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Le vandalisme d’œuvres d’art est-il encore efficace ?

Clément Veysset | Le Délit

De la poudre rouge sur l’exemplaire original de la Constitution américaine à Washington, de la sauce tomate sur les Tournesols de Van Gogh, une main et une tête collées à La Jeune Fille à la Perle de Vermeer, de la purée de pommes de terre sur les Meules de Monet ; voici seulement quelques exemples d’actes de vandalisme visant des œuvres d’art commis au nom de la cause environnementale dans les dernières années. Le vandalisme militant d’œuvres d’art existe depuis toujours sous différentes formes. De nos jours, cette technique d’activisme non-violent consiste à s’attaquer à une œuvre, d’habitude très connue, en y jetant des substances, des objets, ou en y collant des parties de son corps avec de la superglue.

Pourquoi viser l’art ?


Les œuvres visées par les militants environnementaux ne sont pas choisies au hasard. Elles sont avant tout ciblées à cause de leur popularité. En menaçant d’abîmer des œuvres inestimables, connues et aimées du grand public, les activistes cherchent à attirer un maximum d’attention et de couverture médiatique pour faire entendre leurs revendications. Le geste n’en est pas un de violence envers l’art – le vandalisme ne vise pas (en général) à détruire les œuvres de manière permanente – mais de protestation pacifique.

Le pour et le contre


Le vandalisme de chefs‑d’œuvre divise le public, évidemment, mais également les militants eux-mêmes. En effet, on remarque une différence d’opinions entre les générations de militants environnementaux. Les plus âgés sont en général en désaccord avec le geste. Ils pensent qu’au lieu d’attirer l’attention des gens et des médias sur les revendications environnementales, le vandalisme d’œuvres ne fait que décrédibiliser la cause. Historiquement, les artistes ont été les moteurs de changements sociaux, les messagers des grandes revendications. Donc, de s’en prendre à l’art pour militer peut être considéré comme absurde et contre-productif. Certains activistes sont d’avis que la désobéissance civile pour la cause environnementale devrait s’en tenir à ce qui atteint directement le problème que les activistes cherchent à dénoncer. Par exemple, plus tôt ce mois-ci, des activistes de Greenpeace se sont installés dans le bureau de la ministre des Finances Chrystia Freeland à Toronto pour demander la réglementation des banques qui financent les énergies fossiles.

Les plus jeunes militants, de leur côté, ont plutôt tendance à penser que le choc provoqué par cet acte mal vu du public permet d’atteindre un plus grand auditoire. On entend souvent dire que « de la mauvaise publicité reste quand même de la publicité ». C’est cette idée qui motive en partie les actes de vandalisme d’œuvres d’art. Même si l’image projetée est négative, l’attention des médias est pour un moment consacrée à la cause environnementale.

« Les activistes cherchent à attirer un maximum d’attention et de couverture médiatique pour faire entendre leurs revendications »

Une tactique du passé


Pourtant, le vandalisme d’œuvres d’art a‑t-il encore de nos jours l’effet recherché ? Depuis le premier acte contemporain de vandalisme militant, soit la lacération de la Vénus au miroir de Vélasquez par la suffragette Mary Richardson en 1914, cette technique de militantisme a perdu l’effet de surprise initialement produit. Selon la sociologue et membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) Dana Fisher, le vandalisme d’œuvres est inefficace et ne pousse pas la réflexion du public et des médias plus loin, car déjà vu. De plus, plusieurs musées ont augmenté leurs mesures de sécurité (interdiction aux sacs à dos, fouilles, vitres supplémentaires, etc.) justement en prévision de ces actes. « Les actes de vandalisme sur les chefs d’œuvres de l’art mondial nous interpellent. […] Et ce, indépendamment des revendications », affirme Linda Tremblay, responsable des relations de presse du Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ). En reproduisant cette tactique dont le potentiel de choc a été épuisé, les militants environnementaux ramènent la conversation au débat sur le vandalisme d’œuvres comme manière de protester, plutôt qu’à leurs revendications environnementales urgentes.

« Au fil des décennies, le changement climatique va affecter de plus en plus de personnes. […] Et nous verrons les gens prendre des mesures de plus en plus désespérées », exprime le Dr Oscar Berglund, maître de conférences spécialiste de l’activisme climatique à l’université de Bristol. Si le vandalisme d’œuvres d’art est dépassé, qu’est-ce qui saura le remplacer ?


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