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Les trois solitudes

Colonisé et colonisateur : le Québec ne célèbre pas la Journée de la Vérité et de la Réconciliation.

Stu Doré

Depuis trois ans déjà, le Canada célèbre la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation. Il s’agit d’une initiative du gouvernement fédéral adoptée par les provinces, qui vise à honorer et commémorer les survivants des pensionnats autochtones, ainsi que les victimes des autres atrocités de la colonisation. Pour ceux et celles qui l’ignoreraient, c’est dans un contexte politique tendu que la journée dédiée aux peuples autochtones est apparue. Dès le début des années 2010, les différentes communautés autochtones des quatre coins du pays se sont rassemblées pour demander des actions concrètes à Ottawa. Cette mobilisation a mené à la publication des recommandations de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées en 2019. Cette commission avait pour mission de mettre en lumière les nombreux abus qui sévissaient dans les réserves autochtones, et ce, spécialement auprès des femmes. Elle se devait aussi de dénoncer l’aveuglement populaire, qui se présente souvent sous la forme d’un réflexe persistant à vouloir tout cacher sous le tapis et faire comme si la réalité troublante dans les réserves autochtones n’était que pure imagination. Pendant quelques années, Ottawa semblait résister à la pression, fermement déterminée à ignorer la triste réalité des peuples autochtones. Le coup de grâce frappa en 2021 avec la macabre découverte de lieux de sépulture non-marqués près d’anciens pensionnats, signe incontestable que de jeunes autochtones avaient été assassinés et maltraités dans ces lieux dits « destinés à leur éducation ». La découverte avait engendré un véritable scandale, ouvrant les yeux du public sur les abus que les autochtones dénonçaient depuis déjà plusieurs années. Ottawa a ainsi dû se résigner à les écouter et a changé son fusil d’épaule.

« Après tout, les nations les plus fortes sont celles qui ne craignent pas de mettre un genou à terre et d’avouer leurs faiblesses »

Alors, le matin du 30 septembre dernier, alors que je naviguais comme à mon habitude sur les réseaux sociaux, la majorité des publications qui apparaissaient sur mon fil d’actualité étaient naturellement liées aux commémorations. On pouvait notamment y voir le premier ministre Justin Trudeau, la gouverneure générale Mary Simon (elle-même autochtone) et divers chefs autochtones parler d’une seule et même voix. Dans leur discours, une profonde tristesse, une résilience et même une certaine confusion étaient palpables, comme si des années plus tard, on ne comprenait toujours pas pourquoi ni comment on s’était rendu jusque-là collectivement. 

Comment nous, le Canada, la nation championne des droits de l’Homme, avait-elle pu se rendre non seulement complice d’atrocités, mais aussi instigatrice de telles horreurs ? Et j’ose affirmer ici que c’est exactement le but de ces journées commémoratives que l’impératif de se poser des questions sur notre passé et sur notre identité nationale. Parfois, comme nation, ce n’est pas toujours agréable de se regarder dans le miroir : on risque de ne pas aimer ce que l’on voit, on risque d’être déçue, mais parfois, c’est plus que nécessaire. Après tout, les nations les plus fortes sont celles qui ne craignent pas de mettre un genou à terre et d’avouer leurs faiblesses. 

Alors que je continuais à faire défiler les publications sur X, j’ai aussi vu d’autres politiciens souligner la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, des politiciens provinciaux québécois cette fois-ci. Puis, alors que je les écoutais parler, j’ai trouvé qu’il y avait quelque chose de bizarre dans leurs discours, quelque chose qui sonnait différemment en comparaison avec leurs homologues fédéraux. Leur analyse de la situation des peuples autochtones semblait teintée par un certain malaise, comme s’ils parlaient à demi-mot, qu’ils n’étaient pas prêts à prendre position sur la question, et qu’il y avait une sorte de déconnexion entre ce qu’ils avançaient et la réalité. Bien que cela m’ait semblé étrange à première vue, le constat y était : au Québec, on aborde différemment notre passé complexe avec les peuples autochtones. J’ai alors creusé la question. 

« Pour eux, il est donc dur d’admettre ou seulement de concevoir que le Québec ait pu être responsable de l’anéantissement d’un autre peuple, car une nation ne peut être à la fois victime et bourreau »

La conclusion à laquelle je suis parvenu réside dans le nationalisme identitaire québécois qui s’est construit au cours des années. Les nationalistes d’ici ont de la difficulté à admettre que le Québec a été complice des atrocités commises à l’égard des autochtones, parce que ça ne suit pas le narratif qu’ils se sont construits. Après tout, l’histoire du Québec et des francophones partout au Canada demeure une histoire de résistance. Après avoir été assujettis par la couronne britannique, des lois injustes ont été mises en place contre l’intérêt des francophones afin de tenter de les assimiler. Pour eux, il est donc dur d’admettre ou seulement de concevoir que le Québec ait pu être responsable de l’anéantissement d’un autre peuple, car une nation ne peut être à la fois victime et bourreau. Comment un peuple conquis pourrait-il en conquérir un autre ? Ailleurs dans le pays, cette admission n’est pas aussi compliquée parce que les citoyens ne perçoivent pas leur province comme ayant été contrôlée, ou encore malmenée par l’occupation coloniale. Dans l’esprit des gens, il n’existe donc pas cette dualité entre agresseur et agressé. Donc, lorsque l’on dit que le Québec a aussi pris part au génocide contre les peuples autochtones, la pilule est, pour plusieurs, plus difficile à avaler. 

Même dans la couverture médiatique d’ici, la Journée fût soulignée différemment. Malheureusement, des nationalistes comme Sophie Durocher ou Rémi Villemure sont tombés dans le panneau du déni. Récemment, les deux personnalités ont mené une chronique à la radio, où ils remettaient en doute le simple fait que des autochtones aient été tués dans les pensionnats. Ils attribuaient la présence de tombes non marquées près des pensionnats à de simples maladies au lieu d’un système bien implanté de meurtres et d’abus d’enfants.

Bien que les francophones aient souffert comme les autochtones de la présence britannique, la différence fondamentale entre les deux peuples demeure que les francophones, contrairement aux autochtones, ont pu se construire une entité étatique, et s’assurer de la reconnaissance de leurs droits. Ils ont bénéficié d’une représentation politique et de pouvoirs constitutionnels. Ce ne fut jamais le cas des autochtones. Remettre en question le passé colonial du Québec ne nous fera pas avancer collectivement. Douter n’effacera pas les blessures du passé. Pointer du doigt ne nous réconciliera pas. Si l’on souhaite vraiment atteindre la réconciliation avec les peuples autochtones, nous nous devons d’être honnêtes vis-à-vis de qui nous sommes et envers le peuple que nous avons été. Comme je l’ai déjà dit, la vérité n’est pas agréable à entendre, mais c’est la seule manière d’avancer. Oui, le Québec et les francophones en général ont été victimisés par le régime britannique qui parfois nous aura maltraités. Non, le Québec n’est pas immunisé contre les abus parce qu’il fut lui aussi abusé.


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