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Ruines de nos Corps Bleuâtres

Apprendre à vivre fragmenté·e & nébuleux·se & hanté·e…

Rose Chedid | Le Délit

I
né·e incandescent·e je ne reconnais pas mon visage (asymétrie alarmante), mes larmes et
ma chair
en feu il fait noir
pour comprendre mon corps ma peine devient demi-lunes
enfoncées dans ma peau
(une douleur presque sensuelle) si seulement risquer
disparaître dans la nébulosité de toutes les pièces que je hante n’était pas aussi brutal
mon existence ne serait que futile.

II
la gravité de ton corps appuyé contre mon lit je te regarde
bleu matin ouvre ses yeux
sans défense une immobilité charnelle presque impossible tout coopère c’est un langage irréel

éveil maladroit un retour
à la naïveté mythique
possible seulement entre l’aube et l’inexistence continuons de nier l’absolu qu’est la collision irréparable de nos corps bleuâtres et fatigués

III
regarde
(pas les plaies sur tes avant-bras
pas les cernes sur ton visage
l’état de ta chambre en désarroi
tu portes le même pyjama, tu ne comptes plus les jours
tu ne fais que dormir, ou rêver, ou les deux en même temps
tu fixes le vide, parce que tout te fait pleurer)
le soleil se lève. la lumière pénètre les rideaux. la chaleur se pose sur ta peau
et reste. tu souris.

IV
lorsque apaiser
le trou noir interne

nécessite une mutilation

visible un cri silence de honte habiter un corps c’est emplir

un pays entier toujours

fragmenté par les collisions du cœur os cèdent contre les murs étroits

de leurs regards

V
avancer en contresens 

petite fille que j’étais
enterrée au fond de mon néant perdue dans mon corps de ruine

vouloir changer de peau
rêver de cicatrices sous ma poitrine pour mieux habiter cette coquille pardonner une faute de naissance rendre précieuse mon impermanence… trop tard pour tant de tendresse


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