Le 18 février dernier, le ministre israélien Benny Gantz, du cabinet de guerre de Benyamin Netanyahou, a déclaré que « si d’ici le Ramadan, les otages ne sont pas revenus à la maison, les combats continueront partout, y compris dans la région de Rafah ». Ce message s’inscrit dans le contexte de bombardements massifs de la bande de Gaza par Israël depuis le 7 octobre, tuant plus de 30 000 civils jusqu’à aujourd’hui. Environ 1,3 millions de déplacés gazaouis sont aujourd’hui coincés à Rafah, ville frontalière de l’Égypte. Des experts des droits humains condamnent les conditions de vie inquiétantes et la famine qui touche la population, constituée en grande partie de femmes et d’enfants. Alors que le Ramadan arrive à grands pas, le gouvernement israélien compte utiliser cette période religieuse pour faire valoir ses intérêts, et réaliser ses objectifs de guerre. Afin de mieux comprendre le rôle que la religion joue au sein du conflit Israël-Hamas, Le Délit s’est entretenu avec Norman Cornett, ancien professeur d’études religieuses à McGill.
Une instrumentalisation du calendrier
Le conflit actuel entre Israël et le Hamas s’inscrit dans le contexte de tensions historiques entre Israël et les pays arabes voisins, notamment avec la guerre des Six jours en 1967, ou encore la guerre du Kippour en 1973. Ces guerres ont des liens intrinsèques avec la religion, puisqu’Israël se situe sur le territoire de la Palestine, d’où proviennent les trois principales religions monothéistes : le judaïsme, le christianisme et l’islam. Cornett explique que les calendriers religieux ont joué un rôle historique dans l’ensemble des conflits militaires impliquant Israël et ses voisins. Le professeur donne l’exemple de la guerre du Kippour, qui tient son appellation en raison du moment où cette dernière a éclaté : le 6 octobre 1973, le jour du Yom Kippour, « la fête la plus saine du calendrier juif ». Le professeur revient par la suite sur l’attaque menée par le Hamas sur le territoire israélien en octobre dernier : « Rappelons quelle était la date de l’attaque du Hamas. Le 7 octobre 2023 c’était un samedi, donc le shabbat, la journée la plus vulnérable dans la semaine juive. »
En plus d’être stratégiques, le professeur considère que ces instrumentalisations des calendriers religieux correspondent à des « armes de destruction psychologique massive. Parce que vous touchez le tréfonds de ce qui est le plus cher en tant que musulman ou en tant que juif ».
« Puiser dans les écritures, qu’elles soient coraniques, ou qu’elles soient hébraïques, cela donne carte blanche pour atteindre n’importe quelles fins militaires et politiques »
La religion comme arme de guerre
Le professeur nous explique que depuis le 7 octobre, Netanyahou n’a cessé d’utiliser la religion pour justifier ses opérations à Gaza, décriées par de nombreux acteurs de la communauté internationale comme génocidaires et correspondant à des crimes de guerre. Pour Cornett, « les textes religieux de la Torah, la loi divine juive, sont devenus le leitmotiv de Netanyahou à Gaza ». Netanyahou cite de manière fréquente des textes hébraïques de la Torah dans ses discours, détournant les narratifs et les valeurs de la religion juive pour légitimer ses opérations militaires. Le professeur ajoute : « Puiser dans les écritures, qu’elles soient coraniques, ou qu’elles soient hébraïques, cela donne carte blanche pour atteindre n’importe quelles fins militaires et politiques. » Cette utilisation de la religion comme justification et sacralisation d’actes de guerre, de meurtres et de violation des droits de l’homme a un précédent, et se retrouve directement dans le concept de guerre sainte. Les croisades avaient déjà marqué le Moyen-Âge par des décennies de violences, et plus récemment, les actions de groupes terroristes comme Daech se sont aussi inscrites dans cette légitimation de violence et de haine. Pour Cornett, ce que fait Netanyahou actuellement est aussi « devenu une guerre sainte, et foncièrement haineuse. »
Cornett explique qu’alors même que cette instrumentalisation est basée sur les textes religieux, elle s’écarte justement de ces derniers : « Aussi bien dans le cas du Hamas que dans le cas de Benjamin Netanyahou, la religion est utilisée uniquement à des fins politiques. Pour le Hamas, est ce que c’est vraiment l’islam qui compte ? Et dans le cas de Netanyahou ? Il est juif sioniste, mais est ce qu’il se sert du judaïsme ? Est ce que c’est vraiment le judaïsme qu’il veut préserver ? »
Alors même qu’ils prétendent servir la religion, ceux qui s’en servent à des fins militaires contredisent directement ses principes. « Dans le cas de la Torah comme dans lecas du Coran, commettre un meurtre, c’est le crime capital. Il y a des conséquences extrêmement graves. » Mais le professeur Cornett explique que c’est une boucle bouclée : puisque c’est le crime capital, « il faut que ce soit commandé par Dieu, et cela vient donc non seulement justifier la mort, mais même la sanctifier, voire la sacraliser. »
« Si jamais Netanyahou se montrait ouvert à l’idée d’un apaisement ou d’un État palestinien, il perdrait les ministres de son cabinet »
Un ultimatum : Rafah et le Ramadan.
Le gouvernement israélien est rendu à un point de non-retour, la crise humanitaire s’accentue et l’offensive imminente contre Rafah inquiète tous les pays occidentaux. Maintenant, le gouvernement israélien est confronté à une impasse entre les puissances occidentales et les nationalistes ultra-religieux du gouvernement d’Israël, dont le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir, explique le professeur Cornett. Les puissances occidentales se sont montrées compréhensives envers Israël après le 7 octobre, puisque « tout le monde était d’accord qu’ils avaient le droit de se défendre. Par contre, il [le gouvernement Netanyahou, ndlr] est en train de brûler cette bonne volonté de la part des ÉtatsUnis, de l’Union européenne, de la GrandeBretagne, et cela est un grand danger. » Les puissances occidentales ont lancé plusieurs fois des avertissements à Israël afin que l’État cesse ses offensives contre Gaza, tandis que les nationalistes ultra-religieux réclament la poursuite des offensives, présentant même un plan d’après-guerre pour Gaza. Le professeur Cornett explique que les tensions montent au sein du cabinet israélien : « Netanyahou se trouve tellement coincé. Si jamais il se montrait ouvert à l’idée d’un apaisement ou d’un État palestinien, il perdrait les ministres de son cabinet, qui sont parmi les nationalistes religieux les plus farouches en Israël. » S’ajoutant à cela, il reste encore 129 otages sous l’emprise du Hamas et leurs familles intensifient leurs demandes au gouvernement israélien. Professeur Cornett inscrit l’ultimatum lancé au Hamas par Israël dans cette lignée : « il [Netanyahou, ndlr] doit satisfaire l’électorat qui est en colère, avec raison, contre lui. Il y a une épée à double tranchant et c’est la raison pour laquelle il a lancé les défis du Ramadan. » Le 10 mars, premier jour du Ramadan, sera une journée décisive dans le conflit Israël Hamas si le gouvernement israélien attaque Rafah, où plus d’un million de personnes sont entassées dans des conditions de vie horribles.