Le 30 janvier dernier, le Globe and Mail publiait un rapport sur les partenariats de recherche entre des Universités canadiennes et l’Université nationale de technologie de défense (UNTD), une institution militaire chinoise. Le rapport plaçait McGill troisième, derrière l’Université de Waterloo et d’Alberta, comptant 25 articles scientifiques communs avec l’UNTD depuis 2017. Ce rapport a suscité de nombreuses réactions à Ottawa, où l’opposition a appelé le gouvernement à agir.
Le rapport
Le rapport commandé par le Globe and Mail à la firme Strider, spécialisée dans la collecte de données publiques en langues étrangères, révèle que 240 articles ont été rédigés par des universités canadiennes en partenariat avec l’UNTD depuis 2017. Cette institution militaire, fondée en 1953, est sous le contrôle direct de la Commission militaire centrale, organe du Parti communiste chinois (PCC).
L’UNTD, dont les préceptes ont été donnés personnellement par Mao Zedong lors de sa fondation, travaille sur de nombreux projets de défense. Ses étudiants et chercheurs se sont notamment illustrés dans le développement de la première bombe nucléaire chinoise en 1964. Sa devise, inscrite par Deng Xiaoping en 2003 : « Renforcer les forces armées et la nation (tdlr) » , est révélatrice des ambitions projetées par le PCC sur l’université telles que formulées par l’actuel président chinois Xi Jinping en visite à l’université : « faire de l’université un haut lieu de la formation de nouveaux personnels militaires de haute qualité et de l’innovation indépendante en matière de technologie de défense nationale ». L’université figure sur les listes américaines de restriction à l’exportation depuis 2015, indique le fondateur de Strider dans une entrevue avec La Presse.
Deux universités montréalaises, McGill et Concordia, se trouvent dans le palmarès de Strider des 10 universités canadiennes ayant le plus collaboré avec l’UNTD ces cinq dernières années. Alors qu’une ancienne diplômée de l’UNTD fait l’objet d’un mandat d’arrêt du FBI pour « conspiration » depuis 2020, les collaborations d’universités canadiennes avec l’université militaire chinoise, décrite comme « une académie militaire supérieure dirigée par le PCC » par le bureau d’investigation américain, posent des questions sur l’espionnage, au niveau de la sécurité nationale canadienne.
« Le gouvernement Trudeau doit interdire le financement de partenariats de recherche avec les militaires de Pékin »
Michael Chong
« Les universités doivent faire plus »
Le rapport de la firme Strider a fait réagir l’opposition à Ottawa, appelant le gouvernement à durcir ses mesures touchant à la sécurité nationale. Au lendemain de sa publication, Michael Chong, député conservateur, spécialiste des affaires étrangères, a exprimé son opposition à ces partenariats pendant une entrevue avec le Globe and Mail : « Le gouvernement Trudeau doit interdire le financement de partenariats de recherche avec les militaires de Pékin. » Le chef du Nouveau parti démocratique, Jagmeet Singh, a lui aussi relevé le risque des collaborations touchant à la sécurité nationale : « Chaque fois qu’il y a impact sur la sécurité nationale (avec des partenariats de recherche, ndlr), nous devons prendre des décisions pour protéger notre sécurité nationale et la sécurité des Canadiens. »
De son côté, le gouvernement – par la voix de son ministre de l’Innovation François-Philippe Campagne – a annoncé le 2 février dernier son intention d’« imposer des exigences supplémentaires en ce qui concerne le renforcement de la sécurité de la recherche au Canada », avant d’ajouter : « Nous devons veiller à ce que les recherches sensibles et la propriété intellectuelle soient protégées de manière adéquate, […] de nouvelles lignes directrices seront donc bientôt publiées. » Des mesures plus strictes concernant le financement de publications touchant à la sécurité nationale avaient déjà été mises en place en 2021. Mr. Campagne a toutefois noté qu’étant donné que l’éducation tombe sous le coup des juridictions provinciales, le gouvernement ne peut simplement interdire les collaborations avec l’UNTD. Le ministre de l’Innovation a cependant affirmé que « les universités doivent faire plus (en terme de sécurité nationale, ndlr) », les enjoignant à suivre les futures directives du gouvernement.
Des craintes quant à l’utilisation potentielle des technologies développées lors des partenariats de recherche, notamment avec l’Université de Waterloo, dans le génocide Ouighour, ont été exprimées par Rick Persins, député conservateur. En effet, plusieurs recherches en partenariat avec l’UNTD ces dernières années concernaient la photonique quantique, une technologie clé pour le développement de systèmes de sécurité nationale, notamment en matière de surveillance de masse, outil crucial du PCC dans le génocide Ouighour.
« Nous devons veiller à ce que les recherches sensibles et la propriété intellectuelle soient protégées de manière adéquate, […] de nouvelles lignes directrices seront donc bientôt publiées »
François-Philippe Campagne
Les partenariats de recherche de McGill avec l’UNTD
Avec 25 articles publiés en collaboration avec l’UNTD ces cinq dernières années, McGill se classe troisième au Canada concernant ses liens avec l’école militaire chinoise. Contactée par Le Délit à propos des liens de McGill avec l’UNTD, Frédérique Mazerolle, agente des relations avec les médias de l’Université, nous a affirmé : « la communauté des chercheurs canadiens s’efforce d’être aussi ouverte que possible aux collaborations mondiales, tout en assurant la sécurité nécessaire à la protection de nos intérêts nationaux. », précisant toutefois que « Nos chercheurs sont reconnus pour leur excellence, et ils cherchent à s’associer aux meilleurs et aux plus brillants d’entre eux ».
Interrogée sur les politiques de McGill en matière de sécurité nationale, Mme Mazerolle nous a indiqué que l’Université avait été à l’initiative du Gouvernement du Canada – Groupe de travail sur les universités ayant travaillé sur les lignes directrices sur la sécurité nationale pour les partenariats de recherche introduites par le gouvernement en juillet 2021. Ces dernières visent à intégrer des considérations de sécurité nationale dans le financement de partenariats de recherche.
McGill avait déjà vu son nom impliqué dans un scandale lié à un vol de technologie au bénéfice de la Chine. En 2018, Ishiang Shih, alors professeur à la Faculté de génie de McGill, avait été identifié par le FBI comme co-suspect avec son frère dans une affaire de vol de technologies de micropuces américaines utilisées dans le domaine militaire, au profit de la Chine. Le professeur aurait conduit ses activités illicites dans son laboratoire à McGill. Son frère, Yi-Chi Shih, a été reconnu coupable par la justice américaine et condamné à 63 mois de prison ; les États-Unis ont aussi demandé l’extradition d’Ishiang Shih.