Dans une ère où le volontourisme – un néologisme formé des mots volontariat et tourisme – gagne en popularité, Le Délit a voulu se pencher sur les motivations et conséquences de cette forme d’engagement. Pour cela, nous avons rencontré Charlotte Laverne, étudiante en troisième année à McGill et Clémence, ancienne étudiante de McGill.
« Je suis quelqu’un de bien »
L’engagement civique associé à l’entreprise d’activités bénévoles comme faire des maraudes ou distribuer de l’aide alimentaire par l’association de son quartier peut paraître pour certains trop « banal ». Depuis quelques années, certains ont trouvé un moyen de rendre leur engagement plus dépaysant ou « exotique » : partir à l’étranger pour aider. Dans un monde inégalitaire où près d’un milliard d’individus vivent dans l’extrême pauvreté, des personnes des pays riches et développés, désireux de s’engager pour une cause, veulent venir en aide aux communautés les plus vulnérables. Moyennant des sommes parfois exorbitantes, des associations proposent des expériences humanitaires, dont les impacts sur les communautés locales sont parfois loin d’être positifs. Voyager (souvent en Afrique ou en Asie) pour aller aider les populations locales est une ambition qui suscite des questionnements et des critiques. Outre son but qui consiste à apporter de l’aide à ceux qui en ont besoin, cette activité peut souvent être accompagnée d’intentions parallèles, notamment pour satisfaire sa bonne conscience, passer des vacances légitimes et pouvoir affirmer à tout son entourage : « Je suis quelqu’un de bien. » Ce phénomène de légitimation moral est aussi appelé « syndrome du sauveur blanc ».
Dans le cadre universitaire, les opportunités de volontariat à l’étranger sont nombreuses, et mises en avant au sein de la communauté étudiante. Interrogée sur la popularisation du volontourisme, Clémence nous a confié :
« Je pense qu’un facteur important, c’est que ce type d’expérience est valorisé dans les universités. On nous encourage davantage au volontariat à l’étranger, qu’au volontariat local. » Ce phénomène s’est popularisé à travers l’instagrammabilisation de nos voyages, cette envie de montrer et d’étaler notre vie sur les réseaux sociaux. Pour Clémence, « quand on voit d’autres gens le faire, on se dit que ça peut être bien, sans comprendre les conséquences du volontourisme. Donc, au final, c’est faire un voyage en se donnant bonne conscience ». Les gens iraient-ils à l’autre bout du monde pour aider des enfants s’ils ne pouvaient pas l’afficher sur les réseaux sociaux ?
L’influence sur les populations locales
Charlotte est partie deux mois en Tanzanie, près de la ville de Mikungani, pour aider dans une école. Celle-ci fait partie de l’association, Life Support For Change, créée par Myriam, une femme du village, ayant pour le but s’occuper des enfants en bas âge.
D’abord affectée aux classes, Charlotte s’est ensuite occupée de l’administration et de la rédaction de rapports pendant le reste de son séjour au sein de l’association. Elle explique qu’au cours de la période, des groupes d’une vingtaine de Sud-Américaines sont arrivées à plusieurs reprises, pour faire ce qu’elle considère du volontourisme. Elles ont voyagé pendant deux semaines avec cette même association, pour un montant exorbitant de plus de 1 000 dollars américains, dédié à l’association Travelers with Cause. Charlotte considère cela comme du volontourisme, car ces personnes « estimaient vraiment les enfants comme des attractions. Elles les appelaient souvent pour s’afficher sur les réseaux, en leur disant “venez par ici, on fait un selfie” ».
L’impact du volontourisme sur les enfants est documenté et dénoncé par l’association ChildSafe Movement, qui a lancé une campagne de sensibilisation : « Les enfants ne sont pas des attractions touristiques ! (tdlr) » Que ce soit pour prendre une photo ou pour créer des liens d’affection, ces enfants revivent – volontaire après volontaire – la même expérience traumatisante de voir ces affinités déchirées lors du départ de ces bénévoles, que ce soit pour deux semaines ou trois mois.
« L’idée, c’est d’insister sur un suivi, de ne pas partir un mois et ne jamais en reparler »
Clémence, ancienne étudiante de McGill
Bénéfice ou préjudice ?
Au-delà du comportement avec les enfants, Charlotte dénonce un autre problème rencontré avec les volontouristes : « On a eu affaire plusieurs fois à des filles qui disaient “non, je n’ai pas envie de travailler aujourd’hui”, alors qu’elles ne travaillaient déjà qu’une demi-journée, et avaient leur week-end de libre. » Charlotte avait interrogé Myriam, la directrice de l’association à ce sujet, celle-ci lui a confiée rechercher activement d’autres sources d’argent pour s’émanciper de ces groupes, afin de clairement séparer volontariat et tourisme, parce que ces refus trop récurrents au travail perturbent le fonctionnement de l’école. Malgré tout, l’association avoue avoir besoin de ces fonds pour lancer le projet : « Ces filles, quand elles viennent, elles apportent énormément d’argent. Je dirais qu’en moyenne, chacune de ces filles permettait de sponsoriser trois enfants. Et même quand elles sont sur place, elles dépensent énormément dans l’économie locale. Donc, au sein de l’école, il y a un petit magasin qui a été mis en place pour que les groupes puissent acheter des souvenirs. »
Pour Charlotte, le volontourisme est un phénomène répandu et une entreprise florissante pour les associations bien intentionnées, ou non. « J’ai rencontré d’autres gens qui pensaient faire du volontariat au Togo. Au final, en s’engageant dans l’association, elles se sont rendu compte que les sommes payées par les volontaires n’étaient pas du tout reversées aux enfants. » De son côté, Clémence identifie plusieurs niveaux de volontourisme : « Il y a le niveau financier. Donc, le volontourisme, c’est vraiment comme payer pour faire du tourisme, mais pour faire du bénévolat. Il y a aussi le bénévolat dans un cadre où la personne n’a pas les compétences pour ce qu’elle fait. Puis il y a aussi la structure dans laquelle tu le fais. Est-ce que tu le fais dans une structure qui est en train de vraiment remplir un besoin ? Es-tu vraiment en train de remplir un besoin qui ne peut pas être rempli par des locaux, soit parce qu’il y a un manque de compétences, un manque de main d’œuvre, ou un manque de formation ? Quelque chose qui peut être fait sur place, c’est du volontourisme. » Le volontariat à l’étranger doit ainsi prendre en compte l’impact sur les communautés locales : est-ce réellement un bénéfice ou alors un préjudice ? La durabilité du projet de volontariat ne peut être à court terme, et une prise de conscience est absolument nécessaire avant de s’engager.
Des alternatives ?
Alors, comment faire du volontariat sans tomber dans les travers du volontourisme ? Nous avons posé la question à Clémence, qui s’était engagée dans un projet à l’étranger via le scoutisme. « L’idée, c’est que les projets qu’on doit construire sont en collaboration avec des associations. On doit vraiment apporter quelque chose. On n’a pas le droit de juste payer une association pour faire du bénévolat. L’idée, c’est d’insister sur un suivi, de ne pas partir un mois et ne jamais en reparler. L’idée, c’est potentiellement de lever des fonds après, de faire un suivi, de pousser d’autres équipes à aller faire du bénévolat avec les mêmes associations. » Cependant, Clémence considère que la démarcation avec le volontourisme reste fine. « On reste des gens de 19 ans, qui vont faire un projet à l’étranger pendant une période courte d’environ un mois, sans avoir beaucoup d’expérience. Je pense que le but est principalement éducatif, c’est surtout de nous apprendre à ne pas avoir peur de partir à l’étranger et d’aller à la rencontre d’autres communautés. Mais pour les locaux, je ne vois pas toujours l’intérêt. »
Quelle est la nécessité de parcourir des milliers de kilomètres si le but principal est de nourrir son propre égo ? L’engagement local pourrait finalement être la meilleure solution aux problèmes posés par le volontourisme, afin de tirer une ligne claire entre volontariat et tourisme, entre aide et divertissement. En effet, comme nous l’a expliqué Clémence, le volontourisme est fondé sur le syndrôme du « sauveur blanc », qui découle du racisme et de la suprématie blanche, plaçant ces derniers dans une position de privilège et ayant le rôle de
« sauveur » vis-à-vis de ceux qui ont été historiquement opprimés et exploités.