Fondé en 2012 par cinq amis grenoblois, le groupe de musique pop MPL, d’abord connu sous le nom de « Ma Pauvre Lucette », est né d’une tragédie. Le fantôme de Lucette, leur amie commune disparue, occupe une place centrale dans les deux premiers albums sortis en 2015 et 2020. Assez mélancoliques, ils évoquent la disparition et l’amour, en la mémoire de Lucette. Aussi est-elle devenue la muse qui a inspiré l’univers théâtral du groupe, créé pour ses concerts, au cours desquels est racontée une histoire par le « gourou » de la bande, Arthur Dagallier. On retrouve Cédric Bouteiller au chant, Manuel Rouzier et Julien Abitbol à la guitare et Andreas Radwan à la basse.
La musique, parfois parlée, parfois chantée, toujours avec une pointe de nostalgie, n’empêche pas de susciter la bonne humeur avec ses accents dansants et entraînants. Mélangeant textes poétiques, styles folk, pop, électronique, et vidéoclips loufoques, ce « boys band » ne manque pas d’originalité ! En 2022, MPL sortait l’album Bonhommes, qui tourne la page sur Lucette pour embrasser de nouveaux thèmes, dont celui de la masculinité. Le Délit s’est entretenu avec Arthur Dagallier, qui est passé du rôle de réalisateur des vidéoclips à celui de gourou du groupe, avant de pouvoir s’atteler à la musique assistée par ordinateur (MAO) et participer aux deuxièmes voix.
Le Délit (LD) : Quel était votre jouet préféré quand vous étiez petit garçon ?
Arthur Dagallier (AD) : La légende veut que j’aie passé mon temps à me déguiser.
LD : En quoi vous déguisiez-vous ?
AD : Il y avait un peu de tout. Je mélangeais beaucoup de choses. Je n’avais pas de personnage existant. J’avais plein de masques, de capes… Je créais mes personnages.
LD : Ces personnages possédaient-ils des attributs de stéréotypes masculins, comme des armes, par exemple ?
AD : Je pense que j’avais un peu de tout. Mes parents n’étaient pas de grands admirateurs des pistolets. Dans mon souvenir, je devais avoir des sabres de pirate. Mes déguisements, c’était beaucoup des vieilles fringues que ma mère récupérait. Je mettais aussi beaucoup de grandes jupes, j’avais des capes et des perruques. C’était très varié et ça ne correspondait pas vraiment à des archétypes.
LD : Votre dernier album Bonhommes cherche à détruire les codes sociaux de la masculinité. On peut penser que ce type de normes sociales est ancré dès l’enfance.
AD : Oui, bien sûr. C’est marrant, parce que pour le clip de Bonhommes , on avait décidé qu’on incarnerait des archétypes. Le réalisateur nous a appelé chacun séparément pour nous demander quel fantasme d’archétype on voudrait incarner. Instantanément, j’ai choisi le chevalier, qui est le personnage que j’interprète dans le clip. Pourtant, je n’ai pas souvenir d’avoir eu des déguisements de chevalier quand j’étais petit, mais là, en l’occurrence, je me suis vraiment rué sur l’occasion, parce que je savais qu’on allait louer des costumes de bonne qualité. J’avoue que j’étais très excité à l’idée d’avoir une armure et une épée !
« Cette injonction à ne pas pleurer, à être fort, à ne pas montrer ses sentiments, ne pas parler de ses sentiments, les hommes aussi en subissent les conséquences »
LD : Le groupe The Cure a écrit une chanson s’appelant « Boys don’t cry ». Pour vous, les garçons ont-ils l’interdiction de pleurer ?
AD : Non, pas du tout. Dans la chanson, on parle justement de l’inverse. C’est simplement un des points de départ de la chanson. Il s’agit de dire que typiquement, [ne pas devoir pleurer quand on est un homme, ndlr] est une des injonctions à la masculinité, qu’on essaie de tordre en disant que : « non, tout le monde a le droit de pleurer, tout le monde a le droit d’être triste. » C’est un concept intéressant, parce qu’on parle beaucoup du patriarcat comme faisant des femmes des victimes, ce qui est une réalité indiscutable. L’argument que j’aime bien utiliser quand j’en parle avec des gens, c’est que tout le monde est victime du patriarcat. Et évidemment, bien plus les femmes que les hommes, mais les hommes aussi ont à gagner à ce que ça soit renversé, comme système. Cette injonction à ne pas pleurer, à être fort, à ne pas montrer ses sentiments, ne pas parler de ses sentiments, les hommes aussi en subissent les conséquences. Le monde entier en subit les conséquences.
LD : Vous dites, dans la chanson « Bonhommes », que vos « idoles de jeunesse ne [vous, ndlr] font plus rêver ». Qui étaient ces idoles ?
AD : La phrase est volontairement vague pour que tout le monde puisse se représenter ses idoles de jeunesse. Pour notre génération, de 1986–87, dans le groupe, nos idoles masculins de quand on était jeunes et ados, c’étaient les héros de films d’action : Stallone, Schwarzenegger, Bruce Willis. On les retrouve tous dans le premier film de la série Expendables.
« Je ne me compare plus maintenant que je suis adulte. Je ne me dis plus “j’aimerais être cette personne quand je serai grand” »
LD : Avez-vous aujourd’hui de nouvelles idoles ?
AD : Je ne saurais pas trop te citer quelqu’un en particulier, mais je sais qu’on s’échange quand même souvent des podcasts, des nouvelles personnes. Je ne parle pas d’idole, parce que je ne suis plus dans ce rapport-là. Je ne me compare plus maintenant que je suis adulte. Je ne me dis plus « j’aimerais être cette personne quand je serai grand ». Par contre, si je trouve une personne inspirante, je trouve important que cette personne ait le droit de parler, qu’elle ait une place, un espace d’expression, autant que les gros machos l’ont eu à l’époque.
LD : Dans la bande, qui est le plus fort ? Qui aurait le plus de chances de battre les autres au bras de fer ?
AD : C’est une bonne question, ça ! (rires) On a tous des petites spécificités sur certains aspects physiques, mais je pense que ça se jouerait entre Cédric [chanteur du groupe, ndlr] et moi. Mais on ne le fait jamais.
LD : Diriez-vous que vous êtes les « bonhommes » de la troupe ?
AD : Ça dépend de ce que tu veux dire. Selon l’ancien sens de bonhomme, non. On a tous évolué. Cédric, c’est celui qui nous a fait nous questionner le plus vite et le plus tôt. Il est vraiment arrivé au bout de son cheminement personnel. Il a tiré tout le groupe vers l’avant sur ce sujet. Tant mieux, parce que moi, je trouve ça génial. Cédric est un ami d’enfance, mais dans ce cadre-là, c’est un collègue de travail, qui m’a ouvert les yeux. On a tous cheminé à des vitesses différentes, parce qu’on ne venait pas du même milieu, variant selon nos histoires personnelles, les modèles, les rapports qu’on a eus dans nos familles, fratries, groupes d’amis. Et justement, l’enjeu pendant l’écriture de la chanson « Bonhommes », c’était d’être sûr que ce qu’on racontait convenait à chaque membre du groupe. Il fallait que ce soit représentatif de l’état d’esprit de chacun. S’il l’avait écrit pour lui tout seul, Cédric serait allé plus loin dans la dénonciation. Mais certains craignaient d’être trop donneur de leçons. Ça ne voulait pas dire que l’on n’était pas d’accord avec la chanson, mais plutôt qu’on ne se sentait pas assez légitime pour expliquer ce qu’il faut faire.
LD : Quelle est votre propre définition de « bonhomme » ?
AD : Aujourd’hui, pour nous, un bonhomme, c’est un mec qui assume ses sentiments, ses faiblesses, qui assume surtout de se remettre en question et de remettre en question sa place. Je dirais que le plus important, c’est de prendre conscience de nos privilèges de départ. Pour moi, c’est le plus dur à entendre quand tu commences
à travailler là-dessus, surtout en tant qu’homme blanc, valide, hétéro, cisgenre. On cumule tous les passe-droits. Pour moi, il y a vraiment deux choses à faire : c’est de reconnaître ses privilèges, et c’est d’accepter qu’il ne faut pas nier ses privilèges, il faut que tout le monde ait ces privilèges. Il faut faire en sorte que tout le monde y ait accès.
LD : Dans la chanson « Sur une échelle », faites-vous un hommage aux grands-mères ?
AD : Oui, Cédric l’a vraiment écrite en pensant à la dernière fois qu’il a visité sa grand-mère à l’hôpital. Il est parti de ce moment personnel, mais il a essayé d’écrire de manière un peu universelle pour que tout le monde s’y retrouve. Quand il nous a proposé ce morceau, c’était un peu une évidence au sein du groupe. L’avantage, c’est que, qu’on les ait connues ou non, tout le monde a eu deux grands-mères. D’ailleurs, on parle d’une grand-mère, mais il y a des gens qui viennent nous voir parfois, ça les projette dans le rapport qu’ils ont avec un proche autre, que ce soit un parent, un grand-parent…
LD : Comment vieillir dans une société aussi complexe, dans laquelle des guerres se déclenchent à tout instant et les questions environnementales deviennent de plus en plus pressantes ? Est-ce que ce sont aussi des thèmes que vous pensez peut-être un jour aborder ?
« D’un côté, il y a les journalistes, les gens qui font les infos à la télé le soir, et de l’autre, les artistes, qui parlent de sujets de la société à leur manière »
AD : Oui, c’est ce qu’on a essayé d’aborder avec « Blanc » [évoquant l’inquiétude sur l’avenir, ndlr]. C’est pour le moment la chanson de MPL qui parle le plus de ce sujet-là, même si c’est plutôt indirectement. On parle rarement des sujets de manière vraiment frontale dans les chansons. C’est un peu une manière qu’on a déjà utilisée plusieurs fois de parler d’un sujet en passant par un chemin un peu détourné. Mais c’est peut-être des thèmes qui vont revenir dans des chansons futures. De toute façon, tu ne peux pas éviter ces sujets-là, ils nous questionnent trop au quotidien. Il y a encore plein de combats.
LD : Même quand vous abordez des thèmes un peu plus sombres, votre musique est toujours plutôt gaie, dansante. Pensez-vous que la musique permet de traiter des sujets plus complexes avec de la légèreté ?
AD : Oui, la musique permet de te laisser le temps de réfléchir et de maturer un sujet. Tu vas peut-être écouter « Blanc » une première fois et tu vas aimer la chanson sans comprendre de quoi ça parle. Tu vas la réécouter et au bout d’un moment, les paroles prendront du sens. Il y a des petites phrases qui restent, des petites musiques qui perdurent. D’un côté, il y a les journalistes, les gens qui font les infos à la télé le soir, et de l’autre, les artistes, qui parlent de sujets de la société à leur manière. On ne s’impose pas de parler de sujets comme ça, mais forcément, ça nous entoure. Du coup, on va forcément avoir envie d’en parler, et la musique est un moyen d’aborder ces sujets-là, parce qu’on a un auditoire. Les questions qu’on se pose alors sont les suivantes : Qu’est-ce qu’on veut que les gens entendent quand on va chanter cette chanson ? Qu’est-ce qu’on veut qu’ils retiennent ?
LD : Est-ce que vous ciblez un public en particulier ou est-ce que vous cherchez à vous adresser au plus de gens possible ?
AD : On essaye surtout d’être compris par tout le monde. On cherche à être, même si ce n’est pas toujours facile, le plus inclusif et universel possible dans la manière d’écrire les chansons. Sur des questions de couple, par exemple, quand on a une chanson qui parle de deux personnes, Cédric essaye de faire l’effort pour qu’on ne sache jamais si c’est un couple hétéro ou homo, deux hommes, deux femmes. On essaye de trouver des formules dans lesquelles n’importe quelle personne amoureuse peut se projeter. C’est un exemple que je donne mais en tout cas, on trouve ça important de faire cet effort-là.
LD : Ce dernier album, en quoi se différencie-t-il des deux premiers ?
AD : Nous, on ne se rend pas compte qu’on a fait quelque chose de fonda- mentalement différent, parce que nous vivons une évolution permanente. Toutefois, les premiers albums étaient quand même très teintés de ce mythe un peu fondateur du groupe, de cette Lucette, de cette fille qui avait disparue : cette espèce de légende qu’on avait construite autour de l’univers du groupe. Mais cette fois, cet album-là, Bonhommes, n’en parle pas du tout. C’est le premier album qui n’aborde absolument pas ce sujet-là , et c’était volontaire. C’est pour ça qu’on a changé d’univers visuel aussi. On est passé à la photo, on a changé de graphiste, on a changé tout ça. Et l’idée, c’était de dire qu’on marque un cap dans l’univers du groupe et de ce qu’on veut raconter.
LD : Vous aimez bien toucher à tout, comme les vidéoclips, la mise en scène des concerts, et la musique. Pour vous, la musique est-elle plus qu’un art acoustique, en étant aussi un art visuel ?
AD : Oui, parce qu’on a commencé sur YouTube. Nous, au début, on n’avait pas de plateforme, on n’avait rien. On faisait des morceaux, on faisait des clips dans la foulée, on les publiait directement. Youtube, ça reste notre média de départ. Après, on a découvert qu’on pouvait mettre nos musiques sur les plateformes, mais c’était déjà trop tard. On avait déjà pris trop de plaisir à tourner des clips et du coup, on a continué.
« On marque un cap dans l’univers du groupe et de ce qu’on veut raconter »
LD : Pour finir, quel est le rôle d’un gourou dans un groupe de musique ?
AD : Le gourou, c’est vraiment un truc qu’on avait sur la dernière tournée, qu’on n’a plus maintenant. Mais le gourou, c’était vraiment un personnage qu’on avait inventé parce qu’au départ, quand je suis rentré dans le groupe, je réalisais des clips et je montais sur scène pour faire les inter-morceaux, pour raconter un peu des histoires, des anecdotes, donner la parole aux autres, pour créer un fil rouge qui faisait que le concert soit un spectacle continu et pas simplement une suite de morceaux. Je ne saurais même pas te dire exactement comment ça a commencé. Ça a été un peu progressif avec les spectacles en live. Ce gourou qu’on avait inventé était un personnage qui était très drôle à faire parce que c’est un code que les gens comprenaient tout de suite. Tu avais vraiment le gourou et les quatre musiciens. On avait inventé ce principe de cérémonie qui remplaçait les concerts. Et quand on a changé de cap avec le dernier album, on s’est posé la question de garder le gourou pour finalement se dire qu’il faisait vraiment trop partie de l’univers d’avant et qu’il fallait l’abandonner. Et donc maintenant, il y a d’autres personnages sur scène, mais le gourou a disparu avec le nouvel album.
MPL sera en concert à Montréal le 3 novembre au Lion d’Or, dans le cadre de l’événement Coup de cœur francophone. Vous pouvez également retrouver leurs chansons et vidéoclips sur leur compte Youtube.