L’ère de l’information, du numérique et d’Internet a profondément bouleversé toutes les sphères sociales. Que ce soit sur le plan scientifique, économique, médiatique, industriel ou social, les changements causés par l’arrivée des ordinateurs, des téléphones cellulaires au 21e siècle nous ont propulsés dans un monde parallèle à celui du 20e siècle. Ces changements ont apporté avec eux des bienfaits formidables, mais aussi utopiques car les récents développements de l’intelligence artificielle, comme ChatGPT, sont arrivés tellement brusquement qu’ils ont bouleversé nos rapports en société, notamment en matière d’amour.
Dans le Global Happiness Report 2023 (Rapport sur le bonheur mondial de 2023, tdlr), la firme française Ipsos a sondé 22 508 adultes âgés de moins de 75 ans dans 32 pays quant à la satisfaction générale de leur vie. Dans les 30 aspects sondés, comportant notamment la situation financière, la relation familiale ou la quantité de temps libre, la vie romantique et sexuelle arrivait au 27e rang, pour 63% des gens exprimant être satisfaits. Aux États-Unis, ce pourcentage est réduit à 60%, et encore davantage au Canada, où la moyenne de satisfaction concernant les relations romantiques et sexuelles atteint à peine 58%. Ce rapport dresse un portrait de la situation amoureuse loin de l’idéal populaire.
En plus de rendre compte de la satisfaction actuelle de la vie romantique et sexuelle des gens, le rapport tente également d’évaluer leurs attentes futures. Plus particulièrement, il a été demandé aux personnes interrogées si la capacité à trouver un partenaire romantique allait devenir plus difficile au cours des dix prochaines années. Les résultats au niveau mondial montrent que 22% pensent que trouver un partenaire romantique va devenir plus facile (les optimistes), 43% pensent que ça va devenir plus difficile (les pessimistes) et 35% pensent que la situation demeurera similaire.
Une cause probable pour tous ces malheurs amoureux
Je pense qu’il serait impossible de parler de la situation actuelle de l’amour en Amérique du Nord sans mentionner l’éléphant dans la pièce : Tinder et la montée des applications de rencontre. Tout comme les divers réseaux sociaux qui sont maintenant omniprésents dans notre vie, Tinder s’est basé sur une idée qui semblait être inoffensive et nettement positive en théorie. En pratique, il est difficile d’ignorer les conséquences dévastatrices que l’adoption massive de cette technologie a créée dans notre société, tant sur le plan de la santé émotionnelle que mentale. Commençons par énumérer les problèmes majeurs dont souffrent Tinder et les autres applications de rencontre.
Le premier problème de Tinder est le ratio homme/femme. Pour les utilisateurs de Tinder aux États-Unis en 2021, la proportion des utilisateurs était de 76%, tandis qu’elle était de 24% pour les utilisatrices. Également, il a été démontré que les hommes sont plus actifs que les femmes sur ces applications, faisant en sorte qu’ils voient en moyenne plus de profils que les femmes. La conséquence de cette plus grande proportion d’hommes – et du fait que les hommes utilisent ces applications beaucoup plus souvent – est que seulement le top 10–20% des profils masculins sont capables d’avoir une interaction constante avec des profils féminins. Effectivement, la façon exacte dont l’algorithme de Tinder fonctionne demeure inconnue, mais il a été spéculé qu’il fonctionne de façon similaire à un classement ELO, quoique ça ne semble plus être le cas. Néanmoins, quand les femmes utilisent l’application, elles ne voient généralement que « l’élite » des profils masculins, ces profils que Tinder considère comme étant les plus désirables. Du côté masculin, les utilisateurs, qui par malheur ne réussissent pas à atteindre le top 10–20% des profils, vont n’avoir que très peu de matchs ou d’interactions avec des profils féminins. Ainsi, la réalité de Tinder pour la grande majorité des hommes se rapproche plus au désert du Sahara qu’à une oasis d’abondance, indépendamment du succès que ces hommes seraient capables d’obtenir avec la gente féminine en face à face.
Du côté des utilisatrices, elles semblent d’emblée être capables d’avoir beaucoup plus de succès que les hommes. Effectivement, une étude a démontré que les femmes ont un taux de match s’élevant à 10%, comparativement à 0,6% pour les hommes. Ainsi, une femme serait capable d’avoir un match à tous les dix profils visionnés. Le problème du côté féminin n’est donc pas la quantité de matchs qu’elles obtiennent, comme c’est le cas pour les hommes, mais bien la qualité des interactions qu’elles obtiennent avec ces matchs. En effet, il semble y avoir une divergence entre les hommes et les femmes quant à la motivation derrière l’utilisation de l’application. Une étude montre que les hommes utilisent les applications de rencontre principalement à des fins sexuelles ou pour trouver des relations à court terme, tandis que les femmes les utilisent principalement pour trouver des relations romantiques ou des relations amicales. De plus, beaucoup d’utilisateurs et d’utilisatrices de Tinder verraient l’application comme un jeu ou une source de divertissement, ce qui peut facilement devenir une source de frustration pour les personnes cherchant une relation romantique sérieuse.
Tinder semble donc créer une distorsion de la réalité amoureuse tant pour les hommes que pour les femmes. Alors que les hommes pensent qu’ils ont peu de valeur, puisqu’aucune femme ne semble être intéressée par eux, les femmes seraient amenées à croire que les hommes sont méprisables et seulement intéressés par le sexe. D’après moi, les grands perdants sur Tinder sont donc les utilisateurs qui recherchent une relation romantique à long terme. Tinder n’est pas fait pour trouver l’amour. Certes, il n’est pas impossible de trouver une relation amoureuse sur Tinder, mais je pense que c’est seulement un très petit pourcentage de ces relations qui perdureront.
« Au grand malheur des romantiques de ce monde, nous vivons dans une société où l’amour de l’argent est plus important que l’amour des êtres humains »
L’offre et la demande
Pour essayer de comprendre pourquoi un si grand nombre de personnes ont une expérience désagréable sur Tinder et sur les autres applications de rencontres, il faut peut-être revenir à leur but initial. En effet, Tinder est d’abord une compagnie qui cherche à maximiser ses profits. Ses trois principales sources de revenus sont la vente de données des utilisateurs, les publicités, ainsi que les abonnements payants comme Tinder Gold.
Dans les trois cas, Tinder a intérêt à ce que l’utilisateur utilise l’application le plus longtemps possible. Au fur et à mesure que les profils défilent, Tinder est capable de récolter des données sur l’usager, ainsi que de montrer des publicités. De la même manière, plus il y est difficile pour l’utilisateur d’obtenir des matchs, plus les chances sont élevées que celui- ci va débourser de l’argent pour un abonnement payant. Le modèle d’affaire de Tinder ne serait-il pas basé sur l’exploitation de gens désespérés en quête d’amour ? Plus il est difficile de trouver l’amour sur Tinder, plus la compagnie se fait d’argent, c’est aussi simple que ça. Après tout, s’il était facile de trouver l’amour sur Tinder, comme leur approche commerciale semble l’indiquer, les chances que les utilisateurs suppriment l’application seraient bien plus élevées.
« Le modèle d’affaire de Tinder ne serait-il pas basé sur l’exploitation de gens désespérés en quête d’amour ? »
Au grand malheur des romantiques de ce monde, nous vivons dans une société où l’amour de l’argent est plus important que l’amour des êtres humains. La détresse émotionnelle de millions de personnes ne semble être qu’un petit prix à payer pour des profits faramineux. Cette quête perpétuelle du profit, quelles qu’en soient les conséquences, est pourtant être normalisée dans notre société actuelle.