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Semaine nationale de l’arbre et des forêts

L’approche du double regard.

Margaux Thomas | Le Délit

Du 22 au 28 septembre a lieu la Semaine nationale de l’arbre et des forêts (SNAF) dont l’objectif est de sensibiliser le public à la protection des forêts et de l’industrie forestière. Organisée par l’Institut forestier du Canada (IFC), qui prône « la confiance et la fierté à l’égard de la foresterie canadienne », plusieurs activités à travers le pays sont mises sur pied, notamment sur les défis climatiques, l’éducation forestière et la conservation, et ce, avec l’intégration du « savoir autochtone ». Le thème de cette année est « L’approche du double regard : accueillir tous les savoirs pour préserver nos forêts. » Comme l’IFC le met de l’avant, cette démarche s’inscrit dans une volonté de combiner savoirs traditionnels autochtones et savoir occidental afin de « favoriser l’innovation économique et d’atténuer les défis climatiques en constante évolution […] et de s’y adapter ».

Un des regards adopté cette semaine est celui des Premières Nations, particulièrement touchées par les feux de forêts. Leur population représente 5% de la population canadienne, mais 80% d’entre eux·elles sont situé·e·s dans des zones à risque de feux de forêt selon le gouvernement du Canada. Les communautés autochtones du territoire Secwépemc, dont le mode de vie dépend de leur environnement, souhaitent préserver et restaurer les écosystèmes de leur région. Voyant les compagnies de l’industrie forestière replanter des sapins et des épinettes noires, elles expliquent que simplement planter des arbres ne restaure pas la diversité de la forêt. Angela Kane, présidente-directrice générale de la Société de restauration et d’intendance des Secwepemcúl’ecw (Secwepemcúl’ecw Restoration and Stewardship Society), dit que sa communauté a besoin d’infrastructures de culture et d’entreposage de semences, ainsi que leur propre pépinière dans une perspective d’autosuffisance. Elle espère ainsi recréer des écosystèmes complexes : « Nous voulons créer notre propre programme de collecte afin de pouvoir récolter nos propres graines spécifiques à la région et à nos communautés. »

L’expérience de restauration des forêts par les communautés Secwépemc illustre le savoir holistique des Premières Nations face à l’environnement.

« Les intérêts des communautés autochtones et des compagnies de l’industrie forestière se sont opposés à plusieurs reprises, et les commanditaires de l’événement sont impliqués dans ces conflits »

L’approche du double regard mise à l’épreuve

Bien que la SNAF tente de sensibiliser autant à la protection des forêts qu’à leur exploitation durable, des enjeux éthiques peuvent survenir. En effet, les intérêts des communautés autochtones et des compagnies de l’industrie forestière se sont opposés à plusieurs reprises, et les commanditaires de l’événement sont impliqués dans ces conflits. Par exemple, la majorité des commanditaires sont des compagnies de pâtes et papiers et de produits forestiers, dont Millar Western, Tolko, Résolu, Canfor et Dryden Fibre Canada. Alors que l’IFC souhaite sensibiliser le public sur la richesse de nos forêts canadiennes lors de cet événement, ses actes ne sont pas toujours cohérents. La Dryden Fibre Canada, pour n’en nommer qu’une, a, en mai dernier, été décriée dans les médias par la Première Nation Grassy Narrows pour la contamination de la rivière Wabigoon. En plus d’un épisode de déversement dans les années 60, la communauté autochtone accuse l’entreprise de continuer de rejeter à ce jour des résidus chimiques, dont du méthylmercure. La concentration élevée de mercure dans l’eau affecte particulièrement la santé physique et mentale des membres de cette nation autochtone et augmente les cas de maladies chroniques, de diabète et de troubles neuropsychologiques.

Ainsi, tandis que les compagnies forestières sont motivées par des objectifs économiques, les Premières Nations, comme celle de Grassy Narrows, cherchent à maintenir la santé de leur environnement et de leur communauté. Ces dernières ont une vision plus holistique de la forêt qui est pour eux un lieu d’habitation, de chasse et de cueillette. Comme l’explique Angela Kane, les feux de forêt n’ont pas seulement privé les autochtones d’une ressource matérielle, mais de leur mode de vie : « Ça a été un moment vraiment traumatisant. Voir les panaches de fumée se rapprocher de jour en jour, entendre les hélicoptères jour et nuit, c’était presque comme vivre en temps de guerre. […] C’est une expérience dévastatrice. Certain·e·s membres de notre communauté ont perdu leur maison, d’autres leur mode de vie. »

C’est avec cette vision que les communautés Secwépemc ont restauré un territoire de forêts ravagées par l’incendie d’Elephant Hill près de Kamloops en Colombie-Britannique en 2017.

Avant de s’intéresser aux différentes perspectives et à différents moyens de répondre aux feux de forêts, il est pertinent de faire un bref état des lieux à la fin de cette saison estivale.

Retour sur l’état des forêts canadiennes après l’été 2024

La couverture de plusieurs médias ainsi que les données de Ressources naturelles Canada soulignent que les feux de forêt de l’été 2024 ont définitivement ravagé moins de surface au pays que l’an passé, qui avait été une saison hors du commun (17,9 millions d’hectares de forêts brulés en 2023 contre 5,1 millions d’hectares en 2024). Cependant, la saison 2023 reste toujours bien au-dessus des moyennes des dernières décennies et les incendies ont été répartis différemment. Bien que le Québec et l’Ontario aient été épargnés en raison des fortes pluies en lien avec les tempêtes tropicales Béryl et Debby, plusieurs feux majeurs ont été enregistrés dans l’est et dans l’ouest du pays, ce qui a peut-être donné l’impression d’un radoucissement au Québec. Les feux qui ont dévasté la ville de Jasper, en Alberta, en juillet dernier, ont été contrôlés après quatre semaines de propagation et après avoir brûlé le tiers de la municipalité, obligeant l’évacuation de 25 000 personnes dont 5 000 résidents. Les changements climatiques ont augmenté les risques de feux de forêts dans les dernières années et ce phénomène est maintenant une réalité préoccupante. Face à cette réalité, la SNAF organise un atelier le 25 septembre prochain, abordant comment les changements climatiques affectent nos forêts.

Explorer les récentes innovations

Lors de la SNAF, une étude présentée par des chercheurs de Concordia est en cours pour utiliser l’intelligence artificielle dans la lutte contre les feux de forêt. Il reste plusieurs tests à faire avant que cet outil ne soit utilisé par la Société de protection des forêts contre le feu au Québec (SOPFEU). Néanmoins, il semble prometteur pour la détection préventive des feux via un système complètement automatisé de drones, de réseaux neuronaux (donc un module d’intelligence artificielle apprenant par lui même) et de traitements d’images. You Zhang, l’un des auteurs et professeur au Département de génie mécanique, industriel et aérospatial de Concordia, croit que cette avancée pourrait détecter plus rapidement les feux, et donc aider au contrôle de ceux-ci.

Finalement, il est intéressant d’aller au-delà de l’appréciation d’un événement de sensibilisation comme celui-ci et de voir les enjeux qui sont et vont devenir plus importants pour notre société. En s’éloignant de cette lecture de la forêt comme ressource économique et des intérêts des entreprises, plusieurs incertitudes planent toujours quant à l’avenir de nos forêts et de notre réponse face aux changements climatiques. Ce que ce double regard peut potentiellement amener dans la réflexion, c’est en partie l’inclusion des Premières Nations, surreprésentées dans les zones à risques. Cette semaine est aussi une opportunité d’apprendre des savoirs autochtones et ce, non seulement pour la replantation d’arbres, mais pour la restauration des écosystèmes de nos forêts. 


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