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Une journée au campus Macdonald

À la découverte d’une ferme aux multiples visages.

Adèle Doat | Le Délit

D’où provient la viande que l’on achète en épicerie ? Comment a‑t-elle été produite ? Longtemps chasseur- cueilleur, l’Homme a toujours su trouver sa nourriture dans la nature par lui-même et ce n’est que récemment qu’il a commencé à se poser ces questions. Aujourd’hui, la majorité de la population est totalement déconnectée du processus de production alimentaire et se nourrit de ce qu’elle trouve en magasin, se fiant uniquement aux étiquettes sur la composition et provenance des produits. Parfois, le consommateur décide d’acheter du bio et se sent écolo sans savoir réellement si l’étiquette ne cache pas une réalité moins verte. Finalement, seuls les acteurs du système agroalimentaire connaissent les dessous de la production. Or, il est essentiel de savoir ce que l’on mange au quotidien, car cela impacte à la fois notre santé et l’environnement.

Afin de mieux comprendre l’origine des aliments qui se retrouvent dans notre assiette tout comme celles des cantines de McGill, nous nous sommes rendues à la ferme du campus Macdonald. Cette escapade d’une matinée nous a offert une bouffée d’air dans notre quotidien éreintant d’étudiantes-citadines. Parfois, il suffit d’un retour à la terre pour se rafraîchir la tête et s’échapper de notre monde de béton. 

Loin de la ville

Le campus Macdonald se situe à l’extrémité Sud-Ouest de l’île de Montréal, dans la ville de Sainte-Anne-de-Bellevue, à 32 kilomètres du campus du centre-ville. Pour s’y rendre, il est possible de prendre la navette gratuite offerte par McGill dont on peut retrouver les horaires sur le site de transport de McGill. 

Nous nous retrouvons devant le bâtiment Sherbrooke 680 d’où part la navette pour rejoindre le campus Macdonald. Le trajet jusqu’au campus Macdonald ne dure qu’une trentaine de minutes. Peu de temps après notre arrivée, nous voilà déjà apaisées par la quiétude qui règne sur le campus délocalisé. À quelques dizaines de mètres du fleuve Saint-Laurent, les étudiants étudient dans l’herbe qui s’étend à perte vue. Ici, l’environnement est dans toutes les consciences. Après avoir vagabondé entre les bâtiments de cours, nous gagnons la campagne et les champs. Nous finissons par distinguer la ferme Macdonald, plus facilement accessible en voiture qu’à pied. L’odeur de fumier pénètre nos narines : pas de doute, nous sommes au bon endroit.

Au cœur de la ferme laitière

Poursuivant notre route, nous arrivons au complexe d’élevage laitier, où nous apercevons à travers la grille de l’étable une employée en train de s’occuper des vaches. Celle-ci nous invite à la rejoindre pour nous faire visiter le complexe et, au passage, répondre à nos questions. Nous enfilons des couvre-chaussures en plastique, « pour des raisons de biosécurité et pour garder les chaussures propres (tdlr) », nous explique Aynsley Merk, technicienne animalière pour le troupeau laitier de recherche de l’Université McGill. Aynsley fait partie d’une équipe de cinq techniciens qui s’occupent du troupeau et de l’entretien de l’étable.

Adèle Doat | Le Délit

Une fois à l’intérieur, Aynsley nous prévient que la prise de photos nécessite une autorisation des Comités du soin des animaux des installations (Facility Animal Care Committees). Dans les étables, il est difficile de s’entendre entre le bruit des machines et des animaux. Nous sommes arrivées tout juste au moment où les vaches venaient de rentrer après leur exercice extérieur quotidien. L’équipe était en plein ménage : « Elles sortent généralement pendant deux heures dans l’après-midi, après avoir été nourries et traites », nous explique Aynsley. Elle nous décrit les sortes de vaches dans l’étable : « Comme vous pouvez le voir, nous avons des vaches laitières de différentes races. La plupart d’entre elles sont des vaches noires et blanches. Ce sont des Holstein. Nous avons aussi des vaches brunes appelées Jersey et celle-ci est une Suisse brune. » Caressant la vache en question, Aynsley poursuit : « Elles sont toutes très amicales parce que nous les touchons tout le temps. Elles sont vraiment habituées aux humains. Nous les éduquons pour qu’elles soient gentilles, car nous avons des étudiants qui travaillent ici et nous ne voulons pas qu’ils se blessent. »

La ferme laitière du campus Macdonald sert avant tout à la recherche et à l’éducation. Certains étudiants rendent visite aux vaches dans le cadre de leur cours : « Les étudiants du programme de santé animale viennent travailler avec elles pour apprendre [entre autres, ndlr] à prendre leur température. Tous les cours de biologie animale comportent généralement une visite de l’installation laitière. Il y a un programme de Gestion et technologies d’entreprise agricole, qui y est présent en permanence. »

Un des projets de recherche en cours à la ferme laitière est guidé par la professeure Elsa Vasseur, et porte sur le bien-être des animaux et la recherche comportementale. Aynsley nous explique que la ferme du campus utilise ce qu’on appelle une installation de stalles à attaches : « C’est une vieille école dans le sens où les animaux sont attachés à une stalle, mais c’est [l’installation, ndlr] que l’on trouve le plus au Canada et au Québec. Je pense que le monde évolue vers un environnement libre où les animaux ne sont pas attachés, où ils ont une aire de repas et une aire de couchage, et ils ont plus d’autonomie, mais ils ne sortent pas à l’extérieur. » La professeure Vasseur s’intéresse à améliorer le bien-être des vaches dans l’étable du campus. Son équipe et elle font des tests de personnalité sur les animaux. Aynsley nous pointe un système de cordes et poulies attachées au plafond de l’étable : « Toutes ces lignes servent à attacher différents objets, que nous plaçons devant [les vaches, ndlr] et nous filmons ce qu’elles font. »

Un autre projet de recherche en cours est celui du professeur Raj Duggavathi. « Ses étudiants au doctorat s’intéressent généralement à la physiologie de la reproduction, plus précisément aux cycles œstraux et à la présence de marqueurs dans le sang et le lait. » Les éleveurs de vaches laitières tendent à se débarrasser des vaches qui ne tombent plus enceintes, car elles ne produisent plus autant de lait. « Nous aimerions donc que nos vaches vivent longtemps, la longévité est donc l’un de nos principaux objectifs », nous explique Aynsley. « L’espérance de vie moyenne d’une vache laitière dans l’industrie, dans les grandes exploitations au Canada, est de cinq ans », selon la technicienne, « La vache la plus âgée que nous ayons jamais eue ici avait 18 ans, et elle était vieille ! »

En plus d’être une ferme de recherche et d’éducation, elle vend le lait produit à des fins commerciales : « [Les vaches, ndlr] sont traites deux fois par jour. Au Canada, tout est acheminé au même endroit, mélangé au lait de toutes les autres fermes, et les produits sont ensuite distribués. Chaque fois que vous mangez du fromage OKA ou du Québon, il se peut que cela vienne d’ici. » Aynsley nous fait entrer dans une autre pièce dans laquelle se trouvent les veaux : « Si nous gardions tous les bébés, nous ne pourrions pas fonctionner. C’est pourquoi nous élevons un certain pourcentage de notre troupeau pour en faire de la viande de bœuf. »

« Je pense que ce qui m’enthousiasme le plus dans mon travail, c’est de voir à quel point les consommateurs ont du pouvoir et à quel point des changements positifs se profilent à l’horizon. »

Aynsley Merk, technicienne animalière

Aucun doute, Aynsley aime son quotidien. Elle connaît chaque vache par son nom (Starburst, Bahamas, Abba, etc.), et peut même distinguer leurs personnalités : « Elles sont toutes totalement différentes. Et nous avons tous nos préférées. » Son travail a eu beaucoup de conséquences sur sa vie, notamment sur son alimentation : « Ce que je préfère raconter aux gens, c’est que j’ai été végétarienne pendant la majeure partie de ma vie, parce que je me suis toujours sentie inconfortable par rapport à l’agriculture animale. J’ai eu l’occasion d’assister à des conférences et de parler à de vrais producteurs affiliés à des universités. Et ce que l’on constate surtout, c’est qu’ils aiment leurs animaux. Je me sens beaucoup mieux à l’idée de manger des produits d’origine animale aujourd’hui parce que je vois qu’on s’occupe d’eux. Il ne s’agit pas d’une culture d’abus, du moins pour les produits laitiers et le bœuf. » Elle ajoute : « Je pense que ce qui m’enthousiasme le plus dans mon travail, c’est de voir à quel point les consommateurs ont du pouvoir et à quel point des changements positifs se profilent à l’horizon. »

Aynsley témoigne de l’influence des changements de mentalité sur l’industrie : « En effet, lorsque les laits alternatifs sont apparus, comme le lait d’amande et le lait d’avoine, l’industrie laitière a commencé à changer. Elle se demandait comment faire pour que les gens se sentent à nouveau à l’aise en buvant du lait. C’est ainsi que l’on voit apparaître ces éléments dans le code de bonnes pratiques ou dans diverses lignes directrices auxquelles tous les agriculteurs doivent se conformer. On assiste à de grands changements dans le domaine du bien-être animal. Par exemple, plus personne ne pourra construire d’étables avec des stalles à attaches. De notre côté, nous attendons une nouvelle étable, mais McGill, comme vous le savez, traverse un peu une période difficile… »

« Toutes les personnes que nous avons interrogées ont mentionné le manque d’attention et de visibilité donné à la ferme du campus Macdonald. Les projets de nouvelles infrastructures ne semblent pas être la priorité de McGill »

L’agriculture régénératrice

Aynsley souhaite nous faire rencontrer Janice Pierson, la responsable de la ferme, mais elle est absente de son bureau. Alors que tous les employés cherchent à la contacter pour qu’elle puisse nous recevoir, en vain, nous nous résignons à lui envoyer un courriel et poursuivons notre visite. Nous nous dirigions vers le Mac Market, ouvert de juillet à novembre, qui vend des fruits et légumes de saison produits sur le campus Macdonald quand, soudain, une voiture nous arrête. Il s’agit du professeur Raj Duggavathi, dont nous avait parlé Aynsley. Il arrive à temps pour nous prévenir que Janice est de retour. La nouvelle de notre visite surprise a donc vite fait le tour du campus. 

Juliette Elie | Le Délit

Janice ne tarde pas à nous rattraper et nous faisons sa connaissance. « J’ai obtenu mon diplôme en 2000 au campus Macdonald et je suis revenue 23 ans plus tard pour devenir cheffe d’exploitation. Et je ne viens pas d’une ferme. Je viens de la jungle de béton de Toronto ! », explique-t-elle. Janice a décidé de consacrer sa vie à la ferme et à ses animaux. Fièrement, elle nous décrit son lieu de travail d’une superficie de 250 hectares de terre qui ne comprend pas que la ferme laitière mais aussi le centre d’horticulture, ou encore l’unité de volaille. Janice met en avant le rôle de la ferme Macdonald dans le projet McGill Feeding McGill, lancé il y a dix ans. Grâce à cette initiative, chaque année, 25 000 kg de fruits et légumes produits par le centre de recherche d’horticulture remplissent les cuisines des cafétérias de McGill. 

La ferme cherche à développer une agriculture plus durable. Cela ne veut pas dire pour autant qu’elle va devenir une ferme biologique. Janice explique : « On parle beaucoup du bio comme étant bon pour la santé, mais il y a des choses bio qui, sur le plan de l’environnement, ne sont pas toujours les meilleures. Par exemple, c’est le cas pour le travail du sol. Dès que l’on commence à labourer un champ, on libère beaucoup de CO2. Nous, nous pratiquons l’agriculture sans labour. » Ce qu’ils ont décidé de faire plutôt que de mettre en place une agriculture biologique, c’est de développer l’agriculture régénératrice. Cette méthode vise à préserver la qualité des sols en adoptant des pratiques de culture et d’élevage plus raisonnées, notamment en favorisant la biodiversité dans les sols pour augmenter leur teneur en matière organique. Selon Janice, cela « ouvre de nombreuses possibilités ». Elle a un plan très précis en tête pour le futur de sa ferme : « Dans nos champs, j’aimerais que les andains [alignement de foin, ndlr] descendent jusqu’en bas parce qu’un jour, j’espère que les vaches iront paître là sans avoir à traverser de route. »

« Nous devons apprendre à faire de l’agriculture un peu mieux et un peu plus doucement et à travailler avec l’environnement »

Janice Pierson, responsable de la ferme

Dans sa vision de l’avenir, les pesticides occupent une place moindre. « L’objectif, c’est d’utiliser moins de produits chimiques. Cela ne signifie pas que nous n’en utilisons pas, mais que nous en utilisons beaucoup moins et que nous adoptons des pratiques plus responsables. Par exemple, nous plantons des cultures de couverture. Elles ont non seulement un impact sur la population de mauvaises herbes, mais aussi sur la qualité du sol et sur la réduction de notre impact sur l’environnement. » Si beaucoup d’agriculteurs ont gardé leurs habitudes traditionnelles héritées de génération en génération, qui se traduisent souvent en l’élimination des obstacles à la culture au détriment de l’environnement, Janice est persuadée qu’il est temps de changer de mentalité : « Nous devons apprendre à faire de l’agriculture un peu mieux et un peu plus doucement et à travailler avec l’environnement. » D’autant plus que l’activité de la ferme Macdonald subit de plein fouet le réchauffement climatique et doit s’y adapter. La chaleur impacte à la fois les cultures mais aussi l’élevage. « Nous ne pouvons pas laisser les vaches dehors si elles n’ont pas d’ombre et qu’il fait 30 degrés Celsius. » Avant de continuer : « Elles sont heureuses à l’extérieur si les conditions sont bonnes. Si vous les mettez dehors quand il fait chaud et qu’elles ont l’occasion de retourner dans l’étable, où il y a de la ventilation et où elles peuvent s’allonger, il y a de fortes chances qu’elles se présentent à la porte et qu’elles veuillent retourner dans l’étable. »

Un manque de visibilité

Janice prévient Laura Caralampides, gestionnaire du Centre de recherche horticole, de notre arrivée imminente, et notre exploration du campus Macdonald se poursuit. Laura est trop occupée pour discuter avec nous mais nous accorde le droit de visiter les serres, qui font partie du programme McGill Feeding McGill. Nous nous dirigeons ensuite vers le Mac Market, où nous sommes accueillies chaleureusement : la caissière nous offre gratuitement un sac en papier rempli des légumes et fruits de notre choix, simplement parce qu’il s’agit de notre première visite. L’atmosphère est chaleureuse, la générosité des gens ne cesse de nous impressionner. Il est temps de terminer cette matinée enrichissante avec un pique-nique bien mérité sur la pelouse du McEwen Field.

Toutes les personnes que nous avons interrogées ont mentionné le manque d’attention et de visibilité donné à la ferme du campus Macdonald. Les projets de nouvelles infrastructures ne semblent pas être la priorité de McGill. 

Ce qu’on en conclut, c’est que le campus Macdonald gagne absolument à être visité. Cet endroit vert et accueillant regorge de gens tous plus généreux les uns que les autres. Le futur de la lutte contre les changements climatiques réside dans la recherche scientifique qui permet des projets innovants, exactement ce à quoi se dévouent les professeur·e·s, étudiant·e·s et employé·e·s du campus Macdonald. 

Merci à Aynsley Merk, Janice Pierson, et à tous·tes celles et ceux qui nous ont guidées.


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