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Pourquoi choisissons-nous de revisiter le passé ?

Découvrons l’héritage de deux opéras de chambre mythiques et de Beethoven.

François Goupil

La servante et la clairvoyante, une soirée d’opéra présentée à la Salle Pierre-Mercure, et le Marathon Beethoven à la Maison symphonique de Montréal, m’ont immergée dans des expériences captivantes, oscillant entre manipulation et destin. Ces deux événements, par leur exploration de pièces aussi anciennes que La serva Padrona (1733) de Pergolesi et The Medium (1946) de Menotti, ainsi que les symphonies intemporelles de Beethoven, m’ont confrontée à un choix : voyager dans le passé pour y puiser des vérités qui résonnent encore aujourd’hui ou laisser ces œuvres tomber dans l’oubli.

Cela peut sembler un devoir ambitieux, mais ce choix reflète une entreprise commune qui se manifeste au quotidien. Que ce soit par la reprise de films cultes comme American Psycho (2000), qui sera adapté l’an prochain par Luca Guadagnino, ou par le Musée Métropolitain d’Art de New York, préparant l’exposition associée au prochain MET Gala sur l’héritage du dandysme afro-descendant, ce choix n’est pas réservé aux arts de la scène. Même en cette fin du mois d’octobre, la fête d’Halloween, suscitant le revêtement de costumes ancrés dans l’imaginaire collectif, relève cette tendance. Mais choisir de revenir vers des créations du passé, de les adapter et les réinventer, n’est pas uniquement une question de nostalgie. Ici, à Montréal, la scène culturelle semble nous rappeler que revisiter le passé est non seulement naturel, mais nécessaire.

« À Montréal, la scène culturelle semble nous rappeler que revisiter le passé est non seulement naturel, mais nécessaire »

La servante et la clairvoyante : un reflet de la société

Lors de la soirée du 8 octobre dernier, La servante et la clair- voyante nous proposait deux pièces distinctes : La serva Padrona, une comédie enjouée, et The Medium, un drame sombre. La serva Padrona, écrite en 1733 par Giovanni Battista Pergolesi, se présente comme une comédie vivace où le personnage principal, Serpina, incarne l’audace et l’insoumission. Servante de la maison, elle se doit d’obéir à Uberto, son maître vieillissant et impatient. Cependant, elle défie les attentes de son supérieur en utilisant son intelligence et son charme pour
le manipuler, osant même lui interdire de quitter la maison et orchestrer un subterfuge pour qu’il consente à l’épouser.

Pour une œuvre créée il y a près de trois siècles, La serva Padrona est étonnamment actuelle dans sa critique sociale. La représentation d’une femme forte, qui refuse de se plier aux demandes et qui parvient à renverser l’ordre établi, rappelle les revendications féministes actuelles. Dans la version contemporaine de cette pièce, la jeunesse du comédien jouant Uberto efface la dynamique traditionnelle d’un vieil homme manipulé par une jeune servante rusée. Ici, Serpina et Uberto apparaissent comme des égaux, et cette inversion de rapport souligne un message moderne : Serpina refuse de se soumettre aux injonctions qui lui dictent quoi faire de sa vie et de son corps. Pour les spectateurs, un Uberto jeune vient renforcer l’idée qu’au-delà d’une hiérarchie de classe, c’est la dynamique de genre qui est interrogée. Celle-ci nous montre que le contrôle et l’autonomie sont des thèmes intemporels, et qu’une femme peut revendiquer son pouvoir par la simple affirmation de sa volonté.

« Revisiter des récits fait partie intégrante d’une démarche visant à com- prendre des dilemmes sociaux actuels »

En contraste avec ce message porteur d’espoir, The Medium de Gian Carlo Menotti, écrit en 1946, nous plonge dans un univers d’angoisse et de tragédie. Madame Flora, une clairvoyante déchue, utilise des séances de spiritisme truquées pour extorquer de l’argent à ses clients désespérés, manipulant leur douleur pour son propre gain. Son univers bascule lors d’une séance où elle ressent soudainement une main invisible autour de sa gorge, un phénomène qu’elle ne peut expliquer et qui la hante. La pièce explore les ravages de la culpabilité et de la peur qui se transforment en paranoïa. Flora, incapable d’assumer sa propre responsabilité, finit par accuser son serviteur muet, Toby, d’être à l’origine de ces manifestations paranormales. La tension monte jusqu’à un climax dévastateur, où Flora, consumée par la terreur et la folie, abat Toby, croyant qu’il est le fantôme qui la tourmente.

The Medium émet une résonance troublante dans la société actuelle, où la cupidité, les faux-semblants et l’obsession du contrôle causent des souffrances inimaginables. Aveugle face aux conséquences de ses actes, Flora préfère rejeter le blâme sur Toby – une allégorie des conflits modernes où la violence est dirigée vers les plus vulnérables et non vers ceux qui les engendrent. En outre, la mise en scène de François Racine, enrichie par la direction du maestro Simon Rivard et des étoiles montantes de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal, nous démontre que revisiter des récits fait partie intégrante d’une démarche visant à comprendre des dilemmes sociaux actuels.

TamPhotography

Marathon Beethoven : l’éternel retour du destin

Quelques semaines plus tard, le 20 octobre, je me retrouve au spectacle « Beethoven et le destin » du Marathon Beethoven, où Yannick Nézet-Séguin dirige l’Orchestre Métropolitain (OM) dans une interprétation magistrale des symphonies du maître de la musique classique. Un événement d’une rare intensité où la musique vient elle aussi transcender les époques pour captiver les esprits modernes. Mais qu’apporte l’héritage de Beethoven comme message utile à notre société moderne ?

Ce n’est pas la première fois que l’Orchestre Métropolitain organise un Marathon Beethoven : 20 ans plus tôt, un événement similaire avait été célébré pour marquer le 25anniversaire de l’orchestre. Cette fois, une nouveauté est ajoutée : l’accent est mis sur l’héritage de Beethoven. Pour valoriser l’influence du compositeur sur les générations lui ayant succédé, l’OM a lancé le concours « Héritage Beethoven », destiné aux compositeurs de moins de 35 ans. Les participants devaient créer une composition inspirée d’une des symphonies de Beethoven ; les compositions des quatre lauréats seraient interprétées lors du Marathon. J’ai ainsi eu la chance d’écouter Ré_Silience de Cristina Garcia Islas, écrite en hommage au compositeur révolutionnaire. Cette œuvre montre combien le génie de Beethoven guide encore de jeunes créateurs, qui y trouvent un élan d’inspiration pour exprimer des émotions actuelles.

Alors pourquoi choisissons-nous de revisiter le passé ? Certaines créations résistent tout simplement à l’épreuve du temps. Ce choix nous permet de reconnaître que, malgré nos avancées, des défis demeurent, tout comme la virtuosité d’autres continue de rayonner.

La servante et la clairvoyante a eu lieu à la Salle Pierre-Mercure le mardi 8 octobre 2024 et le Marathon Beethoven s’est tenu du 17 au 20 octobre 2024 à la Maison symphonique de Montréal.


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