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Séquences étranges

Un après-midi au Festival du Nouveau Cinéma.

Samedi 12 octobre. La journée commence en retard, et je cours, je file sur Saint-Denis, un café à la main. Les doigts me brûlent, mais je ne m’arrête pas. J’ai promis à Anna que je serais à l’heure, ou du moins, que nous arriverions toutes les deux en même temps, rouges d’avoir dévalé la pente, puis les escaliers roulants du cinéma Quartier Latin. Sur le chemin, je tente de me souvenir des synopsis, mais tout va trop vite en ce moment et je me rappelle seulement mes propres conclusions. Je texte à Anna des descriptions vagues, espérant la convaincre de m’accompagner à tous les films sur mon programme. Le premier : ça va être queer. Le deuxième : ça va être queer et kinky. Le troisième : c’est une comédie française, ce n’est pas queer, mais on va rire parce qu’Aymeric Lompret a une scène. Elle répond « ok », ce genre de « ok » ferme : l’annonce qu’elle est prête à tout affronter. Nous arrivons dans la salle, montons quelques marches, et nous affalons sur les sièges, déterminées à passer le reste de la journée les yeux plongés dans l’écran géant. Peaches Goes Bananas commence et nous invite dans l’euphorie de la rencontre avec l’artiste ; les images de concerts s’enchaînent et les costumes de vagins nous donnent une idée du personnage. Je me laisse surprendre par la forme documentaire – je n’avais aucun souvenir qu’il en s’agissait d’un – et découvre la chanteuse Peaches. Je shazame ses chansons sous les hochements de tête approbatifs d’Anna.

Nous changeons de cinéma, marchons jusqu’à Parc. Bruce La Bruce, le réalisateur du film queer et kinky, porte une veste sur laquelle est brodé « LUCIFER » : un arc en ciel sortant de chaque lettre. Cette dernière donne le ton du film The Visitor, un indice sur les désirs de son auteur dont je n’avais jamais vu les autres pornos. Les scènes de sexe se sautent dessus, du hardcore en continu sur fond de critique du capitalisme, du gouvernement, des lois anti-immigrations et bien sûr, de l’homophobie. Les slogans de la gauche britannique remixés clignotent et éclairent les visages attentifs. J’ai l’impression d’être dans la tête d’un Gaspard Noé un peu plus tordu. Nous sortons de la salle, allons manger des algues, et parlons sans vraiment savoir par où commencer. Je prends la veste du réalisateur en photo, et nous dégustons en riant de ma piètre description.

« J’ai l’impression d’être dans la tête d’un Gaspard Noé un peu plus tordu »

Charlotte m’appelle : elle est en retard. Nous nous rejoignons pour la diffusion du film Les pistolets en plastique de Jean Christophe Meurisse, dans lequel il invente une vie à Xavier Dupont de Ligonnès, le célèbre tueur en série, rebaptisé Paul Bernardin dans le film. C’est pour l’apparition de l’un de mes humoristes fétiches, Aymeric Lompret, que je ne voulais pas rater la comédie. L’humour noir et les scènes sanglantes n’ont pas tellement plu à mon entourage, et nous retenons davantage le court-métrage Sam & Lola qui avait précédé l’autre : crier « Y’a Marion Maréchal à poil ! » dans un bar bondé de policiers pour qu’ils détournent le regard et que les filles à qui ils payent des verres puissent s’échapper de leur emprise dégueulasse, c’était finalement la meilleure réplique entendue de toute la journée.

Nous sortons du cinéma, ahuries par toutes les images encaissées en quelques heures et nous rentrons rêver de ces séquences étranges, qu’on se racontera le lendemain, en file, en attendant les autres séances.


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