Le 4 février dernier, après plusieurs jours d’observation, un ballon chinois survolant le territoire américain a été abattu par les États-Unis au-dessus de la Caroline du Sud. Selon la Maison Blanche, ce dernier aurait été utilisé à des fins d’espionnage. La Chine a nié toutes les accusations et a à son tour accusé les États-Unis. Trois autres objets volants non identifiés ont depuis été détectés et abattus au-dessus du territoire nord-américain. Le Délit s’est entretenu avec Mark R. Brawley, professeur de relations internationales à McGill afin de comprendre la situation.
La crise du ballon chinois
Après plusieurs jours d’observation et de débats au sein de la classe politique américaine, le président américain Joe Biden a donné l’ordre, contre les recommandations du Pentagone, d’abattre le ballon chinois qui avait pénétré le territoire américain le 28 janvier dernier. L’aérostat d’environ 60 mètres de hauteur, porteur d’une nacelle de plus d’une tonne recouverte de panneaux solaires, serait, selon la Maison Blanche, « probablement capable de collecter et géolocaliser des communications (tdlr) » et aurait été envoyé dans le but d’espionner les infrastructures militaires américaines.
« L’aérostat […] aurait été envoyé dans le but d’espionner les infrastructures militaires américaines »
Dans la foulée, Washington a accusé Pékin d’opérer une « flotte » d’aéronefs espions sur les cinq continents et a placé une branche de l’entreprise d’état chinoise China Electronics Technology Group Corporation (CETC) sur la liste noire des restrictions à l’exportation vers les États-Unis. En réponse à l’incident, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a aussi décidé de reprogrammer sa visite en Chine lorsque « les conditions le permettront ».
De son côté, la Chine maintient que ce ballon était un « aéronef civil, utilisé à des fins de recherches, principalement météorologiques » qui avait dévié de sa route. Par la suite, Pékin a à son tour accusé les États-Unis d’avoir violé l’espace aérien chinois « plus de 10 fois » depuis mai 2022, selon le porte-parole du ministre des Affaires étrangères chinois, Wang Wenbin. Ces allégations ont été contestées par les États-Unis.
Samedi dernier, au cours de la conférence sur la sécurité de Munich réunissant des experts et dirigeants internationaux, Wang Li, chef de la diplomatie chinoise, a dénoncé une réaction « absurde et hystérique » de la part des États-Unis. M. Li a accusé Washington de chercher à « détourner l’attention de (ses, ndlr) problèmes intérieurs ».
Contacté par Le Délit, Mark R. Brawley, professeur de relations internationales à McGill, a accepté de nous éclairer sur la montée des tensions entre les deux pays. Selon lui, « il y a bien une hystérie (vis-à-vis de la Chine, ndlr), mais il y a surtout une pression croissante due aux critiques que les républicains ont fait de l’administration Biden sur ce sujet ». En effet, les tensions sino-américaines des dernières semaines sur les soi-disant ballons espions ont constitué un terrain propice aux critiques républicaines. Après les hésitations de l’administration Biden à abattre le ballon, le sénateur républicain du Mississippi Roger Wicker a dénoncé « une preuve accablante de faiblesse de la part de la Maison Blanche ».
« Si la provenance du premier engin abattu le 4 février ne fait pas de doute, celle des trois autres objets descendus au-dessus des territoires canadien et américain le 10, 11 et 12 février est pour l’heure inconnue »
Les trois autres aéronefs, des « ballons publicitaires »?
Si la provenance du premier engin abattu le 4 février ne fait pas de doute, celle des trois autres objets descendus au-dessus des territoires canadien et américain le 10, 11 et 12 février est pour l’heure inconnue. John F. Kirby, porte-parole pour le conseil de sécurité nationale américain, a reconnu que ces objets volants sont probablement « simplement liés à des entités commerciales ou de recherche et donc inoffensifs », hormis pour des risques de collisions ou de perturbation du trafic aérien. Ces objets, plus petits que le ballon chinois abattu plus tôt dans le mois, ont pu être repérés par le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD) après un recalibrage des capteurs et des systèmes radar, permettant de localiser des engins plus petits dans des zones normalement réservées au trafic aérien. Ce recalibrage a entraîné une prolifération de nouveaux objets jusqu’alors non détectés sur les écrans radar de la NORAD.
Le Délit a interrogé le professeur Brawley sur la décision des États-Unis d’abattre ces trois objets volants non identifiés. Selon lui, « il semble de plus en plus probable que ce soit des ballons publicitaires ou quelque chose de similaire, et ce n’est pas parce que des ballons publicitaires s’échappent que vous devez dépenser des centaines de milliers de dollars au minimum pour les abattre ». Le professeur Brawley a questionné la réaction des États-Unis : « Ils ont peut-être eu la gâchette un peu facile. » Il avance que « généralement, vous attendez d’évaluer si (l’objet volant non-identifié, ndlr) représente une menace avant de le détruire ».
« Ils ont peut-être eu la gâchette un peu facile »
Mark R. Brawley
L’impact sur les relations sino-américaines
Alors que la Chine et les États-Unis s’accusent mutuellement de violations de souveraineté territoriale et d’espionnage, cette nouvelle crise entre les deux pays vient jeter un nouveau froid sur des relations déjà au plus bas.
De nombreux différends opposent Washington et Pékin : la situation de Hong Kong, les relations avec Taïwan, les droits de l’homme, une rivalité commerciale et technologique. Le déplacement de la visite officielle d’Antony Blinken après l’incident du ballon chinois aurait été le premier d’un secrétaire d’État américain en Chine depuis 2018 et repousse ainsi une occasion de renouer un dialogue entamé par Xi Jinping et Joe Biden lors du sommet du G20 en novembre dernier. Malgré la montée des tensions entre les deux pays, Washington a réitéré sa volonté de garder « les lignes de communications ouvertes ». De son côté, Pékin juge que l’incident a « gravement affecté et endommagé » les relations sino-américaines.
Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a rencontré Wang Yi en marge de la conférence de Munich sur la sécurité samedi dernier. Cette rencontre est le premier face-à-face entre les deux pays depuis que les États-Unis ont abattu un ballon chinois survolant le territoire américain le 4 février dernier.