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Olivia Leblanc : profifil d’une directrice artistique de renom

En conversation avec la visionnaire derrière les couvertures de Elle Canada et Elle Québec

Margaux Thomas | Le Délit

Il me faut plus d’un mois pour obtenir un rendez-vous avec Olivia Leblanc. La date que nous avions fixée à la fin de l’été est maintes fois repoussée : entre ses vacances, son engagement sur le plateau de ELLE, et les demandes de dernière minute de ses clients, ses disponibilités se font rares. Nous sommes maintenant en automne, la Semaine de la Mode de Montréal battant son plein, et ma date limite pour rendre cet article approche à grands pas. Pourtant, je reste déterminée : je veux un tête-à-tête avec l’une des directrices artistiques les plus sollicitées au Canada. « Ce sont des gens comme toi dont on a besoin dans l’industrie », me dit-elle, en pointant ma ténacité. « Quand tu sais ce que tu veux, tu dois persister. Tu ne peux pas baisser les bras dès les premières difficultés. »

Son ton est ferme, mais encourageant, et je ne peux m’empêcher de penser qu’elle délivre ce conseil autant à moi qu’à la jeune Olivia de 18 ans, sur le point de plonger dans le monde de la mode. Occupant aujourd’hui le rôle de directrice artistique, non seulement dans ses nombreuses collaborations avec ELLE Québec et ELLE Canada, mais aussi en travaillant avec des marques primées comme Reitmans et Joe Fresh ; Leblanc évolue dans cet univers depuis plus de vingt ans. Parmi les vedettes hollywoodiennes avec qui elle a collaboré figurent Catherine O’Hara (Beetlejuice, 1988, 2024), Barbie Ferreira (Euphoria, 2019), et Maitreyi Ramakrishnan (Mes premières fois, 2020) : autant dire que j’échange avec une experte.

Assises à l’extérieur d’un café du Mile End, le soleil éclaire notre table, accentuant la légèreté inattendue de notre conversation. Si son horaire chargé correspond au stéréotype du monde frénétique de la mode, toute appréhension de l’attitude condescendante que l’on attribue aux grands de ce milieu s’estompe dès notre première interaction. Ce n’est pas le Diable s’habill[ ant] en Prada (2006) qui se présente à moi, mais une femme bienveillante et intuitive, au style sobre rehaussé par des Ray-Ban fumées qui se posent élégamment sur son nez. Dans un univers où semblent régner les paillettes et la perfection, Olivia est bien consciente des revers moins élégants qui s’y dissimulent et de la résilience indispensable pour y naviguer.

« Quand tu sais ce que tu veux, tu dois persister. Tu ne peux pas baisser les bras dès les premières difficultés. »


Olivia Leblanc

« Le métier que je fais en ce moment, en tant que directrice artistique, je n’aurais jamais pu l’exercer à mes débuts », explique-t-elle, en ajustant les mèches d’or posées sur ses épaules. « Ce sont toutes les années passées en tant que styliste qui m’ont menée jusqu’ici. » En effet, c’est au terme d’une quinzaine d’années en stylisme qu’Olivia Leblanc s’établit en tant que directrice artistique. Le stylisme, m’expliquet- elle, c’est l’art d’imaginer le look d’un modèle, alors que la direction artistique élève cette vision à un niveau supérieur en orchestrant l’esthétique d’une campagne toute entière. « C’est comme une recette », ajoute-elle. « Tous tes ingrédients — le choix des mannequins, la lumière, les couleurs — doivent s’harmoniser pour que la préparation soit parfaite, que le gâteau lève et que ce soit un succès. » Ce rôle exige donc une maîtrise aiguë de la gestion de productions de grande envergure.

Mais l’esprit entrepreneurial d’Olivia Leblanc ne date pas d’hier. Son emploi à l’ancienne boutique Maximum sur le Plateau de Montréal, à l’âge de 18 ans, s’avère être un tremplin pour sa carrière. Elle se retrouve gérante seulement deux semaines après son embauche, puis, peu après, acheteuse. « Je pense que ma formation de styliste a véritablement commencé là-bas », raconte-t-elle.

« À l’époque, les stylistes n’étaient pas très nombreux. J’habillais des personnalités comme Louise Deschâtelets, ce qui s’est avéré être une formation incroyable. J’ai appris à cerner les goûts des clients, à savoir les guider dans leurs choix sans jamais les brusquer. » Elle ajoute que son expérience en tant qu’acheteuse lui a aussi ouvert les yeux sur le fonctionnement de l’industrie : « Il fallait connaître son public, savoir qui fréquentait la boutique et ce qu’il fallait leur offrir. Ce fut extrêmement formateur. J’ai adoré cette expérience. Je suis très chanceuse d’avoir fait mes débuts à cet endroit et d’avoir eu de la chance rapidement, mais cela ne serait pas arrivé sans mon travail acharné. »

Olivia insiste sur le fait que la chance est une opportunité que l’on se crée, et non de la simple sérendipité. Elle se remémore sa vingtaine, se décrivant comme une jeune femme dotée d’une personnalité forte, n’hésitant pas à aller à la rencontre des designers qu’elle admirait après leurs défilés pour consolider son réseau. En imaginant cette Olivia plus jeune, on comprend mieux la clé de son succès. « Les clients m’appréciaient, et mon patron a rapidement remarqué cela. Il m’a promue stratégiquement, convaincu que je méritais une meilleure position. Tout s’est aligné à ce moment-là. », continue-t-elle, à propos de son ascension à Maximum.

C’est d’ailleurs en apprenant à gérer les rouages derrière les projecteurs qu’Olivia ressent le désir de devenir designer. « J’ai décidé d’aller me former à l’école en design de mode, mais j’ai vite observé que c’était un métier très solitaire », explique-t-elle. C’est ainsi qu’elle comprend que sa motivation réside dans le travail d’équipe, un aspect fondamental qu’elle a toujours envié au médium cinématographique, une autre de ses passions.

« Parmi les vedettes hollywoodiennes avec qui elle a collaboré figurent Catherine O’Hara, Barbie Ferreira, et Maitreyi Ramakrishnan : autant dire que j’échange avec une experte. »

Sans le savoir, ces doutes corroborent ceux de ses mentors. La créatrice mentionne que malgré ses prouesses académiques, ses professeurs ont découragé son ambition, en lui affirmant qu’elle ne serait « jamais » designer de mode. En l’interrogeant sur ce manque de reconnaissance, j’attends une réponse croustillante, mais elle me surprend par sa sagesse : « Je pense que les professeurs avaient raison », me confie-t-elle, tandis que mes sourcils se soulèvent d’étonnement. « Oui ! Parce que ce n’était pas ma passion, le design. Ma passion, c’était tout ce qui entourait la mode, et c’est pour cette raison que je suis devenue styliste. Ce que mes professeurs m’ont dit, au fond, c’était : « Tu es talentueuse, tu feras quelque chose dans ce milieu, on ne sait pas encore quoi, mais tu ne seras pas designer. » À l’époque, pour moi, c’était une défaite. Mais le temps est tellement important. Le temps fait tout. J’ai fini par constater qu’ils avaient raison. »

La vie, selon l’experte du style, est une symphonie entre contrôle et lâcher-prise. Ses plus grands succès sont nés de moments où elle a dû se fier à son instinct, et trouver des solutions dans l’urgence. « Après seulement un an, j’ai quitté l’école de design, et mes parents s’étaient alarmés parce que j’avais dépensé une fortune pour suivre cette formation. Ils ne comprenaient pas trop ma décision. » Elle poursuit, une lueur animant son regard : « Et la même semaine, j’ai reçu un appel d’Elle Québec pour devenir assistante-styliste. »


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