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Annie Colère contre l’injustice

Portrait de la lutte pour l’avortement en 1974.

Aurora Films

Le 1er février, le Sénat en France a voté l’inscription dans la Constitution de la « liberté » de recourir à l’avortement. Quelques mois auparavant, les députés de l’Assemblée nationale avaient approuvé la mesure qui visait à « protéger et garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception » en l’inscrivant dans la Constitution. Du point de vue linguistique et juridique, il existe bien une distinction entre le concept de droit et celui de liberté. Cependant, ce qu’il faut finalement retenir, c’est qu’aucun droit ni aucune liberté ne doivent être considérés comme acquis, qu’ils soient ou non inscrits dans la Constitution. Cet été, les États-Unis nous l’ont regrettablement rappelé à la suite de l’arrêt Roe v. Wade. En effet, en 1973, la Cour suprême des États-Unis avait inscrit dans la Constitution le droit aux femmes d’avorter. 50 ans plus tard, cette même Cour l’annule et par conséquent, donne le droit à chaque état individuel d’interdire ou de restreindre l’accès à l’avortement pour les femmes enceintes.

Le film français Annie Colère, réalisé par la française Blandine Lenoir, à l’affiche depuis novembre dernier, met en avant de manière pédagogique la problématique de l’avortement et l’accès à l’information quant à l’appareil génital féminin en passant par la diabolisation de la liberté sexuelle. Le film retrace le quotidien d’Annie, protagoniste ouvrière et mère de deux enfants lorsqu’elle découvre qu’elle est de nouveau enceinte. L’action se déroule en 1974, un an avant la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) en France. Annie entre en contact avec les services avortifs illégaux du Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC), qui pratique gratuitement la méthode Karman, aussi dite méthode par aspiration (moins douloureuse et dangereuse que la perforation utérine avec des aiguilles à tricoter). Après l’intervention médicale réussie, elle se joint à l’association et se lie d’amitié avec les autres membres. Le décor et le coloris restituent une ambiance propre aux années 1970 : cigarettes à l’intérieur, Renault R4, images saturées… Sans oublier le climat patriarcal de l’époque, très assumé. Il faut par ailleurs souligner le jeu d’actrice brillant de Laure Calamy, récompensée par les Césars en 2021 pour son rôle dans Une femme du monde. Ses expressions de visage ainsi que son jeu de regard font passer énormément d’émotions. C’est primordial dans un film qui illustre une partie importante de l’émancipation des femmes, que la société a tuée. L’interprétation de Monique la fromagère par Rosemary Standley est tout aussi touchante. C’est une première au cinéma pour la chanteuse du groupe Moriarty, et le défi est amplement relevé. Forte et vulnérable à la fois, Monique est une membre importante du MLAC. J’aime son caractère déterminé et sa douce voix, que nous avons l’occasion d’entendre lorsqu’elle chante à Annie pour tenter de la détendre durant son IVG. Au fil de l’histoire, nous comprenons qu’elle entretient une relation toxique avec son mari au comportement violent, ce qui ne l’empêchera pas de continuer de lutter aux côtés des autres bénévoles.

Désigné comme une comédie dramatique, j’ai doucement souri face à des scènes assez crues, par exemple quand Annie découvre qu’elle a un clitoris en se touchant le vagin entourée de ses deux amies. La réalisatrice parvient à déconstruire le patriarcat avec un humour un peu surprenant. Hélène, une infirmière interprétée par Zita Hanrot, et Annie se retrouvent avec deux jeunes docteurs qui ont terminé l’apprentissage de la méthode Karman. Ces derniers ne comprennent pas l’importance de parler aux femmes pendant la procédure, de leur expliquer chaque geste afin qu’elles se sentent en confiance et plus détendues. Face à cette situation, Hélène demande à l’un des deux médecins d’enlever son pantalon et de s’allonger sur la table gynécologique. Le jeune homme, visiblement mal à l’aise, se retrouve en sous-vêtements, les jambes écartées. Cette scène, dont l’effet est proprement comique, demeure tout de même improbable au regard des dynamiques entre hommes et femmes en France à l’époque. En réalité, la motivation derrière ce genre de scène est de faire passer un message sur les obstacles des luttes féministes passées, afin d’inspirer les générations futures à continuer le progrès. De nos jours, la stigmatisation autour de l’avortement existe encore. Les personnes qui ne savent pas à quoi ressemble un clitoris et ne connaissent pas sa fonction sont encore une majorité, et bien que le port du pantalon soit maintenant une norme, nous sommes toutes encore conscientes de la longueur de nos jupes.

Blandine Lenoir va jusqu’à utiliser les vraies images du plaidoyer de Delphine Seyrig sur l’avortement. Cette actrice féministe des années 70 n’avait pas hésité à mettre sa carrière en danger dans le but de défendre ses idées. Aujourd’hui, grâce à ce film, je suis persuadée que beaucoup vont apprendre sur ces droits fondamentaux et sur l’histoire de ces femmes qui se sont attaquées à la loi pour changer leur destin et celui des générations suivantes.


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