Lorsque j’ai appris la nomination d’Amira Elghawaby comme représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie, j’ai ressenti de la fierté par rapport à la création de ce poste, car ce geste représentait un pas vers l’avant pour mon pays.
Amira Elghawaby, une femme faisant partie d’une minorité visible, a fait ses preuves et a réussi à atteindre le poste de directrice des communications stratégiques et des campagnes pour la Fondation canadienne des relations raciales. De plus, elle a une vaste expérience en tant que journaliste et activiste pour les libertés civiles. Naturellement, sa nomination représentait une lueur d’espoir pour moi, ma famille, mes ami·e·s, et nos futurs en tant que musulman·e·s au Canada.
En grandissant, nous avons tous vécu les taquineries répétées, les blagues de terroriste et de papa extrémiste, le « Tu ne manges pas de cochon ? Mais il y a seulement du bacon dans mon sandwich… » à l’école. Nous avons appris à les ignorer, mais cela fait néanmoins chaud au coeur de voir une femme musulmane voilée obtenir un poste fédéral. Cette joie est décuplée quand le poste en question représente la volonté qu’a le Canada de nous aider à nous sentir en sécurité et à encadrer la tolérance religieuse à travers le pays.
Rapidement, la joie qui m’habitait initialement s’est vue remplacée par de la tristesse. La vague de critiques, qui s’apparente grandement à la haine, que Mme Elghawaby a reçue à la suite de sa nomination, à été quasi immédiate et provenait largement du Québec ainsi que de ses médias.
Je comprends tout à fait que la colère et la déception de certain·e·s soient liées aux propos qu’Amira Elghawaby avait tenus dans un article qu’elle avait coécrit en 2019 concernant l’islamophobie au Québec. Dans ce dernier, elle soulignait la corrélation que trouvait un sondage entre le nombre de Québécois·e·s qui se disaient pro-loi 21 et le nombre de Québécois·e·s ayant des opinions anti-musulmans. Depuis, elle s’est formellement excusée et a reconnu que ses mots ont pu être blessants et offensants pour plusieurs Québécois·e·s.
Néanmoins, certains se permettent de critiquer Mme Elghawaby, plus largement que seulement en réaction à ses propos de 2019. Plusieurs sont ceux·lles qui s’en sont pris à l’existence de son poste, questionnant son utilité.
« Cette joie est décuplée quand le poste en question représente la volonté qu’a le Canada de nous aider à nous sentir en sécurité et à encadrer la tolérance religieuse à travers le pays »
Pourquoi lutter contre l’islamophobie si elle n’existe pas ?
Au Québec, nombreux sont ceux·lles qui ont demandé que le poste de représentant·e spécial·e du Canada chargé·e de la lutte contre l’islamophobie soit aboli. Parmi ceux-ci se trouvent le Mouvement laïque québécois, le sociologue Guy Rocher, et même l’un des nôtres, l’historien et professeur émérite Yvan Lamonde de l’Université McGill.
De plus, il est important de souligner que le gouvernement québécois a lui aussi nié à maintes reprises l’existence d’un problème d’islamophobie au Québec. D’ailleurs, François Legault, alors seulement chef de la deuxième opposition en 2017, avait affirmé au lendemain de l’attentat de la Mosquée de Québec « qu’il n’y avait pas de « courant islamophobe » au Québec ». Plus récemment, en 2019, François Legault maintenait encore fermement qu’il ne croyait pas en l’existence de l’islamophobie au Québec et qu’il serait inutile d’instaurer une journée contre l’islamophobie au niveau provincial.
Au risque de déplaire à M. Legault et aux autres citoyens s’opposant à l’instauration d’un poste d’investigation sur l’islamophobie, je tiens à mentionner qu’au fil du temps, les sondages du même genre que celui sur lequel Mme Elghawaby avait écrit en 2019 se multiplient. En effet, un sondage de 2021 démontre que les Québécois·e·s, lorsque comparé·e·s aux citoyen·e·s canadien·e·s d’autres provinces, ont un taux plus élevé d’opinions négatives à l’égard des musulman·e·s. Certes, le taux de soutien en faveur de la loi 21 ne repose peut-être pas entièrement sur de telles statistiques, mais toujours est-il que celles-ci soulèvent d’importantes questions concernant la possible corrélation entre la défense de la loi 21 et l’islamophobie.
Pour surenchérir, il ne faut surtout pas faire abstraction des opinions de la population. Le 8 février dernier, Philippe Mercure écrivait un article dans La Presse concernant l’affaire Elghawaby. Il y reconnaissait l’utilité du nouveau poste de Mme Elghawaby, mais demandait quand même son remplacement par quelqu’un qui saurait accomplir son mandat sans offenser les Québécois·e·s. Nonobstant mon désaccord avec sa recommandation, j’ai apprécié son analyse de l’islamophobie indéniablement présente au Canada. Malheureusement, M. Mercure a été inondé de courriels en réponse à son article qui, à ma grande surprise, ne manquaient pas de saveur antimusulmane ou, pour utiliser le mot dont tous ont l’air d’avoir peur, islamophobe.
« S’ils ne veulent pas s’acclimater au Québec, aucun pont ne sera jamais assez long : ils tomberont toujours dans les glaciales eaux sombres du Saint-Laurent, autant retourner en désert musulman ! »
« La réponse est simple : on ne les aime pas. Regardez en France, vous allez tout comprendre. Demandez aux Français de souche. Informez- vous, ce sont des envahisseurs. »
Ces commentaires rappellent ceux apparus sur la page Facebook du premier ministre Legault au lendemain du troisième anniversaire de commémoration de l’attentat de la Mosquée de Québec. Jetez‑y un coup d’œil :
« Je leur pisse au visage. »
« Merci M. Legault pour aller voir ces tueurs de moutons égorgés ! Câlice, gang de bâtards. »
Alors, j’invite tous ceux et celles qui pensent encore que le poste de Mme Elghawaby devrait être révoqué à faire la lecture du reste de ces atroces messages, disponibles en grand nombre sur les réseaux sociaux.
Le Québec en désaccord
Maintenant, pour ce qui est de l’indignation du Québec suivant la nomination de Mme Elghawaby et de leurs revendications quant à sa démission, j’ose demander pourquoi le Québec a été aussi offensé. Si cette situation a enflammé la province aussi rapidement, a poussé les médias à dénoncer sa nomination et à rejeter la possibilité d’un problème d’islamophobie au Québec, il me semble judicieux de se demander si la province se sent visée, si elle sent qu’elle a quelque chose à se reprocher.
La vague de haine, d’insultes, et de tentatives de délégitimation qu’elle a reçue me semble excessive, et, considérant la facilité du Québec à pardonner d’autres faux pas, je remets en question l’intensité de cette réaction. Je pense, par exemple, au premier ministre Legault qui, cinq jours avant les élections du 3 octobre dernier, a déclaré publiquement qu’accueillir plus d’immigrants au Québec serait « suicidaire ». Malgré tout, les élections se sont bien déroulées pour la CAQ, les électeurs leur ayant offert un second mandat.
En réalité, le poste, instauré au fédéral, ne vise pas plus le Québec que les autres provinces et territoires. Cependant, seul le Québec s’est senti directement agressé par l’annonce de sa création. Amira Elghawaby s’est excusée pour ses propos blessants tenus il y a quatre ans, alors que François Legault semble avoir été pardonné sans même s’être sincèrement excusé des propos qu’il a tenus, ceux qui lui ont quand même valu le cadeau d’une réélection moins d’une semaine plus tard.
Amira Elghawaby s’est engagée à respecter et faire de son mieux pour remplir le mandat qui lui a
été attribué. À la lumière de ceci, je crois qu’elle mérite la chance de faire ses preuves. Cet avis est d’ailleurs partagé par d’autres membres de la communauté mcgilloise : le philosophe Charles Taylor et l’avocat des droits humains Julius Grey – un ancien élève de la Faculté de droit de l’Université McGill et associé principal de la firme juridique Grey Casgrain s.e.n.c – ont cosigné une lettre afin de démontrer leur appui pour Amira Elghawaby.
À mon humble avis, l’ardent besoin de critiquer un tel rôle et la brillante personne qui l’occupera relève plus de la régression en faveur de l’islamophobie qu’autre chose.