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Le miroir ou l’avant-garde ?

Le Délit a rencontré le scénariste et réalisateur Philippe Falardeau afin de discuter de son prochain film, Bashir Lazhar, et de la représentation de l’Autre dans le cinéma québécois.

Dans la foulée de la sortie de sa comédie politique The Trotsky à Los Angeles, le réalisateur Jacob Tierney avait déclenché tout une polémique dont lui-même n’envisageait pas l’étendue. Le cinéma québécois ne s’intéresse pas à l’Autre, qu’il soit immigrant ou anglophone, avait-il déclaré à La Presse. Plusieurs des œuvres financées, diffusées et récompensées seraient d’ailleurs fondées sur une « glorification de la nostalgie », comme en font foi, selon lui, des films tels que C.R.A.Z.Y, Polytechnique et 1981. Il n’en fallait pas plus pour lancer le débat sur plusieurs tribunes. Philippe Falardeau est-il l’exception qui confirme la règle ? Certainement pas, vous répondra-t-il, mais quelques signes montrent que les choses vont changer peu à peu.

Pascal Ratthé

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« Doit-on obliger les scénaristes à parler des immigrants ? Pas du tout. Mais peut-on dire que globalement nous ne nous intéressons pas aux autres ? Oui, parce que c’est un fait. Je ne me sentais pas concerné [par les propos de Tierney], mais je fais partie d’une société qui ne s’intéresse pas aux autres. Incendies est un peu l’exception qui confirme la règle. Et si les gens s’approprient ce film et l’aiment, je crois que c’est parce qu’ils sont impressionnés de voir qu’au Québec on peut faire des films qui se passent ailleurs avec un lien au Québec. Il faut être fallacieux par contre pour penser que deux exceptions prouvent le contraire. Je trouve que là-dessus nous sommes en retard alors qu’un artiste devrait être en avant de son temps. »

Diplômé en sciences politique et en relations internationales, c’est par « La course destination-monde », un concours télévisuel diffusé par Radio-Canada, que Philippe Falardeau a fait ses premières armes au cinéma. Vingt films en vingt-six semaines depuis différentes régions du monde : la compétition qu’il a remportée en 1993 lui a appris les rudiments d’un métier qu’il pratique toujours. Après avoir participé à la production de plusieurs documentaires et présenté Pâté chinois, portant sur l’immigration chinoise au Canada, le réalisateur se tourne vers la fiction au début des années 2000, un peu par hasard. avec La moitié gauche du frigo, qui traite, entre autres, du chômage : « J’ai été voir un producteur pour lui proposer un documentaire et il était plus ou moins intéressé. Il m’a demandé si j’avais autre chose. J’ai répondu que je voulais faire un documentaire sur mon coloc, un ingénieur au chômage, mais il s’était trouvé un emploi, donc c’était tombé à l’eau. [Le film est donc devenu] une mise en abyme de ce que j’ai vécu et de mon métier de documentariste. C’est devenu par accident une première fiction, mais je ne suis jamais revenu en arrière par la suite. »

Après sont venus Congorama, une quête identitaire qui se déroule entre le Québec et la Belgique et C’est pas moi, je le jure, adaptation du roman éponyme de Bruno Hébert. Bashir Lazhar s’inspire d’une pièce d’Évelyne de la Chenelière racontant la relation d’un enseignant suppléant algérien avec ses élèves, alors que celui-ci vient de débarquer au Québec pour obtenir le statut de réfugié politique et qu’il remplace une institutrice qui s’est suicidée sur les lieux de l’école. Tout en renouant avec l’univers de l’enfance qu’il explore dans C’est pas moi, je le jure, le cinéaste présente son nouveau film comme une fable réaliste sur le deuil : Bashir Lazhar (incarné par le comédien et humoriste Fellag) veut aider ses élèves tout en cherchant lui même à surmonter la perte de sa propre femme.

Le monologue, qu’il a vu mis en scène il y a quelques années, correspondait tout a fait à ce que Philippe Falardeau envisageait pour son prochain projet : « Ce qui m’a frappé c’était que la pièce [était fondée] sur un personnage d’immigrant et que ça faisait longtemps que je voulais faire un film autour d’un tel personnage. Toutefois, la situation d’immigrant ou plutôt de réfugié [de Bashir] n’en était pas le sujet principal. C’était en toile de fond et le drame se passait davantage dans ce qu’il vivait avec les enfants. J’aimais cette idée de faire un film avec un immigrant qui ne soit pas un discours sur l’immigration. J’aimais aussi cette idée d’un personnage qui mentait, mais pour une bonne raison, puisque [le protagoniste] va mentir à l’école en disant qu’il a déjà été enseignant, alors que c’était sa femme qui était enseignante. Il ne ment pas pour un gain personnel, il le fait pour sublimer la perte de sa femme, morte en Algérie. C’est la richesse du personnage qui m’intéressait et le fait que c’était un monologue me permettait de construire un univers à partir de ce que j’imaginais, ce qui me laissait de la liberté. »

Le cinéaste rencontrait Evelyne de la Chenelière après avoir terminé différentes versions du scénario. Sans jamais s’immiscer dans l’adaptation de sa pièce, la dramaturge a donné quelques idées au cinéaste et a surtout fait en sorte que le protagoniste soit fidèlement reproduit à l’écran.

Pascal Ratthé

Un équilibre idéal
Sans être contre les œuvres commerciales et les films de genre, Philippe Falardeau réitère que l’état idéal du cinéma québécois correspondrait simplement à l’atteinte d’un certain équilibre : « Il faudrait clairement un meilleur équilibre entre le cinéma de fiction et le documentaire. Le documentaire ayant fondé notre cinématographie au Québec, […] il faut continuer de s’assurer qu’il y aura une façon de maintenir un équilibre entre le cinéma commercial et le cinéma d’auteur. Pour l’instant, je pense que cet équilibre est assez bien. Malgré la crainte qu’on a de voir le cinéma s’américaniser, il reste que Maxime Giroux, Denis Côté et Bernard Émond continuent de faire leurs films. Je pense qu’il y aura une fusion plus grande entre le cinéma commercial et le cinéma d’auteur. On l’a vu avec C.R.A.Z.Y., qui est indéniablement un film d’auteur et un film commercial accepté en tant que tel. Et ce n’est pas une mauvaise chose si on continue à financer des œuvres plus pointues. »

Il en est tout autant, selon lui, de la représentation de l’identité québécoise dans notre cinéma, où l’œuvre doit se faire autant le miroir d’une société peu intéressée par l’Autre que par l’avant-garde en représentant une diversité qui est à l’image de la réalité d’ici : « Lorsqu’on dort, c’est rare qu’on rêve tout de suite à l’environnement dans lequel on vit. On continue de se voir dans notre ancien environnement. Le jour où chacun de nos rêves intègre notre nouvel environnement, cela veut dire qu’un certain temps est passé. Le cinéma, on peut le voir comme quelque chose d’avant-gardiste ou comme un miroir. Avant que le miroir reflète la société, il est évident qu’il y a un décalage. Je pense que nous avons la responsabilité d’être un miroir mais d’être avant-gardiste aussi. Au delà de ça, je crois que nous avons la responsabilité de faire la meilleure œuvre possible, ce qui émane de nous. Ce qui m’intéresse davantage chez un auteur est sa vision du monde. On devrait intégrer plus intelligemment notre patrimoine. J’ai un problème lorsqu’on me dit qu’il faut faire des films sur nous ; l’un n’empêche pas l’autre. »

Le débat déclenché par Jacob Tierney continuera sans doute à faire écho dans le milieu cinématographique et sur les tribunes.

Philippe Falardeau a d’ailleurs été invité par l’Université McGill à venir expliquer sa vision de l’identité québécoise et de sa transposition sur les écrans le 17 mars prochain aux côtés du journaliste Brendan Kelly, dans le cadre des ateliers « Lunch and Learn » présentés par l’Institut d’études canadiennes de McGill.


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