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À ceux·celles qui opinent

Les opinions sont-elles surfaites ?

Clément Veysset | Le Délit

Pour entamer la nouvelle année du bon pied, j’ai senti qu’en tant que nouvelle éditrice de la section Opinion, il était pertinent que je m’interroge à savoir si mes opinions valaient réellement quelque chose dans l’ère médiatique où nous vivons. Je m’explique : en parlant avec une copine il y a quelques jours, on avait conclu que le virage numérique avait révolutionné la manière même dont nous consommons l’information et représentait un défi à notre processus de réflexion dû à ses multiples biais algorithmiques, sociaux et cognitifs. L’information nous est rapportée d’une telle manière qu’il est quasi impossible d’infirmer nos préconceptions ; nos opinions sont de plus en plus soumises au regard de nos pairs, avec la médiatisation constante des opinions de tous·te·s et chacun·e·s – qu’ils·elles soient des inconnu·e·s du monde virtuel ou des ami·e·s proches – ou encore nos opinions qui se basent sur l’image que nous croyons devoir projeter, plutôt que sur nos valeurs personnelles. Quel monde est-ce que cela nous laisse ? Des armées de clones aux opinions homogénéisées, ou bien des clans polarisés aux extrêmes, sans capacité d’entrevoir une lueur de vérité en l’opinion adverse ?

Avec mon amie, notre débat se centrait sur les voitures électriques, une question me semblant aujourd’hui plutôt triviale, mais qui m’avait alors travaillée toute la journée, puisque l’opinion que je m’étais faite de prime abord me semblait en opposition avec mes idées générales. Je remettais sérieusement en question ma position, alors que j’avais passé la journée à m’informer sur les faits, lisant des articles, discutant avec ma famille, et faisant une introspection importante. Pour sa part, ma copine avait choisi de ne pas se prononcer, puisqu’elle jugeait ne pas être informée et ne percevait pas l’utilité de se positionner sur un sujet aussi banal à ses yeux. En me questionnant sur les opinions, spécifiquement celles naissant de notre consommation des réseaux sociaux, j’en suis venue à envier son refus de se positionner, et à mépriser mon désir constant de prendre parti, parfois même sur des questions qui m’indiffèrent. Mais qu’est-ce que cela signifie que de se façonner une opinion intelligemment dans l’ère médiatique actuelle, et est-il toujours pertinent de prendre position ?

Les réseaux sociaux

Jusqu’à très récemment, moi-même – et probablement plusieurs d’entre vous – puisions une large part de notre information via le flux constant de nouvelles que nous offraient les plateformes telles qu’Instagram, Facebook ou encore TikTok. Les nouvelles les plus récentes se trouvaient alors à un clic, mais se voyaient sujettes à l’influence de nos algorithmes de recommandation, si bien élaborés et personnalisés. L’information nous était prémâchée par les algorithmes de nos réseaux sociaux favoris, qui faisaient un tri méticuleux et nous proposaient seulement ce qui aurait dû nous intéresser, et ainsi, les opinions du monde nous entourant se retrouvaient elles aussi manipulées par cette tendance pernicieuse des algorithmes à agir comme un biais de confirmation technologique. Bien que d’autres formes de chambres d’écho puissent avoir des effets plus importants que les algorithmes, il reste que leur fonctionnement demeure un mystère, et que leur développement révèle quelque chose d’inquiétant pour le façonnement des opinions. 

De plus, lorsqu’on parle de deep fake, des vidéos truquées grâce à l’intelligence artificielle, ou encore de pièges à clics, presque tous·tes savent de quoi il est question. Tous·tes ont déjà été confronté·e·s par un monologue surréaliste prononcé par son politicien favori, où la seule réflexion qui pouvait suivre était : « Mais a‑t-il réellement déjà dit cela ? » Avec ce genre de contenu en circulation, il est difficile pour quiconque de faire la nuance entre ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas, créant un climat virtuel où se forger une opinion devient un défi de taille. Cet environnement crée également le parfait milieu pour la polarisation des idées, où les plus crédules auront de la difficulté à différencier le vrai du faux, et risquent d’être bombardés par ce type de contenu ad vitam æternam.

« Les réseaux sociaux […] ont une tendance malsaine à guider nos débats et nos opinions, malgré nos efforts visant à surmonter les effets des algorithmes, des masses et de notre consommation perpétuelle d’information »

Avec la récente annonce du géant médiatique Meta de retirer le contenu journalistique de ses plateformes en réponse à la nouvelle Loi fédérale C‑18, on peut se demander quel genre d’impact une telle censure aura sur la consommation de nouvelles de la jeunesse canadienne, et l’influence que cette décision aura sur la formation de nos opinions. Selon une étude menée par l’Université Laval en 2021, 69% des jeunes Québécois·e·s âgé·e·s entre 18 et 24 ans auraient déclaré que les réseaux sociaux étaient leur principale source d’information et d’accès à l’actualité. Ainsi, on peut espérer que les jeunes opteront pour un retour aux médias traditionnels comme format alternatif aux réseaux sociaux – radio, journaux, télévision –, mais il semble probable que plusieurs délaisseront simplement l’actualité, découragé·e·s par la révocation de l’accès aux nouvelles. Il reste donc à voir si la littératie numérique de notre génération saura contrebalancer cette privation d’un accès simple et rapide à l’actualité de dernière heure. Mon interrogation : comment pouvons-nous donc espérer bâtir des opinions authentiques à nos valeurs, des opinions conformes à la réalité médiatique, lorsque différencier les faussetés de la vérité devient quasi impossible, que les algorithmes nous contraignent dans des boîtes desquelles il est difficile de s’émanciper, et que l’accès aux nouvelles est menacé pour notre génération ?

Manufacturée ou réfléchie ?

En m’interrogeant sur les procédés auxquels nous avons recours quotidiennement pour se façonner une opinion, j’ai dû considérer les facteurs sociaux qui influencent nos prises de position. En observant mes propres positionnements – et mes ami·e·s vous diront qu’ils sont multiples – j’en suis venue à me demander si mes opinions n’étaient pas en quelque sorte modelées par celles de mon entourage, ou encore par celles de personnes qui m’inspirent ou auxquelles j’accorde de l’importance. Bien que cela semble évident, je n’avais jamais considéré que mes opinions n’étaient peut-être que le fruit de mon entourage, de la chambre d’écho dans laquelle je m’étais inconsciemment placée, entourée de gens qui me ressemblent. Je me suis attardée à des prises de position qui peuvent être controversées, et j’ai conclu que malgré mes efforts, il est presque impossible d’ignorer les normes sociales, la perception de nos pairs, et notre conscience de la noblesse des opinions dans nos prises de positions. Est-il donc possible d’affirmer que mes opinions sont miennes, ou serait-il mieux de les traiter comme l’amalgame d’une myriade de facteurs qui composent ce que quelqu’un juge comme juste et correct, incluant ce que ses pairs estiment convenable ?

Ne pas se prononcer, est-ce interdit ?

Quand mon amie m’a dit ne pas vouloir se positionner dans notre débat, j’étais curieuse de voir quelqu’un volontairement se retirer d’une discussion, alors que tous·tes – sur les réseaux du moins – semblent s’empresser de sauter dans la mêlée. Je pense notamment à TikTok, où tous·tes se prononcent sur tout et n’importe quoi, même sur des questions où leur opinion n’est ni importante, ni même nécessaire. La politique, l’actualité, la mode ou encore la littérature, sont des sujets qui peuvent nécessiter une prise de position, mais une simple anecdote, ne devrait pas initier de débat dans la section des commentaires. On semble oublier que c’est possible de ne pas se prononcer, et que ce devrait généralement être l’option par défaut. C’est parfois mieux de ne pas avoir d’opinion, ou alors d’éviter de l’énoncer, que de suivre aveuglément ce que la masse prêche, en particulier si aucun avis n’avait été demandé.

Mon constat est donc simple : les réseaux sociaux, qui régissent aujourd’hui une large part de nos vies, ont une tendance malsaine à guider nos débats et nos opinions, malgré nos efforts visant à surmonter les effets des algorithmes, des masses et de notre consommation perpétuelle d’information. Dans cette ère d’opinions manufacturées, des opinions qui ne sont que le résultat d’un contact virtuel avec des inconnus ou d’une valeur excessive accordée à l’opinion de nos pairs, comment pouvons-nous espérer façonner des penseur·euse·s pour le futur et guider une jeunesse qui saura être critique pour les décennies à venir ? Afin de rester engagé·e·s, la jeunesse québécoise devra continuer de s’informer via des médias alternatifs et confronter des opinions étrangères à la sienne. Elle sera forcée à engager son esprit critique afin de savoir différencier ce qui requiert un positionnement de ce qui est futile, et surtout, devra rester consciente de la multiplicité des biais qui influencent nos opinions. Mon conseil : restez curieux·euses, mais surtout, restez critiques. La plus belle des qualités est la complexité d’esprit qu’implique un désir constant d’en savoir plus.


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