Il n’y a pas de destin ni de fidélité, mais des corps qui s’attirent. Sans nul attachement et surtout sans pitié, on joue et on déchire ». Ce vers de Houellebecq, extrait d’un poème ironiquement intitulé Amour, Amour, serait le sous-titre parfait du film Les Olympiades de Jacques Audiard (2021) et pourrait offrir, à travers lui, la ligne de conduite sexuelle de toute une génération.
Dans ce film sorti en 2021, et passé relativement inaperçu en raison de la pandémie, le réalisateur français dépeint les égarements de quatre trentenaires qui se croisent, s’évitent et se rencontrent dans le 13ème arrondissement de Paris, à la faveur d’une attirance tantôt professionnelle, amicale ou purement sexuelle. C’est un jeu de marivaudage moderne, très amusant, qui lie une diplômée de Sciences Po (Emilie, jouée par Lucie Zhang) à un professeur de français désabusé (Camille, soit Makita Samba), et une agente immobilière en reprise d’étude (Nora, Noémie Merlant) à une cam-girl renommée (Amber, Jehnny Beth).
Entre les tours de béton et les esplanades vides du 13ème, tous les personnages semblent mener une existence maussade dont la trajectoire se dessine malgré eux. Les horizons sont bouchés alors il n’y a pas d’autre espoir pour eux, d’autre plaisir, que celui de s’éclater au lit. Camille affirme fièrement vouloir « compenser sa frustration professionnelle par une activité sexuelle intense ».
Cependant, ce qui marque avant tout dans ce long-métrage, c’est l’image. Elle est sublime, sculptée dans un noir et blanc brillant, qui capte le regard et atténue le sentiment de désespoir ; elle est tellement belle que l’on se remémore mieux le film par la perfection photographique de certains moments que par la progression de son intrigue. Pour ne citer que quelques-unes des plus fortes images (qui justifient à elles seules que vous vous jetiez sur le lien de visionnement situé à la fin de cet article), il y a : l’ouverture tendrement mélancolique (et infiniment comique) sur le quartier des Olympiades. La nuit, alors qu’Émilie chante en chinois, nue dans son cana- pé ; l’ébranlement de Nora, trentenaire, lors d’une soirée d’étudiants en deuxième année de droit où elle est confondue avec la cam-girl Amber Sweet ; les dialogues lunaires qui fondent l’amitié de Nora et Amber
Sweet sur internet ; Émilie et Camille allongés en surplomb du XIIIème ; les innombrables scènes d’amour ; et finalement cette course, cet envol prosaïque d’Émilie à travers le restaurant où elle travaille comme serveuse, juste après avoir fait l’amour avec un parfait inconnu.
Le portrait de cette génération au bord du désenchantement est merveilleusement rythmé par la musique de Rone, compositeur électro, et participe de la déconstruction narrative du long-métrage. Ses rythmes en crescendo, puis en decrescendo, ses tonalités languissantes ou stellaires, étirent, tranchent et digèrent le temps, comme s’il devait se plier à la subjectivité du ressenti, celui du spectateur autant que celui des personnages. Sa musique embrasse et embrase le film ; elle lui donne une profondeur dont il pourrait manquer autrement.
Finalement, à quoi sert ce film ? Que peut nous apprendre la génération qui nous précède sur la façon de conduire une vie amoureuse et sexuelle épanouie ? Audiard dépeint une population désenchantée, mais pas malheureuse, qui ne se résigne pas au seul plaisir physique. L’image de fin, Émilie qui affecte de ne pas entendre la déclaration d’amour que lui fait Camille à l’interphone, propose de dépasser le récit houellebecquien, la réalité misérable des désirs sexuels, sans pour autant revenir à une conception naïve et exclusivement romantique des relations amoureuses ; comme si l’acte sexuel n’était qu’un pont, un contentement éphémère, mais désormais nécessaire pour atteindre le bonheur à deux (ou plus).
Visionnage : Le film Les Olympiades de Jacques Audiard est accessible gratuitement pour tous les étudiants de McGill sur le site Kanopy (via le site de McGill Library).