Qui voit encore les archives comme de vieux papiers poussiéreux rangés au fond des tiroirs ? Sûrement pas la Cinémathèque québécoise, qui a prouvé le contraire lors d’une rencontre le 13 janvier entre deux collectifs féministes engagés dans la conservation et la création des documents audiovisuels autour des luttes féministes et des femmes des années 1970–1980.
Les intervenantes ont retracé l’histoire des deux groupes francophones, projetant des extraits inédits d’œuvres vidéo. Le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir, en France, et Vidéo Femmes Québec, au Canada francophone, sont deux collectifs associés à la « deuxième vague » féministe et dédiés à la production et diffusion d’œuvres audiovisuelles portant sur l’histoire des femmes, leurs luttes et leurs créations. Bien qu’ancrés dans deux contextes nationaux distincts, ils ont en commun cette même volonté de s’approprier la pratique de la vidéo pour montrer à l’écran les réalités passées et présentes des luttes féministes et de la condition féminine. Ce choix est présenté comme une voie d’émancipation et une prise de pouvoir : il veut donner la parole aux concernées, sans médiation, en opposition à la télévision où la parole était bien souvent captée par de soi- disant spécialistes des femmes.
Le centre d’artistes Vidéo Femmes Québec, fondé en 1973, était représenté pendant cette rencontre par ses cofondatrices Helen Doyle et Nicole Giguère. Les deux cinéastes ont insisté sur son caractère pionnier, étant l’un des premiers centres de production et de distribution d’œuvres vidéographiques féministes au Québec. Ses activités se sont aussi organisées dans le secteur de la diffusion, avec le festival international Les filles de vues. Le groupe a ainsi permis la production d’œuvres documentaires aux formats variés, du portrait au clip musical, abordant des sujets variés et tabous, comme le SIDA ou la santé mentale des femmes.
Avec le même regard sur les luttes autour du mouvement des femmes, les productions du groupe français relevaient cependant d’une dénonciation politique plus explicite. Comme le rappelle la déléguée générale du Centre, Nicole Fernández Ferrer, en début de conférence, le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir a été créé à Paris en 1982 par trois militantes féministes : Carole Roussopoulos, Delphine Seyrig et Ioana Wieder. Au-delà du soutien à la création, le centre s’investit dans la conservation et la diffusion de ces productions pour contrer l’invisibilisation des luttes féministes et des créatrices. Leur fonds d’archives a notamment permis de restaurer le documentaire Sois belle et tais-toi ! de Delphine Seyrig, questionnant le sexisme et la place des femmes à Hollywood. Cette ambition de documenter et de transmettre les luttes survit aujourd’hui à travers la production de films rejoignant le fonds d’archives, en continuité avec les prises de positions et thématiques abordées.
Les intervenantes ont fait part des évolutions récentes : le groupe québécois a fusionné avec la coopérative Spirafilm en 2015, tandis que le Centre a temporairement fermé en 1993. Ouvert de nouveau en 2003, il propose dorénavant de nouvelles activités. Ce renouvellement lui a permis de questionner l’enjeu crucial de la diffusion des films militants : comment toucher au-delà d’un public déjà conscientisé ? Un levier d’action réside probablement dans l’organisation de projections auprès de publics éloignés de ces enjeux. Le centre intervient ainsi dans les écoles et certaines maisons d’arrêt avec le programme d’éducation à l’image et de lutte contre les stéréotypes de genre dans l’audiovisuel Genreimages.
Par leur histoire et leur héritage, ces groupes militants nous rappellent que les archives sont une matière vivante, qui doit circuler, être transmise, et faire vivre le patrimoine audiovisuel.