Le samedi 8 avril, la Chine lançait une vague d’exercices militaires autour de l’île de Taïwan à travers l’opération appelée « Joint Sword » qui s’est étendue sur trois jours. Annoncée par le gouvernement chinois le jour même de son lancement, l’opération avait pour objectif de « tester de manière approfondie sa capacité de combat en conditions réelles » selon les mots de l’armée rapportés par Le Parisien. La Chine a encore une fois démontré toute sa puissance militaire en usant de son « hard power ».
Ce terme forgé par le politologue américain Joseph Nye, désigne « la capacité d’un corps politique à imposer sa volonté sur d’autres à l’aide de moyens militaires, économiques ou politiques ». Le Ministère de la Défense taïwanais a détecté 11 navires de guerre et 59 avions chinois exerçant des tirs sur des cibles fictives, car aucune n’a véritablement été touchée. Des bombardiers et des avions de chasse faisaient partie de la démonstration de force et ont dépassé la ligne médiane officielle de délimitation. Cette ligne, qui date de la Guerre froide, avait été tracée pour éviter le risque de conflit, mais n’a jamais été officialisée par aucun traité. Elle sépare Taïwan et la Chine au milieu du détroit de Taïwan.
Réponse chinoise à la violation de Taïwan du principe d’une seule Chine
Cet exercice a immédiatement suivi la visite de Tsai Ing-wen – la présidente taïwanaise – avec le président de la Chambre américaine des représentants, Kevin McCarthy. Cet événement rappelle la précédente démonstration de force chinoise envers Taïwan en août 2022, après le passage de Nancy Pelosi alors en visite sur l’île. Comme celle de Nancy Pelosi plus tôt, les visites de Tsai Ing-wen et de Kevin McCarthy ont été perçues comme une véritable provocation par le gouvernement de Xi Jinping. Depuis sa création en 1949, la République Populaire de Chine (RPC) affirme, son attachement à la politique d’une seule Chine, reconnaissant la RPC comme la seule entité représentant la Chine. Elle considère Taïwan comme l’une de ses provinces. En effet, après la victoire du parti communiste dirigé par Mao Zedong en 1949, qui a mis fin à une longue guerre civile entrecoupée par la Seconde Guerre mondiale, Chiang Kai Shek, à la tête du parti nationaliste, a dû se réfugier sur l’île de Taïwan pour y établir son gouvernement. Aujourd’hui, Taïwan réclame son indépendance, mais dispose de peu de reconnaissance à l’international. La RPC refuse les échanges diplomatiques et commerciaux avec les pays qui s’opposent au principe d’une seule Chine. Ainsi, les pays doivent choisir entre reconnaître la RPC ou Taïwan. S’ils choisissent de légitimer la Chine continentale, ils renoncent à considérer Taïwan comme un État indépendant séparé de la Chine. Seulement 13 pays reconnaissent Taïwan comme une nation. En effet, cette décision comporte d’importants coûts politiques et économiques. Alors que la Chine accède à une place de plus en plus dominante sur la scène internationale, se priver de son marché économique a de lourdes conséquences. Cette année encore, Taïwan a perdu le soutien diplomatique du Honduras, qui s’est tourné vers la RPC, ce qui diminue encore davantage sa légitimité.
Reflet des tensions sino-américaines croissantes
Par ailleurs, l’intrusion des États-Unis dans les affaires nationales de la Chine est mal vécue par cette dernière. En 1954, la Chine a signé les Cinq Principes de la Coexistence pacifique, qui guide la politique étrangère chinoise. Parmi ceux-ci figure au premier plan le principe de non-ingérence réciproque dans les affaires intérieures. Les États-Unis violent ainsi ce principe cher à la Chine.
Depuis la grande réforme économique de Deng Xiaoping dans les années 1980 et son ouverture sur le monde, la Chine a étendu sa coopération économique avec l’île de Taïwan de manière à faciliter l’unification de manière pacifique. Néanmoins, depuis l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2013, la Chine se montre de plus en plus agressive et a souvent recours à la démonstration de force. Elle cherche à s’affirmer comme une grande puissance sur la scène internationale.
En outre, ses relations avec les États-Unis se sont détériorées. Daniel Douek, professeur de sciences politiques à l’Université McGill, souligne que ce comportement de plus en plus agressif était inévitable, selon la théorie de la transition des pouvoirs des relations internationales. « Une superpuissance émergente, lorsqu’elle s’apprête à atteindre son apogée, cherche à défier l’hégémonie en place, dont le pouvoir se décline (tldr) », explique-t-il. La montée en puissance de la Chine fait peur aux États-Unis, car elle représente l’émergence d’un nouveau rival, qui vient questionner leur hégémonie et propose ainsi une alternative à d’autres pays du Sud, qui se méfient des interventions des États-Unis sur leurs territoires. Les tensions existent sur de nombreux sujets, comme les disputes de souveraineté territoriale en mer de Chine méridionale, ou encore les violations des droits humains au Tibet, à Hong Kong ou encore dans le Xinjiang avec la question des Ouïghours.
Joe Biden a plusieurs fois réitéré sa détermination à soutenir Taïwan en cas d’attaque, mais rien n’est certain de la part des États-Unis qui mène depuis 1979 une politique « d’ambiguïté stratégique » dans ses relations avec Taïwan. En effet, en 1979, les États-Unis reconnaissent « le gouvernement de la République populaire de Chine comme l’unique gouvernement légal de la Chine » et acceptent de ne mener que des relations non-officielles avec l’île. Pourtant, ils signent en même temps le Taïwan Relations Act, qui les oblige à livrer des armes à Taïwan pour assurer sa défense en cas d’attaque de l’armée chinoise. Aussi emploie-t-on le concept « d’ambiguïté stratégique », qui renvoie à cette politique contradictoire des États-Unis. Le 14 septembre 2022, les États-Unis ont réaffirmé leur soutien militaire à Taïwan, après le vote du Congrès du Taïwan Policy Act. Cette loi reconnaît l’indépendance de facto de Taïwan et rompt avec la politique américaine « d’ambiguïté stratégique », en violant ses accords avec la RPC. De plus, Washington a envoyé un destroyer en Mer de Chine méridionale comme réaction à cette nouvelle démonstration de force chinoise pour réaffirmer la présence américaine dans la zone, ce qui accentue son appui à Taiwan.
Le peuple taïwanais reste prêt à défendre son pays. La présidente a affirmé : « Notre armée et notre équipe de sécurité nationale continueront à rester à leur poste et à défendre le pays. » Taïwan a déjà annoncé l’augmentation de ses dépenses militaires de 15% pour 2023. Depuis 1984, l’île organise des exercices militaires, baptisés Han Kuang, tous les ans, afin de se préparer à une potentielle attaque chinoise.
Ce déploiement militaire reste un moyen de coercition dans le but d’accélérer les négociations avec Taïwan. Il est dans l’intérêt de la Chine d’acquérir de manière pacifique l’île, qui dispose de nombreux atouts économiques. En effet, l’industrie des puces électroniques taïwanaise constitue un trésor précieux convoité par la Chine. Taïwan se place parmi les plus grands producteurs de semi-conducteurs au monde grâce à l’entreprise Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC). En 2022, Taïwan disposait de 25% des capacités mondiales de production. La Chine accumule un retard technologique sur Taïwan, qu’elle souhaite avidement à combler. Par ailleurs, il est sans dire qu’une attaque envers Taïwan endommagerait considérablement l’image de la Chine sur la scène internationale, qu’elle s’efforce d’améliorer depuis près de 20 ans.