Le 14 décembre dernier, le conseil d’administration de l’Université McGill a voté en faveur d’un désinvestissement majeur. L’institution va abandonner toute participation directe dans les entreprises de combustibles fossiles figurant dans la liste Carbon Underground 200 (CU200) à compter de 2024, pour un abandon complet en 2025. Cette nouvelle décision représente une étape majeure dans la stratégie d’investissement socialement et écologiquement responsable de l’Université. Cette mesure met fin à plus d’une décennie de mobilisation étudiante, notamment incarnée par l’association étudiante Divest McGill, dédiée à la lutte contre les investissements dans les énergies fossiles et à la promotion de la justice climatique. Depuis sa création il y a douze ans, l’association est devenue le porte-parole des étudiants en désaccord avec le soutien de l’Université aux industries polluantes.
Maintenant ou jamais
Après plus d’une décennie de lutte pour le désinvestissement sans réelle action de la part de McGill, la possibilité qu’une telle demande puisse se concrétiser pouvait être questionnée. Dans une entrevue pour Le Délit, Naomi Pastrana Mankovitz, membre de Divest McGill depuis sa première année d’étude et porte-parole de l’association, nous a fait part de son ressenti face à cette avancée majeure : « C’était dur de s’attendre à une telle décision, mais on sentait qu’on n’avait jamais été aussi près [du but, ndlr], parce qu’on avait reçu des retours positifs du conseil d’administration et un soutien très important. (…) Toutes les circonstances étaient réunies, c’était maintenant ou jamais. (…) Tous les rapports environnementaux étaient en notre faveur et il n’y avait aucune raison de ne pas le faire. »
De plus, Naomi ajoute qu‘afin d’arriver à son but, la manière d’agir de Divest a dû évoluer au fil du temps : « Depuis des années, on était vraiment rigide et bruyants, on a fait des sit-ins, des pétitions, mais lors des derniers mois on était plus dans une approche où on parlait directement avec eux [le conseil d’administration, ndlr], en leur faisant des présentations. Il y a eu un dialogue et une collaboration. »
« Toutes les circonstances étaient réunies, c’était maintenant ou jamais (…) Il n’y avait aucune raison de ne pas le faire »
Naomi Pastrana Mankovitz
Une mesure symbolique
Dans ces circonstances très favorables de soutien massif et de climat apaisé, le vote en faveur du désinvestissement était donc plus attendu que jamais. Naomi nous a mentionné la portée très symbolique de ce vote : « Lorsque j’ai vu [les résultats, ndlr] j’ai crié, j’ai lancé mon cellulaire par terre. C’était incroyable parce que j’ai vu douze années d’efforts de la part de l’association se refléter sur une seule décision. Puis, partager ce moment avec les collègues qui travaillent encore dans l’association et penser à ceux qui ont gradué, c’était vraiment nice. » En effet, ce désinvestissement concrétise l’aboutissement d’un long travail. Naomi explique : « Des milliers de personnes ont été impliquées, pas juste des étudiants, mais aussi des professeurs. Toute l’université était derrière Divest à travers des lettres, des pétitions et des mobilisations. » Cette lutte a joué un rôle important sur le campus et a impacté la communauté enseignante et étudiante au fil du temps. Par exemple, le professeur de philosophie et d’éthique environnementale, Gregory Mikkelson, avait démissionné en 2020, face au manque d’action de la part de McGill pour le désinvestissement des énergies fossiles.
Malgré cette victoire, la porte-parole de Divest souligne que ce désinvestissement aura tout de même pris douze années, ce qui symbolise aussi selon elle un problème au sein de l’institution. : « Un point d’amélioration à considérer, c’est que l’on devrait démocratiser ces prises de décisions là. Une grande majorité [d’étudiants, ndlr], soutenus par la science, étaient pour ce désinvestissement depuis des années, mais ce n’est que quelques personnes haut placées de l’administration qui ont pu prendre cette décision. » Naomi ajoute que bien qu’elle soit très contente, il n’est pas normal que les étudiants aient à supplier le conseil d’administration pour que celui-ci daigne les écouter.
Et maintenant ?
Maintenant que ce désinvestissement majeur a été annoncé, et le but de l’association atteint, le futur de Divest peut être questionné : que va devenir l’association ? L’idée d’arrêter est d’abord venue à l’esprit de Naomi. « En septembre, on avait déjà pensé à une potentielle réussite, on se faisait déjà à l’idée que cette session serait peut-être la dernière », nous a‑t-elle confiés. Néanmoins, comme l’a affirmé l’association dans un communiqué sur Instagram suite à leur victoire le 17 décembre 2023, le travail de l’association « ne s’arrête pas ici ». En effet, bien que la trajectoire future de l’association soit pour le moment incertaine, Naomi nous a fait part de potentielles perspectives pour l’avenir. Premièrement, il y a la nécessité de finir le travail. Selon elle, il y a encore des choses à améliorer dans le portefeuille d’investissement de l’Université. Il y a encore 0,4 % des investissements du fonds commun qui sont indirectement liés à des industries fossiles. Parallèlement, Divest a aussi déclaré vouloir continuer à surveiller l’application du plan d’investissements « durables » de McGill. En plus de finir le travail de désinvestissement, Naomi nous mentionne l’envie de pousser à réinvestir l’argent libéré, et à mener des investissements plus responsables, verts et durables. Il faut « réinvestir l’argent qu’on n’investit plus dans les énergies fossiles, et continuer la communication qu’on a avec McGill par rapport à ces investissements ». Deuxièmement, Naomi a mentionné la volonté de continuer à faire pression pour des investissements socialement responsables. Comme le souligne Naomi, « Divest est un mot qui peut être appliqué à plein de causes ». Divest McGill s’est déjà engagé par le passé à soutenir d’autres causes, environnementales ou non. En 2021, Divest McGill s’était notamment joint aux côtés d’autres associations dans la foulée du mouvement « Divest for Human Right Campaign at McGill ». Plus récemment, l’association a aussi apporté son soutien au Kahnistensera (Mères mohawks) dans leur lutte pour l’arrêt provisoire du projet du Nouveau Vic, porté par McGill et la Société québécoise des infrastructures.
« Avec un peu de chance ça va se développer en quelque chose de plus large, qui couvre plus de sujets (…) les choses vont beaucoup changer »
Naomi Pastrana Mankovitz
Vers une coalition environnementale ?
La porte-parole de Divest nous a partagé l’idée de créer « une coalition gouvernementale », « parce qu’en ce moment, il n’y a pas vraiment de groupes activistes qui font des actions directes à McGill ». Naomi mentionne la potentielle création d’un front uni pour l’environnement à McGill, qui compte déjà plusieurs autres associations luttant pour la cause environnementale comme ESG McGill, McGill Energy Association, Little Forest McGill, et bien d’autres. Divest McGill peut afficher aujourd’hui une grande victoire sur son palmarès. Cette victoire, ainsi que ses compétences de mobilisation et « la connaissance institutionnelle » acquise ces douze dernières années pourraient constituer un point de départ pour un nouveau mouvement de plus grande ampleur. « Avec un peu de chance ça va se développer en quelque chose de plus large, qui couvre plus de sujets (…) les choses vont beaucoup changer. »
Cette victoire montre finalement que les mobilisations étudiantes ne sont pas vaines, et peuvent avoir une influence déterminante sur les institutions. Pour Divest McGill, cette victoire signifie que « tout est possible » et que l’action environnementale doit se poursuivre coûte que coûte.