Avec Clandestines, les dramaturges québécoises Marie-Ève Millot et Marie-Claude Saint-Laurent s’emparent de la scène pour aborder le thème de l’avortement et livrer un message conforme aux valeurs féministes chères à la compagnie du Théâtre de l’Affamée.
Les autrices imaginent une société québécoise dans un futur dystopique où une médecin et son assistante tiennent une clinique clandestine pour aider des femmes qui décident de se faire avorter dans le secret. Dans cette société, mais aussi dans le monde politique, l’opposition à l’avortement se propage dangereusement. Difficile dans ce contexte de ne pas songer aux récentes décisions de la Cour suprême des États-Unis. En effet, la réalité rattrape la fiction lorsque l’arrêt Roe contre Wade est invalidé alors que la pièce est en pleine conception.
La pièce met en avant le drame des avortements clandestins. La voix du personnage principal raconte des témoignages réels de femmes s’étant fait avorter quand la pratique était encore illégale au Canada. Le recours à l’avortement clandestin est présenté davantage comme une nécessité plutôt qu’un choix. Les personnages sont plongés dans des situations complexes et voient le nombre de leurs options diminuer. Marie-Ève Millot et Marie-Claude Saint-Laurent mettent en avant deux arguments de taille pour soutenir la protection du droit à l’avortement : l’impossibilité manifeste de mettre fin aux IVG clandestines, les situations médicalement dangereuses auxquelles elles mènent, et le droit des femmes à disposer pleinement de leur corps. Le spectateur souffre facilement avec des protagonistes dotées chacune d’une forte personnalité, osant exprimer leurs pensées et en venir aux extrêmes en situation de crise. C’est par l’emploi du pathos que l’audience parvient à cerner les malheurs auxquels sont confrontées ces femmes qui songent à se faire avorter.
« La réalité rattrape la fiction lorsque l’arrêt Roe contre Wade est invalidé alors que la pièce est en pleine conception »
Si le sujet abordé est des plus sérieux, Clandestines remplit également une fonction essentielle de la scène : celle de plaire. En effet, durant une partie importante de la pièce règne un intense suspense, habilement fabriqué par les autrices à travers la mise en valeur des silences, la présence de personnages menant des existences doubles sans cesse sur le point d’être découvertes, et un jeu sur le temps, dont la rapidité de l’écoulement est soulignée à des moments stratégiques, créant un sentiment d’urgence. D’autre part, dans les répliques se distingue parfois un humour subtil qui tranche avec la dureté du sujet, sans pour autant que cela tombe dans un burlesque décrédibilisant.
Clandestines souligne l’hypocrisie qui entoure l’opposition à l’avortement. Sous couvert de vouloir protéger la vie du vulnérable, on s’en prend à des femmes, elles-mêmes vulnérables.
Enfin, il convient de s’arrêter sur la stratégie argumentative employée par les autrices. Au cours de la pièce, différents personnages exposent des arguments pour ou contre l’avortement. Se crée alors une tension qui ne se résoudra pas, puisque les arguments finissent par se perdre dans un débat juridique sans fin sur le statut du fœtus. Le spectateur en arrive à pencher en faveur de l’avortement, non pas convaincu par les mots, mais par la trajectoire de ces femmes qu’il a suivies tout au long de la pièce ces femmes qui ont progressivement perdu le contrôle de leur corps. Ainsi, Clandestines redonne son humanité à un sujet que l’on éloigne bien souvent de celles qui le concerne le plus.