-on toujours fuir la chute ? Ne vaudrait-il pas mieux apprendre à se soigner pour pouvoir se relever et continuer de marcher ? Nous avons besoin de nous affranchir de la peur de tomber pour pouvoir avancer, car rien ne sert d’emprunter une route si nous ne la finissons jamais. Personne n’aime échouer car on nous apprend à chasser l’échec de notre vie, à le haïr et à en faire notre fardeau. Notre société célèbre ceux·elles qui réussissent, c’est tout.

« Il est difficile d’arrêter d’être une machine de guerre, il est difficile d’assumer s’être trompé, difficile de prouver sa valeur sans ses trophées et symboles auxquels tout le monde croit fidèlement »

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Clément Veysset | Le Délit

Merci pour la claque

Thomas Edison a dit : « Je n’ai pas échoué mille fois, j’ai découvert mille cas dans lesquels l’ampoule ne pouvait pas fonctionner. » Entreprendre quelque chose de compliqué, avoir des objectifs inatteignables, c’est se mettre à nu, la chair prête à recevoir les coups. Se résigner à l’échec, c’est difficile. Accepter d’échouer, d’être sensible à cela, c’est accepter d’être humain·e. Thomas Edison ne percevait pas ses échecs comme tels, il les voyait comme des leçons qui le rapprochait de son objectif. Si Edison n’avait pas découvert l’ampoule, peut-être n’aurait-il jamais été célébré. Pourtant, même s’il s’était arrêté à la 600ème tentative, le chemin parcouru aurait été bien plus immense que celui parcouru par son successeur qui aurait alors découvert l’ampoule. Tal Ben-Shahar écrit dans L’apprentissage de l’imperfection que les élèves devraient être félicité·e·s pour leurs échecs, car ce sont les symboles qu’il·elle·s ont essayé, relevé des défis et pris des risques. Trébucher nous approche inexorablement d’une destination, même si elle n’est pas la destination attendue, même si le chemin emprunté n’est pas le chemin espéré. La plupart des étudiant·e·s, dont moi, ne sont pas préparé·e·s à cela. D’autant plus à McGill où la culture du travail et de l’excellence règne, où le GPA et les stages font loi. Il est difficile d’arrêter d’être une machine de guerre, il est difficile d’assumer s’être trompé, difficile de prouver sa valeur sans ses trophées et symboles auxquels tout le monde croit fidèlement. Pourtant, un échec n’est pas seulement une négation, il ne nous enlève pas seulement quelque chose. L’échec est un élément à part entière, porteur de ses propres bonnes nouvelles, quelque chose de plein, qu’il nous est possible de recevoir, d’ouvrir et d’accepter. Comme le dit Tal Ben-Shahar dans son livre, notre société devrait nous apprendre à célébrer nos défaites, à voir en elles ce qu’elles sont réellement. Les Beatles ont été confrontés à de nombreux refus de maisons de disque car leur style de musique était différent. Ils ont fait de cette différence leur identité. Et quel était leur échec ? Un symbole d’innovation, de différence qu’il fallait peut-être exploiter. Les échecs nous donnent aussi parfois du temps libre, dont il faut savoir profiter et qu’il faut savoir exploiter, pour se développer et prendre le temps d’être mieux préparé·e·s pour la prochaine tentative, ou tout simplement pour changer. Plus la chute est grande, plus elle est le symbole que quelque chose de grand a été entrepris. Si nos sociétés, nos écoles ne nous apprennent pas cela, alors avancer continuera d’être aussi difficile pour la majorité des gens. Si l’école se doit de nous préparer à la vie, elle ne devrait pas seulement nous apprendre à réussir, elle devrait aussi nous apprendre à échouer. J’aurai aimé sourire après la claque que je me suis prise. Elle était certes douloureuse, et j’aurai probablement fini par pleurer dans tous les cas, mais elle a souligné la force et la passion que j’avais mises dans ce que j’avais entrepris. Et maintenant, je me rends compte que ce n’était pas si difficile à surmonter, et essayer d’autres choses sera probablement plus facile la prochaine fois. Mon échec m’a appris à essayer.

« Si l’on sait l’exploiter et tirer de lui ce qu’il est vraiment, alors l’échec nous apporte aussi de la force. Une force qui rend presque invincible parce qu’elle apporte au chaos une espérance. Une fois qu’on est tombé, la chute fait moins peur »

Et la 701ème fois, on fait quoi ?

Au XXIème siècle, nos sociétés occidentales, avec l’avènement des auto-entrepreneurs et des célébritées parti·e·s de rien, ne voient la valeur d’actions entreprises que dans le résultat. Pourtant, la vie est avant tout l’opportunité de construire notre histoire. Nos expériences forment la toile de notre identité, complexe et unique. Chaque expérience nous développe et nous apporte quelque chose en elle-même, quel que soit le résultat, et je dirais même que celui-ci n’a en réalité pas tant d’importance. Ne pas être pris pour un certain stage est peut-être le symbole d’une incompatibilité avec le stage où les gens qui y travaillaient, ou le signe qu’il faut perséverer, à nous de choisir.

L’échec nous apprend des choses sur nous et nous offre l’opportunité de nous questionner. Il est aussi un tremplin. Si l’on sait l’exploiter et tirer de lui ce qu’il est vraiment, alors l’échec nous apporte aussi de la force. Une force qui rend presque invincible parce qu’elle apporte au chaos une espérance. Une fois qu’on est tombé, la chute fait moins peur. Pour les gymnastes par exemple, le premier essai est toujours le plus effrayant, car une fois que l’on a expérimenté la chute, on apprend à la dompter pour finalement la contrôler. On apprend à comprendre l’échec pour lui donner une direction, et quand on parvient à le faire, et que le recul permet de l’intérioriser, alors chaque échec devient une opportunité. L’opportunité d’être différent·e. Si Thomas Edison n’avait jamais découvert l’ampoule électrique, ses recherches l’auraient probablement amené à découvrir autre chose. Et même si ce n’avait pas été le cas, peut-être que cela aurait fait de lui une personne merveilleusement inébranlable en amour, qui donnerait tout pour ses proches et serait ainsi toujours bien entouré. Si l’on fait abstraction de sa réussite, Thomas Edison sera dans tous les cas mort avec le repos d’avoir sincèrement tout essayé. Échouer est inévitable, donc autant apprendre à être résilient·e le plus tôt possible, pour apprendre à apprécier le chemin que nous devrons prendre quoi qu’il arrive. JK Rowling a reçu des refus de la part de 12 éditeurs différents avant de parvenir à faire publier Harry Potter. Elle raconte que cette résilience s’explique en partie par le fait qu’elle écrivait déjà Harry Potter alors qu’elle était au plus bas dans sa vie. Ces exemples nous montrent combien nos échecs ne disent en fait que de belles choses de nous, ou nous apportent un espoir d’amélioration et de changement. Finalement, je regarde mon échec, et je me dis qu’il m’a permis d’écrire cet article, qu’il m’a aussi rendu plus forte et moins peureuse face à la difficulté. En fait, j’adore tomber.


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