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Danser ou Vieillir

L’ode à la vieillesse dans OLD de Margie Gillis.

Sasha Onyshchenko

Du 9 au 11 mars dernier, la chorégraphe et danseuse canadienne Margie Gillis s’est produite à l’Agora de la danse pour OLD, son seul-en-scène de plus d’une heure. Née en 1953, Gillis célèbre ses 70 ans de vie et ses 50 ans de carrière avec un spectacle physiquement éprouvant. La Fondation de danse Margie Gillis, créée en 1981, a présenté plus de 150 créations de danse dans le monde entier. Margie a été récompensée pour son innovation artistique et ses performances exceptionnelles.

Pendant 110 minutes, Margie Gillis nous invite à une réflexion dansée et chantée sur la découverte de la vieillesse. Pour l’artiste, issue d’une famille d’athlètes, la prouesse physique a toujours été au cœur de son travail et de sa philosophie. Pendant ce spectacle, elle relève avec brio les défis d’un physique fatigué et moins performant auquel elle doit accommoder ses élans chorégraphiques. Le décor est complexe : une grande partie de la scène est couverte d’objets, qui paraissent anodins, cassés, poussiéreux, rouillés et dysfonctionnels. Gillis danse avec une chaise dotée uniquement de trois pieds. Plusieurs fois, elle tombe, elle s’irrite, elle déplore le siège cassé avant d’y trouver un équilibre parfait. Elle s’installe sur le bord de la chaise de telle sorte que le poids de son corps remplace le pied manquant : dans cette position, elle développe une chorégraphie impliquant surtout le haut du corps. Ce moment représente les transformations nécessaires pour continuer de s’épanouir corporellement dans le dernier âge. L’entièreté de l’œuvre est rythmée par la projection de dictons et de phrases philosophiques sur l’appréhension de la vieillesse. Ces phrases accompagnent la réflexion et les émotions dansées sous nos yeux.

La vieillesse est le plus grand ennemi des danseurs. En sommes-nous sûrs ? Dans cette pièce,
Gillis remet en question cette affirmation. Le souffle de création l’accompagne et la mène dans de nouveaux axes de chorégraphie. La vieillesse est une transformation physique qui demande de revisiter la danse. Il s’agit de créer pour un corps différent : comme un sculpteur ne crée pas les mêmes sculptures avec du cuivre qu’avec de la terre cuite, un danseur n’exécute pas les mêmes mouvements à 18 qu’à 69 ans.

« Gillis refuse que son âge marque la fin de sa carrière »

Le grand succès de cette pièce est de captiver l’audience pendant une période de temps considérable avec un seul et unique artiste peu mobile sur scène. Grâce à une musique variée et intéressante, Margie Gillis nous propose une variété d’émotions. Sur la musique Les Vieux, du chanteur de variété française Jacques
Brel, Gillis imite les maniérismes vieillots avant de s’en libérer et d’entamer une chorégraphie plus vive. Vers la fin du spectacle, elle se met à taper du pied et à chanter a cappella le refrain de Savage Daughter. À chaque fois qu’elle le répète, elle grimpe sur un objet en hauteur et chante toujours plus fort, au point de crier. Elle fait un crescendo sur le dernier refrain, lentement, très proche de son audience, au niveau du sol, en employant une voix calme et confiante, sans monter dans les aigus. À travers les répétitions, elle représente les différents âges de la vie, dont le dernier est paisible, confiant, et plein de sagesse.

OLD est un éloge à la vieillesse. Gillis refuse que son âge marque la fin de sa carrière : d’après elle, il s’agirait plutôt d’une transformation de paramètres. Elle illustre bien les paroles célèbres du peintre français Georges Braques « Avec l’âge, l’art et la vie ne font qu’un. » De son côté, l’Agora de la danse tient sa promesse en mettant en avant des créations contemporaines avant-gardistes et diverses depuis sa création en 1991.


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